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Militaire, comme son grand-père et son père, mort en 1958 pendant la guerre d’Algérie alors qu’il avait cinq ans, le général Dominique Trinquand a participé à plusieurs opérations, au Liban, en ex-Yougoslavie et en Afrique. Ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU à New York (2006-2008), diplômé de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, il fait le point, par courriel, sur la guerre en Ukraine entrée dans son huitième mois.
Le déluge de missiles russes qui s’abat sur l’Ukraine depuis le 10 octobre est-il un écran de fumée pour cacher les revers militaires de Moscou ?
C’est une réaction pour marquer le fait que le chef [ Vladimir Poutine ] utilise des moyens brutaux comme les radicaux le recommandent.
La décision de Poutine de mobiliser 300 000 réservistes est-elle un premier signe de faiblesse ?
Oui, car il annonçait initialement qu’il ne mobilisera pas et que « tout se déroule selon le plan ». Il est contraint de mobiliser pour combler ses pertes importantes et devant les échecs sur le terrain. Il revient donc sur ses décisions car il est en situation d’échec, sans satisfaire les ultra russes qui demandent une mobilisation complète.
Doit-on prendre au sérieux sa menace de recourir à l’arme nucléaire ?
Non, car il ne fait que proférer des menaces ce qui est dans la logique de la dissuasion. Il a même dit que « si les Occidentaux utilisaient l’arme nucléaire ils doivent savoir qu’il en dispose aussi » ce qui est un aveu de l’utilisation uniquement en réponse et non en première frappe .
Par ailleurs sur le plan stratégique l’utilisation de l’arme nucléaire ce serait l’aveu de son échec et l’isolerait de ses soutiens potentiels (Chine, Inde) et cassant leur vision de la menace nucléaire comme une arme de dissuasion en la transformant en arme d’emploi.
Avec les récents succès militaires ukrainiens, assiste-t-on vraiment à un tournant décisif dans cette guerre ?
Oui, car pour la première fois c’est l’Ukraine qui mène des actions offensives et qui impose sa stratégie sur le terrain. C’est une démonstration de l’usage de la force ukrainienne en utilisant la subsidiarité et l’audace alors que l’armée russe reste limitée par son système de commandement rigide et vertical.
Comment expliquer les percées de l’armée de Kyiv dans les lignes russes ?
L’Ukraine mène deux offensives :
- Dans la région de Kherson l’offensive longuement préparée et annoncée vise à étouffer les forces russes sur la rive Ouest du Dniepr en les coupant de leur logistique. L’annonce de cette offensive a conduit les Russes à dégarnir la région d’Izium pour renforcer Kherson. Les frappes dans la profondeur ont cassé le système logistique russe isolant les forces sur la rive droite du Dniepr.
- Dans la région Karkiv/Izium les Ukrainiens ont attaqué par surprise en concentrant une supériorité de 4/1. Ils ont enfoncé la ligne de défense allégée par les Russes et espèrent bousculer le dispositif au Nord du Donbass. Ils exploitent leurs premiers succès avec beaucoup de détermination et de sens de l’opportunité.
Depuis le début de cette guerre, les forces russes ont-elles été surestimées ?
Oui, sur le plan logistique, de l’équipement, du moral et la capacité de réaction.
Une victoire ukrainienne est-elle possible, comme le croit notamment François Hollande ?
Oui, mais cela va prendre du temps et dépend des événements de déstabilisation de Poutine au Kremlin. C’est à la tête que pourra survenir une sortie de l’impasse dans laquelle Poutine a mis la Russie.
L’Allemagne n’a jamais cru à la victoire de l’Ukraine, est-ce une des raisons qui explique son hésitation à envoyer des chars de combat Marder et Leopard ?
Les Ukrianiens ont beaucoup de véhicules blindés (prises russes et fourniture des pays de l’Est dont l’Allemagne) qu’ils savent utiliser. Les blindés modernes sont nécessaires pour l’Allemagne sous équipée.
Dès le départ , les pays de l’Europe de l’Est n’ont-ils pas eu raison sur la nature du régime de Poutine, contrairement par exemple au couple franco-allemand?
Oui, ils connaissent mieux la Russie pour avoir subi son occupation pendant 50 ans. L’Europe de l’Ouest qui vit dans la paix depuis plus de 75 ans pensait que la guerre n’était plus possible en Europe. Nous avions oublié que la liberté n’est pas un acquis et nécessite un combat à mener dans la durée.
Gonflé à bloc, le président Volodymyr Zelensky parle de reprendre la Crimée sans consulter la communauté internationale. Fanfaronnade ?
Je ne pense pas qu’il puisse annoncer cela sans l’accord des Américains, mais aujourd’hui les Russes s’arque boutent sur ce territoire « historiquement russe ». Ceci présage d’un règlement difficile de ce sujet.
Si le conflit devait se conclure sans traité de paix, pourrait-on assister à un scénario à la coréenne avec une zone démilitarisée entre les deux « frères ennemis » ?
Oui, mais cela dépendra de la situation interne en Russie.
Propos recueillis par Antoine Char