À propos de l'auteur : Antoine Char

Catégories : International

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Antoine Char

Antoine Char

à Dallas 

«Don’t mess with Texas », oui on ne plaisante pas avec le Lone Star State surtout lors de ces présidentielles où Donald Trump et « ses » républicains ont, comme en 2016 et 2020, tout raflé.

Une fois de plus, celui qui fut pendant quatre ans (2017-2021) l’homme le plus puissant de la planète a recueilli le maximum de voix chez les chrétiens évangéliques texans pour qui les États-Unis sont « un pays élu » et lors de la campagne présidentielle, le « milliardaire » new-yorkais reconnu coupable de 34 chefs d’accusation, les a comblés en menant à fond de train la « guerre spirituelle » contre « l’ennemi de l’intérieur ».

Pas étonnant, le deuxième État le plus peuplé (30 millions d’habitants) après la Californie (40 millions) a 210 megachurches, ces églises évangéliques, avec leurs salles de gym, restaurants et cafés accueillant en une seule journée au moins 10 000 fidèles. Et, Dallas, pourtant démocrate, en est la capitale après avoir été le centre névralgique du Ku Klux Klan, né au lendemain de la guerre de Sécession (1861-1865) afin de tout faire contre la liberté nouvelle des Noirs.

Il y a un siècle un Dallasite sur trois portait une toge blanche en se dissimulant sous une cagoule. Risquant sa santé financière, un quotidien texan déclara alors la guerre à la société secrète raciste : le Dallas Morning News (DMN) dirigé alors par George Bannerman Dealey. Une place honore sa mémoire en plein cœur de la ville : Dealey Plaza.

The City of Hate

C’est là que le 22 novembre 1963, John Fitzgerald Kennedy à bord de sa Lincoln décapotable noire fut assassiné.

La ville entra alors dans l’histoire en devenant The City of Hate. Si les onze présidents qui succédèrent à Kennedy vinrent tous à Dallas, aucun ne se rendit à Dealey Plaza.

Pourquoi ? Bill Minutaglio, ex-journaliste au DMN et co-auteur de Dallas 1963, a une explication : « Peut-être que les présidents n’ont-ils vu aucun avantage politique à une visite officielle et cérémoniale. Peut-être l’ont-ils considéré comme une intrusion macabre et voyeuriste dans un lieu où un homme avait été abattu devant sa femme – et par profond respect pour l’homme et sa famille, ont-ils décidé de ne pas visiter le site. »

Peu importe les raisons, Dealey Plaza a beau avoir été classé monument historique en 1993, elle reste une plaie ouverte au cœur de la ville qui a donné son nom à la mythique série Dallas (1978-1991). En arrivant dans la troisième ville du Texas, Kennedy aurait dit à son épouse Jackie : « Nous voici au pays des dingues. »

Les blue dogs, démocrates conservateurs

Un « pays » en tout cas républicain qui a offert sur un plateau d’argent ses 40 grands électeurs à Trump.

Aucun État n’est aussi « payant » pour le GOP (Grand Old Party), malgré une immigration de plus en plus prononcée d’États démocrates comme la Californie (plus d’un million ont rejoint les banlieues de Dallas et Houston notamment) avec leur population hautement scolarisée. Depuis 1980, le Texas n’a soutenu aucun candidat démocrate à la présidence. Pourtant, comme bon nombre d’États du sunbelt, il a longtemps été un bastion du Parti de l’âne. Un parti alors très conservateur, à l’image de Lyndon Baines Johnson, que Kennedy choisit comme vice-président pour se donner le maximum de chances au Texas.

Ces démocrates conservateurs ou conservateurs démocrates, longtemps surnommés blue dogs, ont tourné le dos à leur formation pour rejoindre le Parti républicain. Ils rejetèrent le virage à gauche pris par leur parti dans les années 1990.

Ces ex-démocrates étaient tout sauf des RINO (Republicans in name only). Ils sont même devenus plus républicains que les « vrais » et forment le gros du bataillon soutenant Trump II qui est même la nouvelle casa des Latinos surtout auprès des hommes qui ont voté à 45% pour lui, 13 % de plus qu’en 2020.

L’ultra-conservateur Ted Cruz jubilait lors de sa troisième victoire sénatoriale : « Notre communauté hispanique quitte non seulement le Parti démocrate,  elle rentre à la maison avec des valeurs conservatrices qu’elle n’a jamais quittées. »

Plus de 40 % des Texans parlent espagnol à la casa, contre un peu moins de 20 % au niveau national. Et cela ne les a aucunement empêchés de voter pour Trump, lui qui ne cesse de crier sur tous les toits qu’il veut prolonger le mur entre les États frontaliers et le Mexique avec lequel le Texas partage 2018 kilomètres de frontière.

Rouge sang

Depuis son annexion par les États-Unis, le Texas (république indépendante de 1836 à 1845), a participé à 42 élections présidentielles : il a voté 27 fois démocrate.

Dans cet État où le Lone Star — il ressemble étrangement au drapeau chilien — flotte aussi haut que la bannière étoilée et où on vous rappelle que s’il était indépendant il serait la dixième économie mondiale, ses habitants ont voté à plus de 57 % pour Trump. Un État vraiment rouge sang. Si cette couleur colle aux républicains c’est parce que les deux premières lettres de red correspondent à celles du Parti de l’éléphant.

La dernière fois qu’un candidat à la Maison Blanche a remporté une telle victoire c’était il y a vingt ans avec George Walker Bush (« conservateur avec du coeur », son expression fétiche) quand il avait été réélu à la présidence avec 61 % des voix contre John Kerry.

Étrangement, l’ancien gouverneur texan, considéré « trop modéré », est resté muet dans la course présidentielle, contrairement à son vice-président Dick Cheney qui a donné sa bénédiction à Kamala Harris.

Comme un peu partout dans le paysage politique américain, ce sont les régions rurales texanes qui ont surtout voté pour Trump. Dallas, Houston, Austin (la capitale) et San Antonio, où se trouve Fort Alamo dont le siège par les troupes mexicaines reste au cœur de l’« épopée » texane, sont demeurés des îlots démocrates.

Le Dallas Morning News, rappelait également ceci dans son édition du 7 novembre : « Les républicains du Texas sont devenus plus conservateurs ces dernières années, étreignant le populisme incarné par Trump. » La page éditoriale du quotidien a choisi de se « désister » pour cette présidentielle. À l’instar notamment du Washington Post, du Los Angeles Times, du USA Today et du Chicago Tribune.

 « Société distincte »

Le Texas se veut une «société distincte» avec notamment le libre port d’armes à feu à partir de 21 ans, la peine capitale (cinq hommes ont été exécutés cette année), la criminalisation de l’avortement, y compris en cas d’inceste ou de viol.

Texans et fiers de l’être, les habitants du plus grand État après l’Alaska ayant embrassé les politiques du président et de l’ex-président Trump l’ont aussi fait pour cette raison : ils n’aiment pas les donneurs de leçon que sont pour eux les démocrates. Ces derniers, au Texas ou ailleurs, sont entrés en introspection. «La victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline », déclarait John F. Kennedy, un peu plus de deux ans avant de monter dans sa limousine décapotable noire qui devait le conduire à Dealey Plaza.

« Don’t mess with Texas », jamais un slogan créé il y a plus de 30 ans pour une campagne anti-déchets, n’a autant caractérisé un État américain. Oui il ne faut pas plaisanter avec l’ancienne province mexicaine surtout lorsque son étoile s’appelle Donald Trump.

 

 

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