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Viktor Orbàn, premier ministre hongrois depuis 14 ans.
Antoine Char
Attention ! Un éléphant vient d’entrer dans un magasin de porcelaine ! Viktor Orbàn assume depuis le 1er juillet et pour six mois la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne.
Depuis 14 ans qu’il dirige la Hongrie, il a cherché à tout casser sur son passage. Populiste de droite, eurosceptique, le sulfureux premier ministre de 61 ans a toujours ouvertement attaqué les « bourreaux excités » du Parlement européen, à ses yeux un repaire de « libéraux et gauchistes ».
Son cheval de bataille : torpiller les résolutions portant sur l’aide à l’Ukraine dans sa guerre contre Moscou. C’est d’ailleurs dans la capitale russe qu’il s’est rendu le 5 juillet sans prévenir un seul dirigeant européen.
« Viktor Orbàn est proche de [Vladimir] Poutine et aime à le faire savoir. il estime ainsi être parmi les “ grands ”. Son déplacement s’est fait à titre personnel et non au nom de la présidence du Conseil », rappelle Pascale Joannin, directrice générale de la Fondation Robert Schuman à Paris (échange de courriels).
Cavalier seul
Même si sa « mission de paix » avec son « ami » russe a fait chou blanc, quatre jours plus tard il rencontrait Xi Jin Ping à Beijing, pour les mêmes raisons.
En décidant de faire cavalier seul pour trouver une solution à la guerre en Ukraine, voisine de la Hongrie, Orbán s’est isolé davantage de ses homologues européens. Qu’à cela ne tienne. Il est de plus en plus en bonne compagnie avec près de 200 élus d’extrême-droite sur les 720 députés siégeant à Strasbourg.
Vingt-quatre heures avant de prendre les rênes du Conseil de l’UE, le dirigeant hongrois mettait sur pied les « Patriotes pour l’Europe » groupe parlementaire contre le soutien militaire à l’Ukraine, son adhésion à l’UE et à l’OTAN, contre « l’immigration illégale », et pour la « famille traditionnelle ». À sa tête, Jordan Bardella, le président du Rassemblement national (RN).
Si la Hongrie, qui a tout de même condamné l’invasion russe de l’Ukraine, a réussi à bloquer au moins 40 % des décisions de l’UE sur Kyiv, ce pourcentage risque de grimper avec les nouveaux venus de la « droite dure ».
« Démocratie illibérale »
Chantre de l’extrême-droite européenne, Orbán défend bec et ongles sa « démocratie illibérale », terme forgé par le politologue et journaliste américain Fareed Zakaria. (1)
Qu’est-ce ? Une « démocratie » où l’état de droit est en panne. Bruxelles préfère parler de « régime hybride d’autocratie électorale ». Qu’importe les mots, la réalité est la même : moins de liberté sur tous les plans.
Malgré tout, « Viktator », comme le surnomment ses détracteurs, a été quatre fois élu. Comment expliquer sa longévité politique ?
« Il la doit à un contexte politique où ses prédécesseurs de gauche se sont décrédibilisés fortement et où pendant longtemps existait une droite plus dure : Jobbik. Par ailleurs, l’opposition a eu du mal à s’unir pour lui résister », note Pascale Joannin.
C’est sans doute aussi parce qu’il fait partie de la flopée des « nouveaux autoritaires ». (2) Qu’ont-ils en commun ? Leur pouvoir personnel est basé le plus possible en écartant tout contrepoids à leur autorité.
La liste est longue : Erdogan (Turquie), Modi (Inde), Maduro (Venezuela), Kagame (Rwanda) et bien sûr Trump avec qui Orban a des atomes crochus. Son slogan de la présidence du Conseil de l’UE est d’ailleurs Make Europe Great Again, en écho à celui de l’ex-président américain qu’il a rencontré le mois dernier à Mar-o-Logo en Floride espère voir réélu le 5 novembre.
« Scandale absolu »
Un mois et demi après avoir pris la tête de la présidence de l’UE (3), Orbán poursuit son bras de fer avec ses homologues européens. Le même scénario se dessine que lors de sa dernière présidence il y a 13 ans où il se vantait d’avoir administré des « chiquenaudes, claques et gifles amicales » aux « bourreaux excités » de Strasbourg et Bruxelles.
Mais comment un pays « pas tout à fait démocratique » peut-il présider le Conseil de l’UE, même pour six mois ? La réponse est cinglante. « C’est un scandale absolu », explique Christian Lequesne, professeur à Science Po Paris (échange de courriels).
« Les Hongrois prennent les autres pays en otage en permanence en offrant des provocations. Peu de pays ont le courage de contester l’illibéralisme de la Hongrie car on ne veut pas non plus que la Hongrie bloque. »
Orbán cependant, n’est pas le seul à avoir menacé les valeurs européennes. L’Autriche, la Roumanie et la Pologne ont également été épinglées pour leurs violations de l’état de droit au nom de « valeurs chrétiennes et conservatrices ». (4)
Expulsion impossible
La Hongrie a beau bomber le torse en retardant jusqu’en 2030 au moins son entrée dans la zone euro, elle a plus que jamais besoin des fonds européens qui représentent 10 % de son PIB. Elle n’a donc jamais menacé de quitter l’UE, une « poule aux œufs d’or ».
Pour Christian Lequesne, « elle en profite bien. Les sondages d’opinion montrent un des pays les plus favorables à l’adhésion ».
Peut-elle être expulsée ? « On ne peut expulser la Hongrie, mais on peut la priver de son droit de vote (aticle 7 du traité sur l’Union européenne), mais qui requiert la règle de l’unanimité. »
Alors Viktor Orbán ? Un loup dans la bergerie européenne. Sans véritables crocs.
- (1) https://web.archive.org/web/20110118205752id_/http://www.unc.edu/~rlstev/Text/Illiberal%20democracy.pdf
- (2)https://www.institutmontaigne.org/expressions/les-nouveaux-autoritaires-portraits-des-nouveaux-hommes-forts
(3) Concrètement que veut dire la présidence tournante du Conseil de l’UE ? « Chaque semestre un État membre assure la présidence du Conseil. Les pays s’organisent en trios de présidences. Étalés sur 18 mois, ceux-ci leur permettant d’établir un ensemble de priorités et un calendrier de travail communs. En 2023, l’Espagne a ouvert un nouveau trio de présidences, avec la Belgique et la Hongrie. Le pays qui préside le Conseil a avant tout un rôle de médiation, dans l’objectif de parvenir à des consensus entre les États. » (Pascale Joannin, directrice générale de la Fondation Robert Schuman à Paris)