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Dorothée Giroux
Les étudiants en droit de l’Université McGill de retour en classe après la grève de leurs professeurs.
Dorothée Giroux
La grève d’une quarantaine de professeurs à temps plein de l’Université McGill est terminée. La fin du conflit signifie surtout que pour la première fois depuis sa fondation en 1821, Mc Gill doit négocier avec un syndicat. Même si la syndicalisation survient en 2024, la démarche a été difficile et les relations tendues entre les professeurs de la Faculté de droit et l’administration de cette université, située au coeur de Montréal.
Tout au haut de la côte de la rue Peel, devant un des édifices emblématiques de Mc Gill, un groupe d’étudiants en droit discutent de leur grande charge de travail.
Un peu anxieux de la quantité de lectures et de notions à apprendre rapidement, puisqu’ils ont manqué cinq semaines de cours. Mais leur inquiétude est moins grande que pendant la grève, au moment où ils croyaient perdre leur session et devoir rester plus longtemps à l’université pour terminer leur baccalauréat en droit. Certains se sont impatientés, rédigeant même une mise en demeure qui aurait pu ouvrir la voie à une poursuite contre l’administration. Pour d’autres, la solidarité n’a jamais flanché.
« J’ai essayé de trouver autre chose pour m’occuper, je faisais du bénévolat, j’allais à d’autres cours sans y être inscrit mais j’ai gardé l’habitude des lectures et des travaux. Je n’ai pas pris de cours de droit, ni à McGill, ni dans une autre université, par solidarité. J’étais confiant que les gens ici allaient résoudre le problème », confie un étudiant de deuxième année.
Le problème c’est que les 45 professeurs à temps plein de la plus ancienne Faculté de droit au Canada ont demandé une accréditation syndicale en novembre 2021 et l’ont obtenue en 2022. Ils ont alors commencé à négocier une première convention collective, mais la direction de l’Université McGill a aussitôt contesté l’accréditation, invoquant l’impossibilité de gérer une convention avec une seule faculté alors qu’il y en existe plusieurs. L’administration jugeait qu’une telle accréditation était inappropriée, qu’un syndicat devait représenter tous les professeurs de toutes les unités et facultés. Le nouveau syndicat a rapidement eu des doutes sur les raisons données par la direction.
Une nouvelle stratégie
En fait, le syndicat naissant voulait une autre stratégie que celle qui avait empêché les professeurs de McGill de se regrouper pour faire valoir leurs droits au cours des cinquante dernières années. Le coordonnateur du comité de grève, Victor Muniz-Fraticelli, professeur agrégé de droit et de science politique, rappelle une des motivations du groupe.
« L’Université Mc Gill était la seule université au Québec où les professeurs n’étaient pas syndiqués. 85 % des professeurs universitaires au Canada sont syndiqués, nous étions vraiment une exception. De toute la vague de syndicalisation des profs des années 1970, McGill a été exclu de cela, malgré plusieurs essais. »
D’où une nouvelle stratégie : syndiquer une seule faculté plutôt que l’ensemble des professeurs de l’université. Muniz-Fraticelli et ses collègues ont voulu savoir si c’était possible.
« On a eu une excellente avocate qui a dit on va essayer. Comme il n’y avait pas de syndicat à McGill, le champ était libre. Il y avait une possibilité au Tribunal administratif du travail de faire reconnaître la communauté d’intérêts des professeurs, telle que ceux-ci la voient et la décrivent.»
Ces profs ont gagné leur pari en obtenant tour à tour l’accréditation pour la Faculté de droit, une pour la Faculté d’éducation et une autre pour la Faculté des arts.
« Là on est dans un ordre de magnitude complètement différent. On était 45 en droit mais avec les deux autres facultés, on est 500. C’est un quart de tout le professorat à temps plein de McGill qui est maintenant syndiqué. »
Cela aura quand même pris deux ans avant d’en arriver là. Si le syndicat avait une stratégie, la direction n’était pas sans plan de match, non plus.
De l’autre côté, une méthode éprouvée
Le capitaine de grève et professeur agrégé, Victor Muniz-Fraticelli, ne mâche pas ses mots pour décrire les tactiques de l’administration pendant le conflit.
« La stratégie de McGill c’était d’attendre l’audience sur la question de l’accréditation au Tribunal de première instance. L’université ne négociait pas de bonne foi parce que leur stratégie c’est ce qu’on appelle la méthode Walmart. L’avocat de McGill, c’était aussi l’avocat de Walmart. Quand le premier syndicat de cette chaîne de magasins s’est formé au Québec, l’avocat a contesté l’accréditation, a porté cette opposition en cour de première instance, ensuite à la cour d’appel jusqu’à la Cour suprême du Canada. Walmart a perdu en Cour suprême mais les longs délais ont complètement démoralisé les employés et le syndicat s’est effondré. Le syndicat avait gagné au plus haut tribunal du pays mais dans la réalité des choses, les employés n’ont pas pu soutenir leur lutte syndicale. »
Difficile quand même de comparer la situation des employés de Wal Mart à celle des professeurs d’université de McGill, outre la formation d’un syndicat.
Il y a permanence pour la plupart des professeurs et un généreux salaire. Des avantages sociaux et des conditions de travail plus qu’adéquates. Ce que les profs souhaitaient maintenir toutefois, c’est la gouvernance. Faire en sorte de ne pas perdre le contrôle de leurs cours, de leur mode d’enseignement, de leur autonomie et de leur place au sein de la faculté. Mais certains gestes de l’administration ont provoqué la colère non seulement du syndicat, mais aussi des étudiants.
Le débrayage a commencé en avril pendant les examens de fin d’année. Les étudiants en droit attendaient leurs notes en sachant toutefois que les professeurs étaient en grève. Il y a quand même eu une cérémonie de remise de diplômes au Centre Bell, alors qu’aucun professeur avait corrigé les examens des finissants. Peut-on avoir un diplôme sans notation ? Et quelle crédibilité a le document que certains aiment encadrer ? C’est le genre de questions que les étudiants n’ont pas aimé se poser. Julius Grippo est vice-président des communications de l’Association des étudiant.e.s en droit de McGill.
« Cela a créé un malaise pour les personnes en recherche de stages ou en recherche d’emploi. On a continué à appuyer les professeurs mais plus on avançait, plus on se demandait si les grévistes avaient nos intérêts à coeur. Au début tous nos communiqués étaient très critiques de l’administration, par la suite on a écrit une lettre ouverte au syndicat pour souligner l’impact démesuré du débrayage. »
Après un autre imbroglio entre toutes ces parties au sujet de la date à laquelle la session serait annulée, les étudiants ont lancé une campagne de courriels adressés au principal et ont marché avec les grévistes, pancartes au bout du bras, pour demander l’arrêt des contestations et la fin du blocage des négociations.
Quelques jours plus tard, le débrayage était fini avec la garantie que les trois nouvelles accréditations syndicales à l’Université McGill ne seraient plus remises en question.
Si 500 professeurs sont maintenant syndiqués, il en reste 1200 à ne pas avoir ce statut à la plus ancienne des universités au Québec.