À propos de l'auteur : Rudy Le Cours

Catégories : Économie

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Julie Arcand

Tesla sort gagnante de la nouvelle guerre commerciale.

Rudy Le Cours

Après presque un demi-siècle de mondialisation libérale, marquée par moult traités de libre-échange, par le non-interventionnisme étatique dans les marchés et par le diktat du capital financier, on assiste au retour en grâce du protectionnisme et à son arrière-goût amer.

Ses ténors sont les mêmes qui, hier encore, vantaient haut et fort les vertus du commerce sans frontières.

Qu’est-ce qui les fait changer d’idée ? De gagnants, ils comprennent désormais qu’ils risquent de perdre gros en ne défendant pas leurs mises bec et ongles.

Ce sont les mêmes voix, qui avaient convaincu le président américain Bill Clinton d’accepter l’entrée de la Chine au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui réclament aujourd’hui des mesures punitives à son endroit.

D’abord heureux d’y délocaliser leur production, à compter de 2001, afin de réduire leurs coûts de production et de gonfler leurs marges, les grandes sociétés occidentales ont perdu de vue que l’Empire du Milieu devenait ainsi l’usine du monde. Chemin faisant, il a acquis à la vitesse grand V des savoir-faire qu’il a su mettre à son profit.

Les prix des biens manufacturés ont diminué, tout comme l’extrême pauvreté dans les pays en développement, au tout premier desquels il faut nommer la Chine.

On a alors vanté les vertus de la mondialisation.

On a cependant fait peu de cas de l’appauvrissement des cols bleus qui allait attiser par la suite des révoltes populaires, comme celle des gilets jaunes en France, et la montée de l’extrême droite en Europe et aux États-Unis.

On s’est soucié davantage des risques réels de déflation qui étaient stimulés en grande partie par les prix chinois. La déflation aurait même pu menacer la consommation des biens et services produits en Occident, comme l’a tristement montré l’expérience japonaise des années 1990, la décennie perdue, comme on la surnomme là-bas.

Les banques centrales ont veillé au grain en stimulant le crédit et … l’endettement.

Le retour du pendule

Le commerce a toujours été perçu comme un vecteur de civilisation. Ne parle-t-on pas en bien de quelqu’un lorsqu’on dit qu’il ou elle est d’un commerce agréable ?

Pourtant, sa version triangulaire, entre l’Europe, l’Afrique et les colonies américaines a orchestré la traite des Noirs, le plus grave crime contre l’humanité pendant quatre siècles.

L’ouverture et la fermeture des marchés ont toujours généré des frictions allant parfois jusqu’à déclencher des conflits armés.

Dans sa version plus civilisée, le commerce est balisé par des volontés libre-échangistes et des résistances protectionnistes en tension constante.

La multiplication des traités de libre-échange et la diminution des tarifs douaniers des quarante dernières années n’ont jamais aplani toutes les barrières non tarifaires. Les avancées depuis la création de l’OMC en 1994 ont aussi donné naissance aux mouvances altermondialistes, apparues en réaction peu après.

Les émeutes de Seattle ont compromis la troisième conférence ministérielle de l’OMC, en 1999. Les quelque 50 000 manifestants au Sommet des Amériques, à Québec en avril 2001, ont mis du plomb dans l’aile au projet de la Zone de libre-échange des Amériques, abandonné définitivement par Barack Obama. Ces désordres n’ont toutefois pas empêché l’entrée de la Chine à l’OMC en décembre de la même année, après 15 ans d’une cour assidue.

Aujourd’hui, les opposants à la mondialisation viennent d’ailleurs. L’ancien président des États-Unis, Donald Trump, a rendu inopérant le tribunal d’appel de l’OMC qui perd ainsi tout pouvoir d’imposer un règlement à un litige commercial. Son successeur Joe Biden s’est bien gardé de le ranimer. Il a plutôt fait adopter l’Inflation Reduction Act qui, comme son nom ne l’indique pas, est avant tout une loi qui vise à re-dynamiser l’industrie manufacturière américaine.

Les sanctions contre les véhicules électriques chinois s’inscrivent dans cette logique protectionniste.

De l’Éden au karma

La montée en puissance de la Chine, qui a supplanté les économies allemande puis japonaise et menace désormais l’encore toute-puissante américaine, inquiète.

La Chine a d’abord été accusée de ne pas jouer franc-jeu dans le libre échange. On l’a qualifiée de mercantiliste, c’est-à-dire tout faire pour réaliser des excédents commerciaux, quitte à multiplier les barrières non commerciales à l’entrée d’importations non stratégiques.

Ces récriminations se sont apaisées quand la Chine a permis à des sociétés étrangères de s’établir chez elle afin d’y vendre leur production avec la possibilité de rapatrier leurs profits. Ainsi, General Motors fabrique des Buick, Cadillac et Chevrolet écoulés sur les marchés asiatiques. La Chine a représenté son deuxième marché, jusqu’à l’an dernier.

Bref, GM a fait comme Honda et Toyota quand elles ont voulu conserver sans pénalité l’accès au marché nord-américain, après la signature de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, en 1987.

La Chine est accusée depuis longtemps d’espionnage industriel, activité à laquelle les États-Unis ne se seraient jamais livré, of course not !

Elle ne respecte pas non plus les normes environnementales dans la production d’aluminium, une composante essentielle des véhicules, ce qui lui vaut des sanctions tarifaires ciblées de la part de l’Union européenne.

Tout ça, sans compter le travail forcé des Ouïgours, exploités en amont de la filière automobile. La Chine a beau le nier, plus personne n’est dupe.

Cela dit, l’Occident, qui n’a pas les mains propres non plus, aurait pu composer avec tous ces irritants, si la Chine n’avait pas pris une telle avance dans la conquête du marché des véhicules électriques.

Autrement dit, la destruction créatrice, si chère à l’économiste américain Joseph Schumpeter, et si vantée pour justifier les changements technologiques et l’innovation en dépit de leurs préjudices, est vilipendée quand elle est made in China.

Les avancées chinoises

La Chine fabrique des véhicules à zéro émission (VZE) depuis 1995. Pour donner un aperçu de son avance, mentionnons seulement que 45 % des véhicules sur ses routes sont électriques, contre 25 % sur les européennes et 11 % sur les américaines (1). Le Canada était bien loin l’an dernier à 5,3% (2).

Dans plusieurs domaines, elle est à la fine pointe de la technologie : machines-outils, informatique, construction navale et aérospatiale, logiciels, armement et j’en passe.

Depuis plusieurs années déjà, la Chine forme plus d’ingénieurs que les États-Unis, en proportion de leur population respective.

Sa dépendance aux hydrocarbures importés l’a poussée à s’investir dans les batteries pour alimenter les véhicules de l’avenir, alors que l’Occident s’est traîné les pieds, sous l’influence des puissants lobbies de l’industrie pétrolière et gazière et de sa propre industrie automobile lente à prendre le virage électrique.

Elle ne s’est pas limitée à développer et à construire des véhicules. Elle a aussi investi dans la transformation des minerais critiques à leur fabrication, extraits à l’étranger.

Ainsi, près de 60 % du lithium est traité en Chine. Pour le cobalt, l’affinage monte au-delà des 60 %, le manganèse à près de 90 %, le graphite naturel à quasiment 100 %. Quant aux terres rares, essentielles composantes des nanotechnologies, on frise les 90 % (3).

Pas surprenant dès lors qu’on estime à 70 % de la capacité mondiale de production de batteries que la Chine devrait détenir à la fin de la décennie (4). Sa production doit servir avant tout à approvisionner ses propres fabricants de VZE.

Protéger pour rattraper

Pour nourrir sa propre filière batterie qui accuse un retard marqué, le Canada devra en outre déployer beaucoup d’efforts pour l’approvisionner. Une quinzaine de mines de lithium, de nickel et de cobalt devront entrer en exploitation d’ici 10 ans pour lesquelles il faudra encore allonger des milliards d’argent public et privé (5).

Les deux leaders mondiaux actuels, Tesla et BYD (acronyme de Build Your Dream), construisent une bonne partie de leurs véhicules déjà en Chine. Tesla, à hauteur de 750 000 par année dans sa giga-usine de Shanghai (sur un total de 1,9 million) et BYD, 1,6 million (6). On estime à 3,7 milliards de dollars américains, la valeur des subventions diverses offertes par le gouvernement chinois à BYD.

Quant à Tesla, pour ses usines du Nevada et du Texas, elle a reçu 2,8 milliards en aides gouvernementales. Elle exploite aussi une usine en Allemagne et en projette une autre au Mexique.

L’entreprise d’Elon Musk est donc bien placée pour ne pas subir les sanctions américaines, ni la riposte chinoise.

Bref, si on reproche à la Chine de subventionner BYD, une entreprise privée tout comme Tesla, l’argent public alloué à la filière batteries au Canada et aux États-Unis a de quoi faire sourciller. Au Canada seulement, l’aide gouvernementale offerte à Volkswagen, Stellantis-LG Energy, Honda et Northvolt dépasse déjà allègrement les 30 milliards canadiens.

C’est cet argent des contribuables et les capitaux avancés par le secteur privé que les capacités de production chinoises actuelles menacent de réduire à néant.

D’où la décision de Washington et d’Ottawa de frapper les VZE chinois de tarifs douaniers de 100 %. Quitte à compromettre leurs propres objectifs de remplacer d’ici une dizaine d’années le parc de véhicules à carburant et quitte à stimuler les pressions inflationnistes.

L’ensemble des citoyens va perdre au change, mais on parie en haut lieu que l’industrie encore balbutiante pourra peut-être survivre si on la place un moment sous un gigantesque incubateur.

Reste à voir comment le Canada pourra désormais promouvoir le libre-échange, essentiel à son économie ouverte, quand s’ouvrira l’an prochain la renégociation de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique et quand il devra convaincre la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, la Pologne et la Slovénie de ratifier une fois pour toutes l’Accord économique et commercial global, conclu avec l’Union européenne dont l’application est toujours provisoire.

     Julie Arcand

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