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L’ Assemblée nationale du Québec
Daniel Raunet
Le 3 octobre, nous serons appelés à renouveler les membres de l’Assemblée nationale, des gens qui, ainsi le veut la théorie, nous représenteront. Pourtant, si on en juge par le résultat des précédentes élections générales, les élus de 2018 sont loin de refléter la réalité de la société québécoise : 27,2 % de femmes députées contre 50,3 % de Québécoises, 84 % de personnes de plus de 40 ans contre 52 % dans la population générale, 79 % de diplômés des universités contre 29 %. Donc, très souvent, des gens qui nous représentent, mais ne nous ressemblent pas.
Une assemblée élitiste
Qu’ont fait ces personnalités élues à part de la politique ? Pour 14 d’entre elles, rien d’autre — ce sont d’anciens députés, des élus municipaux ou des attachés politiques. On trouve ensuite 20 entrepreneurs, 17 gestionnaires d’entreprises publiques ou parapubliques, 12 gestionnaires du secteur privé, 12 avocats, neuf journalistes, cinq relationnistes, trois universitaires, deux banquiers, deux spécialistes des services financiers, deux experts-comptables, deux économistes, deux ingénieurs, deux médecins, deux notaires, etc.
Au total, cela fait 106 parlementaires sur 125 qu’on pourrait qualifier de membres des élites. Contre 19 personnes d’origine plus modeste, cinq enseignants, quatre policiers, deux conseillers syndicaux, deux travailleurs communautaires, un agriculteur, une artiste, une infirmière, un informaticien, un représentant de commerce et une aidante naturelle.
Pas d’élus issus des métiers les plus fréquents
Mis à part une infirmière (en fait une ancienne présidente de syndicat), aucun des élus de 2018 n’est issu des 50 professions les plus fréquentes au Québec. Qui sont, par ordre décroissant : vendeurs au commerce de détail, éducatrices de CPE, caissières, adjoints administratifs, gérants de petits commerces, serveurs au comptoir et aides de cuisine, préposés à l’entretien ménager et au nettoyage, infirmières, cuisiniers, camionneurs, agents d’administration, serveurs, enseignants, charpentiers-menuisiers, mécaniciens, employés de bureau, manutentionnaires, techniciens informatiques, réceptionnistes, etc.
La fausse parité des candidatures caquistes
La nouvelle moisson d’élus d’octobre 2022 permettra-t-elle de changer la donne ? Première question, l’égalité des sexes. En s’en tenant aux cinq partis qui ont une chance réaliste d’envoyer quelqu’un à l’Assemblée nationale (CAQ, PLQ, QS, PQ et PCQ), il y avait en date du 11 août 489 candidates et candidats, dont 232 femmes et 257 hommes. Parité difficile au Parti conservateur du Québec (66 hommes contre 37 femmes), au PLQ (44 hommes contre 27 femmes) et au PQ (42 hommes, 31 femmes), mais la CAQ et QS présentent davantage de femmes que d’hommes.
Cette parité est cependant trompeuse, car ce qui compte vraiment, ce sont les circonscriptions gagnables. Nous nous basons ici sur les prédictions du site internet Qc125 pour déterminer quel parti a des chances de l’emporter dans chaque circonscription[1]. Pour l’instant, la CAQ a 53 candidats et 66 candidates. Toutefois, tous les hommes sauf deux sont dans des circonscriptions solides, probables ou gagnables, alors que 20 femmes ont été placées dans des comtés où la CAQ a peu de chances de prévaloir.
La parité homme/femme dans les autres partis
Les Libéraux ont placé neuf hommes et sept femmes dans des circonscriptions gagnables. Les solidaires présentent pour l’instant 67 femmes et 52 hommes, mais au niveau des circonscriptions gagnables, ce sont les hommes qui dominent, sept contre trois. Pour le PQ, les sondeurs voient quatre hommes et deux femmes dans des circonscriptions gagnables (le seul siège solide étant celui de Pascal Bérubé dans Matane). Quant au PCQ, dont les scores se sont tassés au début août, les sondages ne lui prédisent désormais aucun siège et ne le trouvent concurrentiel dans aucune circonscription.
La CAQ, championne de l’élitisme
Sur 119 personnes, tous les candidats de la CAQ sont issus des couches supérieures de la société, sauf 10 personnes d’origine plus modeste (deux enseignants, deux policiers, un informaticien, une infirmière, un spécialiste de l’édition scolaire, un rééducateur sportif, une étudiante et une mère aidante naturelle d’un enfant lourdement handicapé). La situation est en gros la même au PLQ où, sur 71 candidats, on ne compte que 13 personnes d’origine modeste.
Toutefois, il semble que les élites aient déserté un autre ancien parti de gouvernement, le PQ, qui peine à trouver des candidats et compte 29 aspirants parlementaires issus des professions les plus prestigieuses contre 44 personnes d’origine plus modeste, dont 17 étudiants.
Les partis qui critiquent habituellement les élites
Sur 119 candidats, le parti antisystème de gauche Québec solidaire présente 60 personnes qui ne sont pas issues des sommets de l’échelle sociale. 5 membres des professions d’élite sont dans des circonscriptions gagnables, les 5 autres étant deux travailleurs communautaires, deux conseillers syndicaux et un enseignant. À droite, au Parti conservateur du Québec, 45 candidats sur 107 exercent des métiers comparables à ceux de la majorité de la population.
Le Québec des notables et des gens d’affaires
Qui sont ces gens qui nous dirigent ? Aujourd’hui, le cabinet caquiste comprend 29 personnes. Trois seulement sont issues des professions les plus fréquentes dans la société québécoise, un policier, un enseignant et un informaticien. Pour le reste, il y a huit entrepreneurs, quatre avocats, quatre cadres supérieurs des secteurs privé et public, trois experts-comptables, trois journalistes, un banquier, un médecin spécialiste, un notaire et un relationniste. Quant à l’ensemble du caucus caquiste, il y avait parmi les 75 élus de 2018 90,7 % de personnes issues de professions d’élite contre 9,3 % pour les métiers les plus fréquents.
La crise de la représentation
Les conséquences de notre système électoral à la britannique et la volte-face des partis qui avaient promis sa réforme sautent aux yeux : 69,6 % des Québécois ne sont pas représentés à l’Assemblée nationale. Il y a d’abord les 54 % de votants qui se sont déplacés pour rien (2,2 millions de suffrages exprimés sur 4,1 millions) et qui ont voté pour des perdants. Et puis il y a les 2,07 millions d’abstentionnistes. Au total, ce sont donc 4 296 122 des 6 169 772 électeurs qui ne sont représentés par personne. Le scrutin d’octobre fera-t-il reculer le cynisme face à un tel système ? Rien n’est moins sûr.
[1] https://qc125.com/districts.htm