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Antoine Char
Dans une rue de Dallas quelques heures avant la victoire de Donald Trump.
Serge Truffaut
C’est le cas de le dire : les firmes de sondages qui ont prétendu ausculter les humeurs des citoyens américains des mois durant se sont royalement trompées. Encore une fois, faut-il le rappeler.
Fort d’avoir raflé la mise au Collège électoral, remporté pour la première fois le plus grand nombre de suffrages en trois campagnes, hérité de la majorité au Sénat, maintenu sa force à la Chambre des représentants en plus d’avoir nommé à la Cour suprême trois juges à sa botte lors de son premier mandat, Donald J. Trump pourra disposer à sa guise des trois pouvoirs. Le 20 janvier prochain, il deviendra le chef d’orchestre de l’exécutif, du législatif et du judiciaire.
Voici un tour d’horizon du passé immédiat, du présent et du futur proche.
Le grand perdant : Joe
Le grand perdant du scrutin du 5 novembre n’est pas Kamala Harris, mais bel et bien Joe Biden. N’eût été de cette obstination qui emprunte à l’orgueil ou plus exactement à la vanité ses pires saillies, l’actuel locataire de la Maison Blanche aurait tenu la promesse faite lors de sa campagne de 2020, soit faire un mandat et seulement un.
Il avait alors précisé qu’il souhaitait être un président de transition entre deux générations de dirigeants. Par une de ces ironies dont l’Histoire a le secret, Trump va entamer son mandat à l’âge qui fut celui de Biden lorsqu’il s’installa dans le bureau ovale : 78 ans. Changement de générations, vous dites …
En étant poussé vers la sortie au début de l’été, Biden a énormément augmenté le coefficient de difficulté auquel Harris, mais également tous les candidats à la Chambre des représentants et au Sénat ont été confrontés tout au long de leur campagne. En tout et pour tout, Harris a eu seulement 107 jours pour mettre sur pied une équipe, recueillir des fonds et faire le tour des cantines de Seattle à Jacksonville, de Boston à San Diego.
S’il avait tenu parole, si l’automne dernier il avait indiqué qu’il ne se présenterait pas alors les citoyens en général et les partisans démocrates en particulier auraient eu droit à des primaires. De fait, celles-ci auraient été inscrites en haut de l’agenda médiatique. Cet aspect du dossier enrage particulièrement les conseillers en communication du Parti démocrate.
Cela étant, Trump va énormément bénéficier d’une autre et magistrale faute de Biden : la Cour suprême. Mais encore ? En politicien très expérimenté et surtout en ex-président de la Commission judiciaire, Biden avait constaté que depuis le deuxième mandat de Ronald Reagan les administrations républicaines s’étaient appliquées à transformer la Cour suprême en machine de guerre politique et économique en nommant des magistrats défendant les idées et projets de la droite dure, voire de l’extrême-droite.
Depuis que les ultras conservateurs sont majoritaires — ils sont six et tous catholiques, c’est à retenir —, ils s’emploient à défaire, à détricoter ce qui a été conçu et adopté en amont sur bien des fronts. En clair, le judiciaire déconstruit ce que le législatif avait débattu puis voté. Conscient que l’attitude de la Cour présidée par John Roberts se conjuguait avec le dédain profond pour la démocratie, Biden s’était engagé à réformer le siège social du judiciaire. Qu’a-il fait ? Rien, absolument rien.
Et dire que cette Cour a accordé à Trump, à cet homme déjà reconnu coupable de 34 chefs d’accusation, un élargissement du champ de l’impunité !
Le présent
Il y a quatre ans, Trump avait exprimé par les mots et par les gestes, le dédain que lui inspirait le mécanisme de transition du pouvoir d’une administration à une autre.
Ces jours-ci il a récidivé. Il a refusé de coopérer avec le General Services Administration qui procure à l’équipe du nouvel élu toute l’infrastructure inhérente au passage du relais.
Il n’a donc pas mis sur pied une équipe de transition conventionnelle pour la bonne et simple raison qu’il avait demandé à l’Heritage Foundation et son infâme Project 2025, ainsi qu’au moins connu America First Institute d’organiser la transition. Ainsi donc, l’externalisation d’un mandat fédéral, d’une obligation publique, a d’ores et déjà été accomplie.
Le diable se cachant dans les détails, il se dit que Trump a voulu qu’il en soit ainsi pour la lâche raison qu’il ne voulait pas que ses candidats à divers postes soient les sujets d’enquête du FBI. Car il se dit aussi qu’il veut nommer à nouveau l’ex-général Michael Flynn au poste de conseiller à la Sécurité nationale. Or Flynn a un dossier criminel pour avoir notamment menti au … FBI. Il se dit enfin qu’il veut nommer à nouveau Steve Bannon qui sort tout juste de prison.
Cela rappelé, Trump a signé sa première et très importante nomination : Susie Wiles au poste de chef de cabinet dont l’étendue du pouvoir, on le sait trop peu, est analogue à celle de premier ministre. Jusqu’au 5 novembre, cette femme fut la directrice de campagne de Trump.
C’est d’ailleurs cela, mener des campagnes, qui résume l’expérience politique de Wiles. Elle n’a jamais occupé un poste au sein de l’appareil d’État. En fait, en dehors des combats électoraux elle a été lobbyiste. C’est d’ailleurs cela qui est particulièrement inquiétant.
Car en tant que l’une des dirigeantes de Mercury, le géant de ce milieu, celui de l’ombre, elle a défendu les intérêts de Space X fondée par Elon Musk qui fut le plus important financier de la campagne de Trump, AT&T et autres poids lourds du Dow Jones.
Au cours de sa campagne, Trump a confié à plus d’une reprise qu’il entendait modifier l’architecture de l’appareil d’État, car selon lui les fonctionnaires l’ont empêché d’accomplir un certain nombre de réformes au cours de son mandat précédent. Il est allé jusqu’à avancer qu’il nommerait 50 000 fidèles — oui 50 000 —.
En d’autres mots, il veut renvoyer des milliers de fonctionnaires après avoir annulé les clauses qui les protègent. Une équipe est en place qui est en train de jeter les bases d’une politique qui se confond avec l’arbitraire absolu. Il espère ainsi imposer ses projets sur tous les flancs avec …
Avec le nouveau Department of Government Efficiency comme grand superviseur de cette réforme étatique. Elon Musk a promis que s’il rejoint cette institution, il commandera des coupes budgétaires qui totaliseront deux mille milliards de dollars. Fichtre !
Le futur proche
Le premier de ces flancs a l’immigration pour nom. Il veut déporter des centaines de milliers de migrants, construire des camps, gonfler et de beaucoup le contingent des patrouilleurs à la frontière du Mexique etc … En clair, il colle au biais raciste qui avait fait la fortune de l’extrême-droite dans les années 1930 alors que le pilote Charles Lindbergh était sa figure de proue.
Dans les premières semaines, il entend rétablir son programme Remain In Mexico. Celui-ci stipule que les demandeurs d’asile doivent demeurer au Mexique tant et aussi longtemps que leur cas n’a pas a été étudié. Ensuite, il veut utiliser le Alien Enemies Act of 1798 qui permet d’expulser toute personne suspectée, et donc non jugée, d’avoir commis un crime.
Pour financer les camps de détention qu’il veut établir ici et là dans les États du Sud, Trump va effectuer un déplacement budgétaire. Il va réduire les sommes allouées à la défense pour mieux les refiler à l’administration des camps. Le problème et non des moindres, c’est qu’il sera confronté à un défi plus énorme qu’il n’y paraît de prime abord et auquel Biden et lui-même ont été confrontés : pratiquement personne ne veut travailler à la frontière et dans les camps.
Un jour, Trump a dit que tarif était son mot favori du dictionnaire. Un autre jour, il a jugé que le tarif douanier était la plus grande invention de l’économie. Tout logiquement, il se propose d’imposer une taxe variant entre 10 et 20 % sur les 3 000 milliards de produits importés et 60 % sur ceux provenant de Chine. Et ce, pour le plus grand plaisir de Musk et de ses Tesla. (Sur l’économie, voir l’article de Rudy Le Cours)
Attention ! Il y a danger. Et un sérieux. Les journalistes de Politico ont tout récemment confirmé que Trump voulait que Robert F. Kennedy rejoigne son administration et s’occupe de la santé. Le président élu est allé jusqu’à dire qu’il souhaitait que « Kennedy go wild with health », qu’il fasse ce que bon lui semble.
Pour mémoire, on se rappellera que le fils de Robert Kennedy assure que les vaccins sont la cause de l’autisme et qu’il a écrit un livre dans lequel il assure que Anthony Fauci, ancien patron du National Institutes of Health (NIH), Bill Gates et les compagnies pharmaceutiques ont comploté pour vendre les vaccins contre la Covid. Bigre!
Sur la politique internationale on reviendra bien évidemment.
Au premier jour
Après avoir analysé les discours prononcés par Donald Trump entre novembre 2022 et septembre 2024, le Washington Post s’est appliqué à répertorier les décisions qu’il entend prendre au premier jour de son installation à la Maison Blanche. Les journalistes de ce quotidien ont réalisé qu’à plus de 200 reprises, il a évoqué 41 décisions. En voici un certain nombre.
À 82 reprises, il a souligné qu’il ordonnerait des coupes budgétaires importantes aux établissements scolaires qui donnent des cours sur ce qu’il appelle la « critical race theory » ou critique de la théorie des races et des cours sur le genre et notamment « les insanités sur le transgenre ».
Quoi d’autre ? Il commandera la réduction prononcée des fonds fédéraux aux écoles qui ont adopté et maintiennent l’obligation de porter un masque en certains lieux et d’avoir été vacciné.
À 74 reprises, il a disserté sur l’immigration. Si l’on se fie à ce qu’il entend faire, mettons que la première journée sera très chargée. Un, il va donner le coup d’envoi, selon ses mots, « à la plus importante opération de déportation dans l’histoire américaine ».
Le problème ? Derrière les rideaux les lobbys de l’agriculture, de la construction, de l’hôtellerie et des transports on a commencé à le prier de mettre la pédale douce, car aux États-Unis comme en Europe ce ne sont pas les «p’tits blancs » bien cathos qui font le sale boulot.
Par décret, il annulera toutes les balises frontalières introduites par l’administration Biden. Il restaurera l’interdiction de territoire aux citoyens de pays qui comptent des terroristes en leur sein comme il l’avait fait en 2017. Il abolira l’allocation de citoyenneté automatique aux enfants de migrants illégaux.
À 31 reprises, Trump a répété qu’il annulerait toutes les décisions que l’administration Biden avait prises dans le but de favoriser l’achat des voitures électriques. Il annulera également toutes les règles qui d’ici le 20 janvier auront été identifiées comme liées à la résolution dite Green New Deal que les représentants démocrates avaient proposée en 2019.
En fait, ce que les républicains souhaitent réaliser sur ce front consiste tout simplement à abolir toutes les obligations climatiques qui se trouvent dans le Inflation Reduction Act et autres politiques environnementales.
Enfin, au premier jour il émettra un décret interdisant aux transexuels de participer à des compétitions sportives réservées aux femmes, il abolira le permis de pêche introduit par Biden, il annulera la taxation des pourboires.
Serge Truffaut
Les cibles
Lors de ses discours comme dans ses messages, Donald Trump a martelé qu’il prendrait sa revanche sur un certain nombre de personnalités, qu’il les traduirait devant les tribunaux et autres. Des inventaires effectués sur ce sujet par Politico et le Washington Post, nous avons retenu les noms suivants :
Joe Biden : dans un message, Trump a écrit que le président sortant serait arrêté pour trahison. Dans un discours, il a crié qu’il nommerait un procureur spécial pour poursuivre le vieil homme.
Kamala Harris : ayant favorisé l’invasion de migrants, de dire Trump, Harris sera poursuivie.
Barack Obama : Trump accuse Obama de trahison pour avoir laissé le FBI surveiller la campagne électorale de 2016. En août dernier, il a dit qu’il devrait comparaître devant un tribunal militaire.
Hillary Clinton: pour son usage à des fins personnelles du système de communications du département d’État alors qu’elle en était la patronne, il faudra la poursuivre.
Nancy Pelosi : elle devra être poursuivie au criminel. La raison ? Son mari a vendu ses actions de Visa avant que le ministère de la Justice impose une amende à cette compagnie pour violation de la Loi anti-trust.
Liz Cheney : l’ex-vice-présidente du Comité de la Chambre qui a enquêté sur les événements du 6 janvier est l’une des cibles favorites de Trump qui estime qu’elle est coupable de trahison.
Jack Smith : le procureur spécial chargé notamment d’instruire le dossier du 6 janvier est, selon Trump, « un criminel de carrière » qui a interféré dans le cours de la campagne électorale en plus d’être coupable de méconduite juridique. Il devra être exilé.
Alvin Bragg : procureur général du district de Manhattan à l’origine du procès dont l’actrice porno Stormy Daniels était l’un des principaux sujets, il devra lui aussi être poursuivi.
Mark Milley : ex-chef des états-majors des États-Unis, Milley est l’une des cibles favorites de Trump. Le général a récemment assuré que Trump est « un fasciste dans l’âme ». Le nouvel élu juge que le gradé est coupable de trahison.
James Comey : l’ex-directeur du FBI est une des plus anciennes cibles de Trump qui estime qu’il est coupable d’avoir coulé des informations sensibles à la faveur de la publication de son livre A Higher Loyalty en 2018.
Mark Zuckerberg : pour avoir donné 420 millions $ en 2020 pour l’amélioration de l’infrastructure électorale, Trump estime que le fondateur de Facebook a fait de l’interférence pour que Biden l’emporte cette année-là. S’il continue sur cette voie « on l’enverra en prison pour le restant de ses jours ».