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Que la journée internationale pour le droit des femmes soit « un jour favorable pour toutes les Afghanes », a souhaité le 8 mars le ministère des Affaires étrangères du gouvernement taliban. En ajoutant, le plus sérieusement du monde : Kaboul leur permettra « d’avoir une vie honorable et bénéfique, à la lumière de la noble religion de l’islam et de nos traditions ».
Antoine Char
Elles sont désormais seules au monde. Contraintes de rester chez elles. Exclues de tous les secteurs. Elles paient le prix fort depuis sept mois. « Elles » s’appellent Zahar, Chalipa, Donya, Gita… Peu importe leurs prénoms, l’histoire semble en train de se répéter pour les Afghanes avec le retour des talibans à Kaboul, le 15 août dernier. Pendant cinq ans, de 1996 à 2001, lors du premier règne des fondamentalistes, elles ne respiraient plus sans porter la burqa. Travailler, étudier, faire du sport, ou sortir seules dans la rue leur était interdit. Le 17 septembre, le ministère des Femmes fermait boutique, remplacé par celui de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice.
« C’est la police des moeurs, correspondant à la Mutawa d’Arabie saoudite. Le réinstaller dans les anciens locaux du ministère des Affaires féminines était un symbole fort », explique, dans un échange de courriels, Jean-Luc Racine, directeur de recherche émérite au CNRS (Centre national de la recherche scientifique) à Paris.
Mystère, mystère
Sous le premier régime des talibans (1996-2001), cette police des moeurs fouettait les femmes marchant seules, sans mahram (époux ou proche membre de la famille qui sert de chaperon).
Pour l’heure, abonde Racine, « on entend dire que le ministère des Affaires féminines pourrait rouvrir, mais n’est-ce qu’une vague promesse, et quelle forme prendrait-il ? Mystère. »
Mystère également sur la résistance de certaines Afghanes. Depuis le retour des talibans, plusieurs manifestations ont eu lieu, notamment pour dénoncer la composition le 7 septembre d’un gouvernement taliban sans femmes.
Quatre militantes féministes ont été arrêtées en janvier avant d’être libérées le mois dernier. Leurs manifestations se font de plus en plus rares. « Le point majeur sur la question est devenu celui de la disparition de femmes ayant animé certaines des manifestations », craint Racine.
C’est surtout sur les réseaux sociaux qu’elles se battent où elles partagent des photos d’elles-mêmes en portant des voiles et des robes traditionnelles colorés (#DoNotTouchMyClothes).
« Toutes les femmes ne sont pas habilitées à résister dans un pays aussi patriarcal; l’oppression est tellement systématique que la présence ou non des talibans ne change rien », rappelle Carol Mann, sociologue française spécialisée dans la problématique du genre et des conflits armés (échange de courriels).
Ainsi, une épouse est toujours considérée comme un « bien » appartenant à la belle-famille et le taux de mortalité maternelle est un des plus élevés au monde. Une femme meurt toutes les demi-heures des suites d’un accouchement difficile, selon l’ONU.
Bien que toujours victimes de ségrégation, les Afghanes ont acquis des droits fondamentaux ces 20 dernières années, surtout dans la capitale.
« Le drapeau américain flotte au-dessus de notre ambassade à Kaboul. Et, aujourd’hui les femmes de l’Afghanistan sont libres. » George W. Bush bombait le torse lors de son discours sur l’état de l’Union, le 29 janvier 2002. Mais, il n’avait pas tout à fait tort. Et, c’est parce qu’elles sont les premières victimes du retour des talibans qu’elles montent au front.
Courage fou
Pour Carol Mann, la « résistance actuelle est le fait de jeunes femmes qui ont eu accès à l’éducation et aux possibilités de vie alternatives. Les résistantes que nous voyons à la télévision sont des jeunes femmes urbanisées ayant gagné de l’argent ce qui leur a conféré une indépendance financière inédite […]
Il y a des résistantes plus discrètes – je pense aux institutrices qui ont été renvoyées et donnent des cours clandestins aux jeunes filles interdites à l’école […] Il faut un courage fou pour le faire, ainsi qu’aux mères et aux femmes qui les encouragent. »
À l’intérieur de ces « appartements-écoles », il y a souvent une machine à coudre pour faire diversion en cas d’une visite surprise d’un taliban. Reste qu’à peine 13 % des Afghanes de plus de 15 ans sont alphabétisées dans les centres urbains. En zone rurale, où vivent les trois quarts des 39 millions d’Afghans, 90 % des femmes ne savent ni lire ni écrire.
Règle générale, les familles acceptent que leurs filles soient éduquées jusqu’à leur puberté et tous les grands élans de modernité se volatilisent avec les chefs religieux.
Ironie de l’histoire, « plusieurs hauts responsables talibans basés au Qatar ont envoyé leurs filles dans des universités à l’étranger, ce qui représente un nouveau changement depuis les années 1990 », rappelle Hervé Nicolle, codirecteur de Samuel Hall, un centre de recherche sur les migrations basé à Kaboul (échange de courriels).
Une résistance qui s’essouffle ?
Kaboul ne résume pas l’Afghanistan. Dans les campagnes, les Afghanes vivent encore et toujours dans un univers très clos, même si elles ont souvent joué un rôle majeur dans la survie d’un pays déchiré par une quarantaine d’années de guerre.
Dans la capitale, la jeune génération de femmes « qui n’a pas connu le premier épisode taliban et qui a été ouverte à certains aspects de la modernité […] ne veut pas revenir en arrière », explique encore Nicolle.
« Les réseaux sociaux jouent de ce point de vue un rôle important, car ils sont difficiles à contrôler par le pouvoir taliban et parfaitement maîtrisés par la jeune génération des 15-30 ans. Certes, cette réalité est surtout urbaine, mais elle est décisive car elle contribue à forger les opinions en Afghanistan comme à l’extérieur. Elle entretient aussi l’espoir et les réseaux d’activisme. »
L’espoir cependant s’amenuise tous les jours un peu plus. Éparses, désorganisées les manifestations des Afghanes sont toujours guettées par les talibans et se font rares depuis l’assassinat le 5 novembre de quatre d’entre elles, dont Frozan Safi, 29 ans, considérée comme la première défenseuse des droits des femmes.
Que ce soit des hommes ou des femmes qui s’opposent aux « talibs », ils sont toujours qualifiés de « criminels ». Qu’importent leurs revendications.
Avec la guerre en Ukraine, l’Afghanistan n’est plus un point chaud médiatique et si la communauté internationale s’est engagée à plusieurs reprises à soutenir les droits des Afghanes luttant contre l’obscurantisme taliban, depuis le 15 août, elle est plutôt aphone.
Zahar, Chalipa, Donya et Gita sont vraiment seules au monde.
Voici des vers écrits par des femmes pachtounes (minorité la plus importante de l’Afghanistan).
« Père tu m’as vendue à un vieil homme / Que Dieu détruise ta maison; j’étais ta fille. »
« Quand des sœurs s’assoient ensemble, elles font toujours l’éloge de leurs frères / Quand des frères s’assoient ensemble, ils vendent leurs sœurs à d’autres. »
« Mon chéri, tu es comme l’Amérique / À toi la faute, à moi l’excuse. »
Ces vers sont extraits d’un article paru sur le site suivant :