À propos de l'auteur : Jean Dussault

Catégories : Québec

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Valérian Mazataud
Manic 5 en septembre 2014.

Jean Dussault 

Des milliards de dollars, des montagnes de barrages, des térawattheures.

Un horizon de trente ans. Des experts à hue et à dia.

Et faudrait se faire une idée …

L’audace et la témérité sont de proches voisines.

D’ailleurs, elles se trouvent toutes deux dans le plan qu’Hydro-Québec a rendu public début novembre.

Emballant ou inquiétant, ça dépend du point de vue.

Le gros trou

L’économie est une bibitte énergivore. Les autos, les camions, les autobus ; les maisons, les usines ; les écoles, les hôpitaux, les bureaux. Et tutti quanti.

Après des années de surplus d’électricité pas chère, Hydro-Québec calcule qu’elle devra à moyen terme doubler sa capacité pour fournir du courant à tout le monde demain et après-demain. Une production incommensurablement plus dispendieuse que celle d’antan.

Des options 

Il y aura, il y a déjà, des débats sur la quantité optimale qu’Hydro-Québec devrait produire pour satisfaire aux besoins futurs. Ces débats doivent cependant être précédés de trois décisions préalables. Il faut savoir d’où viendra la nouvelle manne, il faut déterminer à qui et à quoi elle servira et il faut décider du montant que le Québec paiera et retirera de l’aventure.

L’origine

Les rivières qui pouvaient être harnachées relativement économiquement l’ont été depuis longtemps. Les sites de production les moins loin des grands centres ont été mis en service il y a longtemps ; Hydro estime qu’il faudra ajouter 5000 kilomètres de lignes de transport pour amener la nouvelle production aux marchés.

Pour les barrages comme pour les lignes, les besoins de main-d’oeuvre seront difficiles à combler. Plus, ce ne sont pas toutes les communautés, autochtones ou pas, qui salivent à l’idée d’un gros projet dans leur coin.

Par ailleurs, il n’y a pas que l’origine géographique de la nouvelle capacité qui soulève des questions encore sans réponse ; il y a aussi la forme de production. Hydro-Québec dit envisager une production éolienne plus grande que celle provenant de nouvelles centrales hydroélectriques. L’acceptation sociale d’une telle profusion de palles n’a pas encore été démontrée.

La société d’État propose aussi d’aller chercher le quart des nouveaux ajouts dans le « rehaussement » des centrales existantes. Il faut savoir si cela signifie de nouvelles turbines ici et là ou le rehaussement physique de barrages, et l’inondation de territoires plus grands.

Enfin, dans les grandes sources de la nouvelle fécondité hydro-électrique envisagée par Hydro-Québec, près de 15 % proviennent d’économies d’énergie. La preuve de ce potentiel n’a pas été faite, loin de là.

Depuis des années, les Québécois se font répéter que « l’énergie la moins chère est celle qu’on économise ». L’inverse de cette mignonne maxime est que tout le monde gaspille ce qui ne coûte pas cher. Les économies d’énergie, surtout à grande échelle, vont rester une illusion tant que les tarifs resteront ce qu’ils sont.

L’utilisation

Le grand plan d’HQ prévoit, ou promet, que les trois quarts de l’énergie additionnelle serviront à « décarboner »l’économie québécoise, c’est-à-dire remplacer des énergies plus polluantes. Personne ne peut s’opposer publiquement à une telle ambition.

Mais le parc de construction domiciliaire, commerciale et industrielle date. L’abandon généralisé de sa consommation d’énergies fossiles est impossible à court, voire à moyen terme. Malgré toute la bonne volonté, d’ailleurs pas encore prouvée, les thermopompes même subventionnées ne vont pas largement remplacer les réservoirs d’huile à chauffage dans les sous-sols des maisons de la nation.

Aussi, quiconque a fréquenté une école ou un hôpital connaît leur état physique lamentable ; personne ne peut imaginer que changer le système de chauffage  y constitue une priorité.

La décarbonisation à grande échelle est une intention louable, même une nécessité urgente. Si elle est à peine entamée, c’est parce qu’elle confronte les sociétés à leur structure économique actuelle.

Le quart restant de l’éventuel nouvel apport d’électricité contribuera, selon HQ, à « créer de la richesse ». Comme toute médaille, cette proposition a deux côtés.

D’un côté, les Québécois sont propriétaires d’une richesse électrique exceptionnelle qu’ils peuvent consommer, ou vendre. Comme les surfeurs vont à la mer et les skieurs, à la montagne, les compagnies choisissent où s’installer en fonction de leurs intérêts.

La concurrence pour les attirer est féroce, et elle est tout proche. Juste en bas de la frontière, une administration fédérale et cinquante  gouvernements des États jouent aussi de leurs atouts, même de leurs atours : une fiscalité pro-business, des milliards en contrats publics, des subventions déguisées. Ou même pas.

Les gros États ont plus de tirant d’eau que le p’tit Québec.

De l’autre côté, l’ancienne présidente d’Hydro-Québec avait déclaré que ni Hydro ni le Québec ne devaient devenir le « dollarama » de l‘électricité, un vendeur à rabais d’une ressource essentielle. Pour elle, et pour d’autres, pas question de brader le trésor national à long terme pour un illusoire pactole à court terme.

Ce n’est pas au sein d’Hydro-Québec que ce débat doit trouver sa conclusion, c’est  parmi les propriétaires de l’eau convoitée. Faudra que leur représentant, le gouvernement du Québec, fasse la différence entre les alarmes et le chant des sirènes.

Le prix

Chaque kilowattheure additionnel va coûter plus cher que le précédent.

Résumée trop grossièrement, la tarification est divisée en deux : la population achète pas cher de l’électricité produite bon marché par les vieux barrages. Ce qui s’appelle « la production patrimoniale » est, en gros, réservé à la consommation personnelle/familiale.

L’autre colonne du bilan est, franchement, indéchiffrable. Tant et tant de cas d’espèce, autant d’exceptions que de règles. Mais, grosso modo, la plus récente électricité plus chère à produire est vendue plus chère aux nouveaux clients.

Or, « plus cher » n’est pas un absolu. Selon des arguments qui ne sont pas exclusivement comptables, c’est une notion qui varie entre « pas assez cher » et « trop cher ».

Il n’y a pas de formule magique pour fixer le tarif «idéal» pour attirer des industries qui ont besoin de beaucoup d’énergie pour créer des emplois et faire des profits. Ou, autre débat, le contraire.

Les milliards de dollars qu’Hydro-Québec juge nécessaires pour répondre aux appels de l’avenir ne pousseront pas dans l’eau.

La nouvelle production plus coûteuse sera financée par des tarifs plus élevés ou par un endettement d’Hydro-Québec, donc du gouvernement, donc de la population.

Il n’y a qu’une certitude dans ce dossier : les Québécois paieront plus.

Et une incertitude toute aussi évidente : ce qu’ils en récolteront.

 

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