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Capture d’écran
Le gouvernement travailliste de Keir Starmer a affronté en août sa première crise majeure avec des émeutes qui ont éclaté après l’attaque au couteau qui a coûté la vie à trois fillettes lors d’un cours de danse le 29 juillet à Southport, dans le nord-ouest de l’Angleterre.
Claude Lévesque
Keir Starmer est devenu le premier ministre du Royaume-Uni le 5 juillet. Moins d’un mois après son entrée en fonction, il a dû faire face à une crise majeure. Le meurtre de trois fillettes à Southport, dans le nord-ouest de l’Angleterre, a déclenché des émeutes dans plusieurs villes du Royaume-Uni, principalement en Angleterre et en Irlande du Nord.
Les émeutiers ont attaqué des mosquées et des refuges pour demandeurs d’asile, tenté d’incendier certains de ces bâtiments et s’en sont pris physiquement à des individus dans la rue. Des affrontements ont également éclaté entre des émeutiers et des policiers.
Des centaines d’arrestations
Plusieurs centaines d’agitateurs ont été arrêtés par les forces de l’ordre et accusés de divers méfaits devant les tribunaux. Ils sont âgés entre 11 et 81 ans (1).
Le gouvernement travailliste, de même que la majeure partie de la classe politique et de la presse, ont mis les émeutes sur le compte de l’extrême-droite, une accusation qui semble fondée. En tout cas, les participants à ces troubles étaient de toute évidence animés par des sentiments anti-immigration et xénophobes.
Il reste à savoir si les évènements témoignent d’une tendance lourde ou s’ils appartiennent à la catégorie des épiphénomènes. Les opinions à cet effet varient.
Les événements rappellent à certains observateurs la violence qui avait eu cours dans les années 1960 et 1970 et qu’on avait attribuée, non sans raison, au National Front. Évidemment, la façon dont elles ont éclaté et se sont répandues cette fois-ci est différente, ne serait-ce qu’à cause de l’existence des réseaux sociaux (2). Par ailleurs, il apparaît assez clairement que les responsabilités sont plus diffuses qu’il y a un demi-siècle, bien qu’une organisation appelée English Defence League ait souvent été montrée du doigt.
Manifestations pro-immigration
Ce qui est assez rassurant, c’est que des manifestations organisées pour condamner la violence et exprimer de la solidarité envers les immigrants ont réuni beaucoup plus de monde que les émeutes.
Ce qui a été démontré d’autre part, c’est que ces dernières ont été attisées, pour ne pas dire déclenchées, par la désinformation répandue sur les réseaux sociaux par des influenceurs comme Andrew Tate (3) et Tommy Robinson (4), et relayée par des sympathisants ou des politiciens de l’extrême-droite.
Nigel Farage, le chef du UK Reform Party, fait partie des hommes politiques qui ont relayé (sur le mode interrogatif, faut-il quand même souligner) l’idée voulant que le meurtrier des fillettes puisse être un musulman n’ayant pas la citoyenneté, ce qui était faux : ce dernier, âgé de 17 ans, est bel et bien né au Royaume-Uni, dont il a la citoyenneté. Farage avait repris les « tweets » et autres communications de Robinson.
Un contexte particulier
Les évènements se sont produits dans le contexte des tensions qui règnent depuis plusieurs mois autour du débat sur l’immigration et particulièrement autour du fait que des milliers de migrants atteignent les côtes britanniques à bord de radeaux pneumatiques (5).
Le gouvernement travailliste de Keir Starmer a enterré le projet de déportation vers le Rwanda que son prédécesseur conservateur, Rishi Sunak, avait voulu mettre en oeuvre à l’intention des migrants « illégaux ». Le projet des tories visait à dissuader les migrants de choisir des voies illégales pour se rendre au Royaume-Uni, mais il avait été critiqué pour des raisons relatives au droit humanitaire, notamment.
Starmer a promis de s’attaquer au phénomène des smallboats en ciblant plutôt les réseaux de passeurs, ce qui nécessite d’y consacrer des ressources importantes. Évidemment, il est trop tôt pour dire si le changement de cap va produire des résultats positifs. Le 15 juillet, soit dix jours après l’intronisation du premier ministre, 427 personnes ayant fait la traversée à bord de sept embarcations ont posé le pied sur le sol anglais, et deux semaines plus tard, le triple meurtre de Southport a été commis. Il n’en fallait pas plus pour que les conspirationnistes de conviction xénophobe s’en donnent à coeur joie.
Pour le moment, l’année 2024 s’annonce une des plus meurtrières pour les passagers des smallboats qui s’aventurent sur la Manche. Le 3 septembre, un de ces canots s’est cassé en deux au large des côtes françaises, entraînant la mort d’au moins une douzaine de passagers.
1 Who are the rioters and what jail sentences have they received?, BBC, 23 août 2024.
2 Daniel de Simone, Riots show how the UK’s far right has changed, BBC, 20 août 2024
3 Ancienne vedette de kickboxing et influenceur américano-britannique, surtout connu pour ses positions masculinistes tombant carrément dans la misogynie.
4 Cofondateur de l’English Defence League en 2009, après avoir adhéré un temps au British National Party. S’adonne au hooliganism et fait de la prison après avoir été reconnu coupable de divers délits.
5 What is behind the anti immigrant violence that exploded across Great Britain, Danika Kirka, Associated Press, 5 août 2024