À propos de l'auteur : Dominique Lapointe

Catégories : International

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Le physicien Albert Einstein et l’éventuel père de la fusée Saturne V, Wernher von Braun, ont misé juste lorsqu’ils ont quitté l’Allemagne nazie pour s’installer aux États-Unis. C’est non seulement la liberté de chercher qu’ils ont trouvée, mais également une société où la science allait façonner la modernité du siècle. Toutefois, ils ne pouvaient imaginer qu’un producteur de télé-réalité allait un jour devenir président et tenter de démanteler cet héritage devenu embarrassant pour lui. Une percée vers l’ignorance de destruction massive.

Dominique Lapointe

Biologie chez Pasteur en France, anthropologie de Max-Planck en Allemagne, robotique de Tsukuba au Japon, tous les États industrialisés ont leurs fleurons de la recherche qui ont été des moteurs de leur système d’éducation et de leur économie. Mais aucune société n’a vraiment rivalisé avec les États-Unis d’après-guerre.

Initialement boudés par l’Académie royale de Suède, les États-Unis ont fini par rafler la moitié des prix Nobel de sciences au cours du siècle dernier. Fait intéressant, ces honneurs ont été régulièrement attribués à des immigrants, comme Albert et Wernher.

Les meilleures universités au monde ? Harvard, Stanford, MIT, CalTech, le pays est toujours le plus cité dans les 10 ou 50 premiers établissements les plus prestigieux, quelle que soit la méthodologie utilisée.

Un effort qui n’a rien d’un hasard conjoncturel mondial, mais qui relève d’une stratégie nationale savamment orchestrée avec les grandes universités, les centres de recherche et, pour beaucoup, les agences gouvernementales fédérales qui comptent pour la moitié des fonds en recherche fondamentale dans les laboratoires fédéraux et universitaires.

Mais le président élu Donald Trump, avant même son entrée en fonction, met en péril cette construction qu’on veut sans fin du savoir et qui a un impact direct sur la qualité de vie, non seulement des Américains, mais de l’ensemble des Terriens.

La provoc sanitaire de Trump

Donald Trump n’est pas un sot. Il manque profondément de culture, comme en fait foi son vocabulaire limité qui ne manque pas de « formidables ». Il est par ailleurs suffisamment intelligent pour s’en apercevoir et il se défend avec un mépris certain pour ceux qui savent davantage que lui.

En 2020 en pleine conférence de presse, sa proposition de traiter la COVID avec des injections de javellisant devant la responsable de la réponse fédérale à la crise, la Dre Deborah Birx, avait scandalisé tout son entourage. L’opération des autorités de santé pour limiter les dégâts dans le public fut considérable.

Aujourd’hui, le choix de Robert F. Kennedy Jr, en tant que futur secrétaire à la Santé et Services sociaux des États-Unis procède de la même diablerie.

En 2008, Barack Obama avait pourtant jonglé avec sa candidature comme administrateur de l’agence de Protection de l’Environnement (EPA) étant donné son expérience d’avocat dans la défense des milieux naturels, mais son passé de toxicomane l’en avait dissuadé.

RFK Jr s’est par la suite converti à la théorie conspirationniste qui prétend que son père, le procureur général Robert F. Kennedy, et son oncle, le président JFK, auraient été les victimes d’un complot politique.

D’un complot à l’autre, Kennedy développera une fixation sur la vaccination et broiera de la Big Pharma qui contrôlerait selon lui l’information des grandes chaînes de télé. Tout comme l’industrie alimentaire qui s’emploierait à empoisonner le public, sans oublier le fluor ajouté à l’eau potable qui intoxique les villes.

Trump vient tout juste d’annoncer qu’au premier jour de sa présidence, il lui confierait la responsabilité d’une enquête sur les vaccins dangereux pour les enfants, comme le vaccin ROR qui provoquerait l’autisme, une crainte infondée qui court toujours après 25 ans de réfutations scientifiques.

Mais, peu importe les résultats d’une telle démarche, le résultat serait d’emblée catastrophique car le contrôle des maladies infectieuses contagieuses passe obligatoirement par l’immunité collective induite, la proportion de population vaccinée, c.a.d. par la confiance du public.

En 2019, Kennedy s’est rendu aux Îles Samoa pour y rencontrer un ami activiste anti-vaccin bien connu de la région Pacifique, alors qu’une épidémie de rougeole commençait à se propager. Il écrira même au premier ministre samoan pour lui signaler que le vaccin est peut-être responsable de la situation car il développerait des souches résistantes aux anticorps naturels des enfants.

Dans les faits, la cabale anti-vaccin avait plutôt fait chuter la couverture vaccinale des nouveaux-nés de 74 à 34 % en une seule année. Résultats : 5700 cas et 83 morts.

Kennedy et al.

S’il est confirmé dans son poste, Bobby, comme son patron l’appelle, aura du soutien dans ses élucubrations.

À la direction des Centres de contrôle et de prévention des maladies, les CDC, Trump en remet en nommant David Weldon, un médecin et candidat républicain défait au Sénat en 2012. Un défenseur de la thèse vaccin-autisme deviendrait donc responsable de la réponse nationale en cas d’épidémies de maladies infantiles ou de pandémie de grippe aviaire létale, celle qu’on redoute tant.

À la tête des fameux NIH, les Instituts nationaux de la santé, une norme internationale en matière de recherche médicale, Trump a désigné Jay Bhattacharya, un médecin économiste de l’Université de Stanford.

Soulignons que les NIH gèrent un budget annuel de près de 50 milliards de dollars US, le plus important fonds de recherche médicale au monde.

Bhattacharya est un des auteurs principaux de la déclaration de Great Barrington en 2020 sur la pandémie de COVID 19. Un document parrainé par une organisation libertarienne qui préconisait le confinement de toutes personnes vulnérables et âgées, et de laisser le virus se propager dans le reste de la population pour atteindre rapidement une immunité collective naturelle.

Une approche qui, à l’époque, fut unanimement dénoncée par la communauté scientifique la qualifiant tantôt de ridicule, tantôt de périlleuse, ou même d’eugénisme. C’eût été une hécatombe incommensurable avec les mutations du SARS-Cov-2.

À l’administration des Aliments et Produits médicaux, la FDA, Trump veut asseoir Martin Makary, un chirurgien et gestionnaire reconnu, qui approuvait les mesures de lutte à la pandémie mais qui, comme encore plusieurs antivax aujourd’hui, soutenait que les risques de dose de rappels du vaccin étaient supérieurs aux avantages chez les jeunes. Le fameux risque de myocardite qui, comme les études l’ont démontré, est de loin plus sévère, quoique très rare, chez les non vaccinés.

Donald Trump adore les gens sous les projecteurs. Rien de tel qu’un indéfectible MAGA, Kash Patel, pour diriger le FBI. Partisan de la théorie du « deep state », il en a même publié des livres pour enfants dans sa série The Plot Against the King dans lesquels la méchante Hillary Queenton (comprendre Clinton) fomente des coups bas contre le roi.

Et les vaccins selon lui ? Des produits commerciaux auxquels il aimait associer son image, Patel faisait la promotion de pilules censées réparer l’ADN détruit par les vaccins ARN messager. Une divagation à la mode chez les anti-vaccins.

Ajoutons Ron DeSantis, pressenti pour remplacer la candidature devenue trop embarrassante de Pete Hegseth à la gouverne du Pentagone. Soulignons que le gouverneur de Floride voulait mettre en place un grand jury en 2022 pour enquêter sur les « crimes » causés par les vaccins contre la COVID-19 et la soi-disant manipulation des professionnels de la santé.

À surveiller toutefois, la candidature discordante du Dr Janette Nesheiwat au poste de Surgeon General, une farouche défenderesse de la santé publique qui a qualifié les vaccins anti-COVID  de « don de dieu » en 2020. Comme quoi on ne comprend pas toujours la suite dans les idées de DonaldTrump.

Drill, baby, drill !

Dans son premier discours le soir de sa récente victoire, Trump a bien mis en garde Kennedy, avocat de l’environnement :  « Bobby, tiens-toi loin de l’or liquide (pétrole n.d.l.r.), mais pour le reste, amuse-toi bien ! »

Car le président élu a bien l’intention de rappliquer pour sortir à nouveau son pays de l’accord de Paris sur les changements climatiques comme il l’avait fait en 2017. Et son gisement de climato-sceptiques est sous pression.

Il a même créé un nouveau Conseil national de l’Énergie, bras armé du Secrétariat intérieur, chargé de mettre au pas les agences et bureaux qui encadrent la protection des milieux naturels, des parcs nationaux aux pêcheries, en passant par les mines et les affaires autochtones. Le titulaire de cette créature bicéphale, le gouverneur républicain Doug Burgum du Dakota du Nord, un État historiquement agricole, aujourd’hui rongé par l’industrie du gaz et des mines.

Comme secrétaire à l’Énergie, Chris Wright, un climato-sceptique avoué et p.d.-g de Liberty Energy, une société spécialisée dans la fracturation hydraulique pour l’extraction du gaz naturel. Un procédé hautement controversé. Il est bien résolu à mettre fin aux politiques alarmistes des démocrates qu’il assimile au communisme soviétique.

À l’EPA, l’agence de Protection de l’Environnement, le choix s’est arrêté sur Lee Zeldin, un ex-gouverneur et sénateur républicain qui n’a aucune expérience dans le domaine, contrairement à Michael Regan, l’administrateur actuel. Dans le passé, Zeldin a régulièrement voté contre les politiques pour la lutte aux changements climatiques et la protection des écosystèmes. Son objectif : réduire la réglementation qui entrave le slogan républicain de la campagne électorale de 2016, Drill, baby, drill !

Et comme les changements climatiques sont à l’origine de plus en plus de catastrophes aux États-Unis, on a pensé à la gouverneure du Dakota du Sud, Kristi Noem, pour piloter le département de la Sécurité intérieure. Une autre qui ne croit pas à l’origine anthropique des changements climatiques et qui sera pourtant responsable de la FEMA, l’agence fédérale de Gestion des Catastrophes, entre autres climatiques.

L’espace d’Elon Musk

Créée en 1958, l’Administration nationale de l’aéronautique et de l’espace, la NASA, avait comme mission première de propulser des humains dans l’espace pour rattraper les prouesses soviétiques.

Mais au fil des décennies, elle est devenue un pilier essentiel de l’exploration robotisée du système solaire, de notre compréhension de l’Univers avec une multitude d’observatoires spatiaux, et surtout, un architecte incontournable de la surveillance de la santé planétaire et des communications qui en assurent la qualité de vie.

Pour gérer le tout, Trump a désigné un milliardaire inconnu du milieu scientifique, Jared Isaacman, un astronaute amateur qui a financé deux voyages de tourisme spatial à bord de lanceurs Space X d’Elon Musk. Ce dernier, nouvelle éminence du président élu, tourbillonne dans sa soutane.

Un mépris sans nom pour une organisation qui a réussi à conserver son lustre dans de nobles vocations à mesure que l’intérêt et l’utilité des missions habitées s’émoussaient. Et ce choix symbolique est pire que de revenir soixante ans en arrière, car Alan Shepard et John Glenn n’avaient rien de touristes à l’époque.

Sauve qui peut !

Le prochain mandat présidentiel prend donc des allures de télé-réalité où on ne sait pas quelle agence, programme, laboratoire ou scientifique restera indemne à la fin de la série.

Bien sûr, au moment d’écrire ce texte, à moins d’un subterfuge dont seul Trump a le secret, ces nominations devront passer non seulement le cap de l’approbation informelle du caucus républicain, ce qui a déjà fait des victimes, mais aussi la sanction officielle du Sénat, à majorité républicaine.

Ces personnalités demeurent toutefois la partie visible du drame pour l’instant car, une fois en poste, qui seront les subalternes nommés par ces sbires pour faire la sale besogne et, en plus, où seront appliquées les réductions de personnel titanesques prévues par Elon Musk et son partenaire de danse couperet Vivek Ramaswamy ?

Quoiqu’il en soit, les scientifiques n’ont pas le choix. Ils tenteront, encore une fois, de sauver les meubles … et de cacher le reste.

En 2016, avant l’entrée en fonction de Donald Trump, des chercheurs ont entrepris de copier et entreposer en lieu sûr des millions de données, entre autres sur l’étude du climat. Le projet de l’époque baptisé Environnemental Data and Gouvernance Initiative existe toujours, en plusieurs copies.

Tiens tiens, une nouvelle de dernière heure …

77 prix Nobel viennent de publier une lettre à l’intention du président Trump lui demandant d’annuler l’affectation de Robert F. Kennedy Jr au poste de secrétaire à la Santé.

On raconte que le précieux cerveau l’Albert, conservé au laboratoire du Princeton Hospital, se serait volatilisé !

78 !

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