À propos de l'auteur : Louiselle Lévesque

Catégories : Québec, International

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Archives Louise Harel

Octobre 2004, le drapeau palestinien flotte sur la colline parlementaire à Québec en raison de la visite de Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine à Paris.

Louiselle Lévesque

L’année politique du Québec en matière de relations internationales restera marquée par la décision du gouvernement de François Legault d’ouvrir un bureau à Tel-Aviv pour le représenter en Israël et intensifier ses échanges avec des partenaires gouvernementaux, institutionnels, économiques, culturels et universitaires.[1]

Le gouvernement québécois a fait le choix d’aller de l’avant, et ce au plus fort de la guerre que mène Israël dans la bande de Gaza, et malgré une pétition de près de 12 000 noms déposée à l’Assemblée nationale en février dernier pour réclamer l’abandon du projet, estimant que cette représentation diplomatique serait perçue par Israël comme un encouragement à ne pas s’engager dans la voie de la paix.

Parmi les arguments invoqués par les pétitionnaires il y a le fait qu’Israël « déroge au droit international qui lui impose, entre autres, l’obligation d’assurer la protection de la population civile et l’approvisionnement des populations occupées. » [2]

Le bureau du Québec à Tel-Aviv a été implanté en dépit également des protestations de tout un pan de la société civile, la Ligue des droits et libertés, l’Association québécoise des organismes de coopération internationale et Voix juives indépendantes – Montréal, notamment. Au total, plus de soixante-dix organisations ont exhorté Québec à faire marche arrière et à suspendre ses liens de coopération avec Israël.

Dans une lettre publiée dans Le Soleil début juin 2024 [3], ces organisations ont rappelé au gouvernement « ses obligations en matière de droits humains et de droit international humanitaire puisqu’en vertu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, il incombe aux États de prendre toutes les actions nécessaires pour prévenir un tel crime. » À leur avis, l’ouverture du bureau de Tel-Aviv va à l’encontre de cette responsabilité.

Plus qu’un symbole

Dans le contexte de la tragédie qui se déroule à Gaza, cette décision est une honte affirme Louise Harel qui a été la présidente d’honneur de la vingt-cinquième édition du Festival du monde arabe (FMA) qui s’est tenue à Montréal en septembre dernier.

« Je dois vous dire que c’est une honte terrible pour moi que le Québec ait agi comme ça et continue d’agir comme ça. Il n’y a pas d’autres mots que honteux. »

Et ce sont surtout les justifications amenées par la ministre des Relations internationales, Martine Biron, qui ont choqué l’ancienne politicienne, ex-députée et ex-ministre du Parti québécois.

« Moi ce que j’ai trouvé de plus honteux, ce sont les réponses de la ministre Biron. On ne prend pas position, on fait des affaires. Je n’en revenais pas. Mais ce n’est pas une entreprise, ce n’est pas un business, c’est un gouvernement! » [4]

Alors qu’au temps de la lutte contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud au milieu des années 1980, le Québec a boycotté les vins en provenance de ce pays.  Aujourd’hui, dit-elle, c’est une fin de non recevoir de la Société des alcools du Québec (SAQ) pour cesser de vendre les produits étiquetés israéliens dont une partie viendrait des territoires occupés illégalement. « Non, parce qu’ils font du business, ils font des affaires. »

Même refus de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) concernant le retrait de ses investissements qui s’élèveraient à 14 milliards $ dans des entreprises israéliennes. Le grand patron de l’institution, Charles Émond s’est tout de même engagé publiquement à ne plus investir dans la région jusqu’à nouvel ordre, tout en contestant l’estimation qui a été faite du portefeuille détenu par la CPDQ dans l’État hébreu  Il serait beaucoup plus modeste selon lui, de l’ordre de 400 millions $.

Un virage

Aux yeux de Louise Harel, la posture adoptée par les autorités québécoises est en rupture avec la solidarité envers le peuple palestinien qui s’est développée dans les années 1970-1980 et qui a continué de se manifester de façon tangible, en finançant par exemple une salle de visioconférence à l’Université de Gaza en 2007 ou en octroyant de l’aide humanitaire en 2008.

En octobre 2004, l’Assemblée nationale avait reçu la déléguée générale de Palestine en poste à Paris, Leïla Shahid, pour un déjeuner officiel auquel participaient des députés de tous les partis. C’est à cette occasion que le président de l’Assemblée nationale, Michel Bissonnet avait fait hisser le drapeau palestinien au-dessus de l’hôtel du Parlement.

Décembre 2012, une résolution est adoptée au Salon bleu pour saluer la toute récente décision de l’ONU d’accorder à la Palestine le statut d’État observateur non membre et pour demander au gouvernement fédéral d’en prendre acte, le Canada ayant voté contre la requête palestinienne.

Tout récemment par contre, l’Assemblée nationale a refusé de se prononcer sur une motion présentée par Québec solidaire reconnaissant la légitimité des mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) contre Benyamin Nétanyahou et des dirigeants du Hamas. Gabriel Nadeau-Dubois a estimé que « le gouvernement Legault avait tourné le dos à la longue tradition québécoise de paix et de respect des droits. »

Un champ de ruines

Voilà plus d’un an que les foudres d’Israël s’abattent sur la bande de Gaza, une guerre sans merci déclenchée au lendemain des horribles massacres, qualifiés de pogrom, que le Hamas a perpétrés le 7 octobre 2023 et qui ont coûté la vie à 1200 Israéliens et fait 250 otages. Plusieurs d’entre eux, peut-être une centaine, se trouvent toujours entre les mains du groupe terroriste islamiste.

Depuis plus d’un an donc, des tonnes de bombes ont été larguées sur l’enclave palestinienne assiégée où s’entassent 2,1 millions d’habitants faisant près de 45 000 morts, dont bien sûr des combattants du Hamas qu’Israël cherche à éradiquer, mais très majoritairement des civils, femmes et enfants.

Louise Harel est horrifiée par la violence de cette offensive et les destructions qu’elle a engendrées. « On n’a pas idée des bombardements qui ont eu lieu. »

Elle s’appuie sur des chiffres publiés par l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’Homme selon lequel plus de 70 000 tonnes d’explosifs ont été lancées sur Gaza en six mois, soit d’octobre 2023 à avril 2024.

En comparaison, durant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands ont largué sur Londres 18 300 tonnes de bombes entre 1940 et 1941.  En fait, selon l’Observatoire, ce bilan de 70 000 tonnes dépasse largement le total des bombes larguées sur Dresde, Hambourg et Londres combinées pendant la Seconde Guerre mondiale.

La tiédeur de l’opinion publique

Devant tant d’images de dévastations qui nous parviennent de Gaza malgré l’accès interdit à la presse internationale, force est de constater que la mobilisation citoyenne au Québec n’a pas été d’une très grande ardeur. En guise d’explication, Louise Harel avance sans hésitation le facteur de l’islamisation de la cause palestinienne.

L’implantation du Hamas dans la bande de Gaza en 2006 à la suite de sa victoire aux élections législatives a eu sans conteste un effet repoussoir dans toutes les démocraties occidentales. « Plus de représentant crédible et ça je pense que ça a été un tournant extrêmement important. »[5]

Il y a eu aussi, poursuit-elle, des erreurs de parcours commises par des organisateurs du mouvement pro-palestinien, beaucoup d’étudiants fréquentant les campus de McGill, Concordia et Dawson, des anglophones pour la plupart qui ont eu de la difficulté à se connecter avec les Québécois francophones.

Et surtout il y a eu l’incident « Adil Charkaoui » survenu dès le début des manifestations à Montréal en octobre 2023. Le fait d’avoir donné le micro à ce prédicateur réputé pour son radicalisme lui permettant de déverser un message de haine et de violence contre les Juifs a brisé l’élan de bien des sympathisants de la cause palestinienne.

L’antisémitisme

Un autre facteur qui peut contribuer au blocage auquel nous assistons explique Louise Harel, est le sentiment de culpabilité ressenti face à l’Holocauste et l’accusation d’antisémitisme brandie chaque fois que les politiques d’Israël font l’objet de critiques.

« De toute mon âme, je dénonce l’antisémitisme mais en même temps ne vous en servez pas abusivement pour justifier n’importe laquelle exaction. »

Le sociologue de l’UQAM, Rachad Antonius[6] va plus loin. Il soutient que les élites occidentales ont intériorisé la vision israélienne du conflit.

« Quand Israël dit que toute protestation, c’est de l’antisémitisme, nos élites ici répètent que c’est de l’antisémitisme alors que cela n’a rien à voir. Ce n’est pas parce qu’ils sont juifs que l’on proteste contre eux mais parce qu’ils bombardent, qu’ils tuent des civils, qu’ils prennent des terrains et qu’ils occupent des territoires illégalement. »

À ses yeux, les positions du premier ministre Legault et de plusieurs de ses ministres équivalent à un appui actif aux politiques d’Israël face à Gaza.

« Déjà au mois d’avril on commençait à parler de génocide.[7] Il y avait des rapports qui évoquaient cette possibilité. Et le gouvernement Legault décide d’ouvrir un bureau à Tel-Aviv. Il en avait parlé l’an passé. Il met son projet à exécution. »

Souverainistes et solidaires

Le professeur retraité rappelle que le mouvement souverainiste était plutôt proche des Palestiniens.

« C’était au moment où il y avait Gérald Godin, Pauline Julien, Michel Chartrand, Yvon Charbonneau qui était à l’époque syndicaliste. À ce moment-là, le Québec cherchait à s’affirmer. Il se voyait comme étant opprimé par les représentants de l’empire britannique. Donc il y avait un grand moment de solidarité avec les gens du Sud. »

Mais les choses ont changé poursuit le sociologue parce que, dit-il, les élites québécoises ont commencé à se voir comme faisant partie des dominants.

« Ce Québec-là n’est plus le Québec d’aujourd’hui avec le gouvernement Legault au pouvoir, ce sont des gens qui se perçoivent comme faisant partie de l’élite économique et qui se comportent comme l’élite économique mondiale. Pas juste sur la question de la Palestine. »

En décidant d’intensifier ses relations commerciales avec Israël malgré les accusations d’une gravité extrême qui se multiplient contre ce pays depuis le début de son offensive à Gaza, le gouvernement Legault expose au grand jour sa vision essentiellement affairiste du rôle qu’il réserve au Québec à l’international.

 

 

[1] Ministère des Relations internationales et de la Francophonie, Représentations du Québec à l’étranger, Bureau du Québec à Tel-Aviv.

[2] https://www.assnat.qc.ca/fr/exprimez-votre-opinion/petition/Petition-10541/

[3] « Québec doit fermer son Bureau à Tel-Aviv », Le Soleil, 6 juin 2024.

[4] Marie-Michèle Sioui, « Fitzgibbon s’attribue l’idée d’un bureau du Québec à Tel-Aviv », Le Devoir, 25 avril 2024.

[5] Créé en 1987, le Hamas est une émanation de la mouvance des Frères musulmans. Son financement est complexe et opaque mais il est avéré que des fonds provenant du Qatar lui étaient transférés sur une base régulière avec l’autorisation d’Israël qui considérait le Hamas comme un atout pour parvenir à ses fins. Voir : « Nétanyahou a-t-il dit que transférer de l’argent au Hamas était la bonne stratégie pour contrecarrer la création d’un État palestinien ? », Libération, 11 octobre 2023.

[6] Rachad Antonius, La conquête de la Palestine, De Balfour à Gaza, une guerre de cent ans, Montréal, Écosociété, 2024.

[7] Fin décembre 2023, l’Afrique du Sud porte plainte contre Israël en vertu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide devant la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction de l’ONU. Depuis une dizaine de pays ont annoncé leur intention de se joindre à la requête de Pretoria dont la Bolivie, l’Espagne, la Belgique et l’Irlande.

 

 

 

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