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Le chantier du Village Scalabrini et ses 51 logements dans Ahuntsic.
Rudy Le Cours
Pénurie de logements et de main-d’oeuvre, abordabilité déficiente, hausse des taux d’intérêt qui mine l’accès à la propriété et plombe l’endettement des ménages, voilà un cocktail toxique pour attiser une crise qui exigera efforts, coopération entre les secteurs public et privé et surtout du temps, beaucoup de temps.
Rares sont les jours depuis plusieurs mois sans qu’on lise ou entende des informations faisant état de gens mis à la rue, faute d’avoir trouvé à se loger à prix abordable, de querelles entre Ottawa et Québec sur la gestion d’un programme de construction de logements abordables, de la hausse du loyer de l’argent qui étranglera toujours plus de ménages trop endettés pour garder la maison de leur rêve.
Fin juin, le fait saillant du rapport (1) de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) a fait beaucoup de bruit : pour retrouver le niveau d’abordabilité de 2003-2004, il faudrait ajouter 3,5 millions d’unités de logement d’ici 2030, dont 700 000 au Québec. Bref, mission quasi impossible si on considère qu’il s’en est bâti environ 68 000 l’an dernier, un niveau exceptionnel, dont plus de 32 000 dans la région métropolitaine.
Pour atteindre la cible québécoise, il faudrait ajouter environ 78 000 unités, chaque année d’ici 2030.
Or, les ouvriers qualifiés de la construction se font rares. Seulement pour soutenir le rythme de construction actuel, les promoteurs canadiens avaient besoin d’embaucher environ 89 000, au printemps, selon les données de Statistique Canada.
En théorie, les gouvernements pourraient prioriser le logement à la réfection des écoles et des hôpitaux, mais il y aurait lieu de crier au scandale.
On pourrait aussi construire moins de centres commerciaux et de bureaux ou en convertir quelques-uns en logements, compte tenu des progrès du commerce en ligne et du télétravail, mais l’organisme capable de coordonner ces réaffectations n’existe pas. D’aucuns soutiendront même que sa création n’est pas souhaitable.
L’abordabilité, c’est quoi ?
La SCHL définit l’abordabilité comme étant le rapport en coût du logement moyen sur le revenu disponible moyen.
Elle précise ensuite le niveau souhaitable. Pour le Québec, le ratio serait d’environ 30 %. Présentement, il se situe à 40 %. Elle prône qu’il soit ramené à 32 %, en 2030, ce qui exigerait 700 000 unités de plus pour diminuer la pression sur les prix. Immense défi, si on considère que les coûts de la construction résidentielle avaient bondi de plus de 18 % en un an dans la région métropolitaine.
Pendant plusieurs années, les promoteurs ont privilégié la construction de condos ou de résidences pour personnes âgées (RPA). Ce n’est plus le cas, du moins dans la région métropolitaine de recensement (RMR).
Selon des données colligés par la SCHL à la demande d’En Retrait, il s’est bâti 18 117 unités de logement traditionnel et 1783 en RPA, soit 9 % du total, l’an dernier. De 2010 à 2017, la proportion en RPA n’avait jamais été inférieure à 25 %. Bref, il semble y avoir le début d’un rattrapage.
Montréal reste une ville de locataires, si on la compare aux autres agglomérations métropolitaines canadiennes. De 2016 à 2020, 80,6 % des mises en chantier y étaient des appartements, contre 64,4 % à Toronto et 70 % à Vancouver, selon le Rapport sur l’offre de logements de la SCHL (2).
Même à ce rythme, le secteur privé n’arrivera pas seul, à combler les besoins. Québec et Ottawa doivent mettre fin à leur querelles stériles sur leur champs de compétence pour que se concrétise enfin l’entente fédérale-provinciale sur le logement abordable, pourtant conclue il y a près de deux ans.
La mairesse Valérie Plante le réclame à grands cris, mais ça taponne toujours dans les deux capitales.
L’accès à la propriété
La rareté des logements a poussé leurs prix à la hausse, toutes catégories confondues. L’accès à la propriété, en particulier pour les premiers acheteurs, est devenu de plus en plus hors de portée.
Au Québec, le point culminant du prix médian d’une propriété a été enregistré en février. Depuis, une correction s’est amorcée. Les premiers signes ne mentent pas : les surenchères d’offres d’achat se font rares désormais, le nombre de transactions est en baisse.
De plus, les nouvelles restrictions fiscales pour les propriété détenues moins de 12 mois ( les flips ) ainsi que pour l’achat d’une propriété par des non-résidents, vont attiédir la demande.
Mais les futurs acheteurs ne doivent pas rêver.
« Nous croyons que, d’ici la fin de 2023, le prix moyen des maisons existantes au Canada diminuera d’environ 15 % (…) par rapport à son niveau de février 2022 », affirment Randall Bartlett et Lorenzo Tessier-Moreau, économistes chez Desjardins, dans un rapport daté du 6 juillet (3). Le tandem évalue à 12 % l’ampleur de la correction au Québec.
Compte tenu de la montée fulgurante des prix depuis 2019, la valeur d’une propriété restera plus élevée de 40 % en moyenne, fin 2023 que celle de 2019.
Cette correction est néanmoins suffisante pour plonger des milliers de ménages dans l’embarras, surtout qu’elle survient en même temps que la rapide augmentation du loyer de l’argent.
Le crédit étrangleur
Début d’année, le taux directeur de la Banque du Canada était fixé à 0,25 % depuis mars 2020. Il avoisinera les 3 % en fin d’année, soit bien davantage que le sommet de 1,75 %, en vigueur pendant un an et demi, auparavant.
En fait, il faut remonter à 2008, avant la crise financière, pour retrouver un taux directeur à cette hauteur.
C’est dire à quel point les taux ont été faibles pendant une quinzaine d’années, plus faibles en fait que le taux d’inflation.
Ces temps sont révolus. Beaucoup de ménages qui ont acquis leur maison en 2020 ou 2021 et qui ont opté pour un prêt hypothécaire à taux variable sont désormais pris à la gorge.
Et c’est la majorité des prêts contractés durant cette période. Alors que leur taux d’intérêt avoisinait 2,5 % en début d’année, il franchit ces jours-ci la barre des 4 % et pourrait grimper au-delà des 5,5 % d’ici un an.
Selon le calculateur de la Banque Scotia, une hypothèque de 500 000 $, dont le taux passe de 3 % à 4 %, entraîne des paiements annuels accrus de 3168 $. On n’ose imaginer les dégâts sur les finances familiales d’une majoration de deux points de pourcentage et plus.
Depuis un an maintenant, le Bureau du surintendant des institutions financières oblige les acheteurs, incapables de faire une mise de fonds initiale représentant 20 % du prix d’achat, à passer un test de résistance rigoureux.
Leur situation financière doit leur permettre d’absorber une hausse de taux représentant deux points de pourcentage de plus que le taux de leur emprunt ou un taux minimal de 5,25 %. Ce minimum pourrait donc être franchi dès l’an prochain.
Des solutions de rechange peu séduisantes
Que faire en pareil cas ?
Pour les ménages dont l’emprunt sur 25 ans remonte à quelques années, il est possible, sous certaines conditions, de ramener l’échéance à 25 ans. Ainsi, la valeur des mensualités diminue, mais leur nombre augmente. Il leur faudra donc plus d’années pour obtenir la quittance de leur prêteur.
D’autres devront envisager la vente. Pour ceux-là, il leur faut souhaiter que la dépréciation en cours ne ramène pas le prix de vente en-deçà de celui qu’ils ont dû payer. Faire un chèque devant le notaire et l’acheteur a de quoi meurtrir l’amour-propre.
Reste enfin la pire des options : la saisie par le prêteur. Si cette voie était fréquente quand les taux d’intérêt hypothécaires dépassaient les 10 %, comme dans les années 1980 et 1990, elle est devenue de plus en plus marginale.
Selon les données de JLR, compilées pour En retrait. Le nombre de délaissements dans la région métropolitaine est passé de 537 à l’automne de 2017 à tout juste 103 au premier trimestre dernier. JLR est la filiale d’Equifax spécialisée dans les renseignements portants sur une propriété ou un secteur.
Cette tendance à la baisse est appelée à s’inverser. Les ménages canadiens sont parmi les plus endettés du monde, derrière les suisses et les australiens avec une dette totale équivalent à la taille de l’économie canadienne.
« Inévitablement, un niveau d’endettement élevé combiné à des taux d’intérêt croissants amèneront un plus grand nombre de cas d’insolvabilité, comme cela a été le cas dans le passé », concluent les économistes de Desjardins.
Bref, la crise du logement va nous hanter plus longtemps sans doute que les pressions inflationnistes actuelles.
1https://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/blog/2022/canadas-housing-supply-shortage-restoring-affordability-2030
2https://www.cmhc-schl.gc.ca/fr/professionals/housing-markets-data-and-research/market-reports/housing-market/housing-supply-report
3https://www.desjardins.com/a-propos/etudes-economiques/actualites-marches-financiers/point-de-vue-economique/index.jsp