À propos de l'auteur : Dominique Lapointe

Catégories : Environnement

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Pilita Clark Financial Times

Dominique Lapointe

La lutte aux changements climatiques a la vie dure. Après deux ans d’une pandémie accablante, voilà que la Russie de Poutine menace de faire exploser la planète, rien de moins. Comme qui dirait, le climat n’est pas très propice à parler de climat. Et pourtant. Le tout récent rapport du GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) est troublant, angoissant même.

Comme la Covid qui explosait en 2020, nous ne sommes plus en mesure d’éviter la catastrophe, mais nous devons nous y adapter, coûte que coûte. Ouragans, tornades, inondations, sécheresses, feux, épidémies, les calamités de l’extrême qu’on attribuait auparavant à la seule nature progressent inexorablement et bouleversent déjà la vie de près de la moitié des Terriens. Mais pour nous les riches, le drame actuel c’est bien davantage le litre d’essence à $2.00…

L’intérêt collectif

Et plus la pression baisse dans les pipelines, plus elle monte dans le public. Le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenny, a tôt fait d’annuler sa taxe provinciale sur les carburants, non sans rappeler que son sable bitumineux redevient séduisant , tant auprès des Américains qu’aux prétendants à la direction du Parti conservateur.

Même le petit frère québécois du PC, Éric Duhaime, y est allé de son plaidoyer pour l’abolition des taxes sur l’essence et, tiens, pourquoi pas, la relance de l’exploration des carburants fossiles dans la province et du projet moribond de liquéfaction GNL. Chassez le gaz naturel et il revient au gallon ! Toutefois, le ministre québécois de l’Environnement, Benoit Charrette, a quand même insisté pour « confirmer le décès » du projet GNL.

Cet épisode GNL reste riche d’enseignements. Une population divisée en parts pratiquement égales sur l’appui au projet, une majorité d’élus qui ont préféré les promesses économiques des promoteurs aux impacts environnementaux, à l’exception notoire du député péquiste Sylvain Gaudreault, contre vents et marées noires d’insultes et menaces.

Le choix de Stephen

Encore plus déchirant, la plateforme de forage Bay-du-Nord au large de Terre-Neuve, un ambitieux projet d’extraction de pétrole d’une société norvégienne qui souhaite en tirer jusqu’à un milliard de barils sur 30 ans. Un choix de Sophie pour Stephen Guilbault, le ministre fédéral de l’environnement autrefois écologiste, qui devra trancher entre la qualité de vie du présent et celle de l’avenir.

Laisser dans le sol les ressources énergétiques a aussi son coût, d’abord pour les communautés locales, dont c’est la trame économique, et pour toute la collectivité qui cherche des approvisionnements moins dépendants des dictatures, comme la Russie actuellement, ou encore l’Arabie Saoudite, découpeuse de journaliste et séquestrice de blogueur.

Mais on ramène, ici encore, l’argument massue : « Si on ne le fait pas, d’autres le feront de toute façon .»  Une logique de cul-de sac qui n’est pas sans rappeler la délégation tordue de la vaccination : à quoi bon se faire vacciner si l’immense majorité l’est et me protège ? Quel risque, quel compromis, quel sacrifice sommes-nous prêts à faire pour protéger les personnes âgées, éviter une guerre, garantir l’avenir de nos enfants, voire de notre espèce ?

L’intérêt personnel

Il y a quelques années, le téléphone sonne. Un message enregistré de la municipalité qui recommande aux citoyens de faire bouillir l’eau pour consommation à la suite d’une anomalie signalée dans le système de traitement. En arrivant au supermarché, quelques minutes plus tard, on peut voir des clients sortir avec des paniers remplis de bouteilles d’eau, et pas que des petits contenants. Sur le fait, anecdote se dit-on.

Toutefois, l’épisode subséquent de la pénurie de papier hygiénique au début de la pandémie de Covid 19 en révèlera davantage sur la nature humaine. Loin des explications un peu farfelues évoquées alors sur la symbolique du papier de toilette, des chercheurs en sciences sociales et criminologie ont émis il y a une quarantaine d’années une hypothèse intéressante appelée « théorie de la fenêtre cassée », un phénomène qui pousserait les gens aux actes délinquants, aux comportements antisociaux, à la connaissance même de ces comportements, en l’occurrence, une sorte d’épidémie du chacun pour soi.

Mais alors, rien à voir avec cette solidarité des Polonais, Moldaves et plus globale à l’endroit du peuple ukrainien. Depuis longtemps, plusieurs chercheurs ont aussi tenté de savoir si l’humain était avant tout altruiste ou égoïste. Les résultats convergent vers une propension innée de notre espèce à la coopération et l’entraide. Un avantage évolutif, certes, mais à une condition évidente, celle du retour sur investissement. Porter secours aux Ukrainiens, c’est aussi, beaucoup, défendre notre liberté.

Et la libâârté elle ? Ces extravagantes manifestations exprimées par des camionneurs et autres disciples anti-mesures sanitaires venus les rejoindre. Un débordement sans trop de signification, si ce n’était pas la pointe de l’iceberg d’une « écoeurantite » croissante et d’une volonté grandissante exprimée dans les sondages d’en finir immédiatement avec les restrictions, peu importe les conséquences. Après quoi ? Moins de deux ans de résignation, d’abnégation envers les plus vulnérables de la société et leurs soignants usés, meurtris.

La lutte aux changements politiques

La guerre en Ukraine est une crise à développement rapide, propice aux réflexes humanitaires, salvateurs pour beaucoup. La pandémie de Covid, une crise à développement lent, plus vulnérable à l’organisation des oppositions, et, à l’ère des médias sociaux, à la diffusion de réalités contrefaites. Qu’en est-il de la crise « interminable » des changements climatiques, celle qui exige des sacrifices immédiats pour des bénéfices personnels abstraits sur 10, 20 voire 50 ans, quand nous n’y serons plus ?

La plus importante menace est peut-être chez ceux qui flairent déjà la bonne affaire dans le litre d’essence à $2.00, soit faire le plein de capital populiste pour remplir les urnes et, à terme, immoler leurs descendants.