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Rudy Le Cours
L’électorat américain s’est comporté davantage en consommateur qu’en citoyen, le 5 novembre. Il a pourtant misé sur un ancien président qui a affiché le pire bilan économique depuis Jimmy Carter.
L’ex-président démocrate Bill Clinton avait lancé une bombe lors de la Convention démocrate, à la fin d’août. Depuis 1989, les États-Unis se sont enrichis de 51 millions d’emplois. Or, du nombre, 50 millions ont été ajoutés durant des présidences démocrates (1).
Bien sûr, les médias se sont empressés de vérifier l’affirmation. Ils ont fait le même constat, en s’appuyant notamment sur les travaux du Joint Economic Committee (JEC) du Congrès américain (2).
Ce groupe bi-partisan est formé jusqu’en janvier prochain de six sénateurs démocrates et six représentants républicains ainsi que de quatre représentants démocrates et de quatre sénateurs républicains dont un certain J.D. Vance, le futur vice-président des États-Unis.
Ces travaux de synthèse comparent la performance de l’économie sous quatre présidences républicaines (Reagan, H.W, Bush, G.W. Bush et Trump) et trois démocrates (Clinton, Obama et Biden jusqu’en septembre). Bref, six présidences depuis 1981, soit 24 ans de républicaines et presque 20 de démocrates.
Perte nette d’emplois
Au chapitre de la création d’emplois, toutes les présidences ont un bilan positif sauf une: celle de Donald Trump, avec une soustraction nette de 2,72 millions. À sa décharge, sa dernière année a été marquée par le Grand Confinement entraîné par la pandémie de Covid 19.
Néanmoins, il aura éclipsé le triste record de George W. Bush qui, en huit ans, n’en avait ajouté que 1,37 million et terminé son deuxième mandat quand la Grande Récession faisait rage.
Ces deux contre-performances contrastent avec celles de Barack Obama (11,57 millions d’emplois en plus) et surtout de Joe Biden (16,19 millions jusqu’en septembre).
Il est bien possible toutefois que l’électorat aura surtout retenu les chiffres d’octobre, publiés quatre jours avant le scrutin : seulement 12 000 emplois de plus, d’après l’enquête sur les salariés non agricoles (payrolls). Selon la méthodologie du Bureau of Labour Statistics (BLS), faut-il préciser, les travailleurs en grève ne sont pas considérés comme détenant un emploi. C’était le cas des quelque 33 000 machinistes de Boeing, notamment (3).
Fait plus éclatant peut-être encore pour Joe Biden, l’emploi manufacturier a augmenté sous sa présidence. C’est de loin le meilleur bilan des sept présidences étudiées par le JEC. Seul Bill Clinton a aussi pu observer une augmentation de l’emploi en usines sous sa présidence. Sous celle de Trump, le secteur s’est appauvri de 178 000 jobs, malgré plusieurs mesures protectionnistes.
Ce qui distingue Biden (et de sa vice-présidente Kamala Harris), ce sont deux lois pour favoriser la relocalisation (Inflation Réduction Act) et l’investissement dans le secteur des semi-conducteurs (le CHIPS Act) adoptées en août 2022, jugées stratégiques pour s’affranchir de la Chine.
Malheureusement pour les ouvriers licenciés sous les administrations précédentes, ils ne disposent pas des compétences et habilités requises pour remplir ce type d’emplois.
On ne sera pas étonné que le pire bilan revient à George W. Bush qui en a vu disparaître 4,5 millions. C’est sous sa présidence, rappelons-le, que la Chine est entrée dans l’Organisation mondiale du commerce. Cela a entraîné la délocalisation massive de la fabrication américaine et le licenciement de dizaines de milliers de cols bleus, laissés pour compte tant par Bush que par Barack Obama.
Chômage et croissance
L’autre mesure surveillée du marché du travail est le taux de chômage, ou plus exactement des demandeurs d’emploi puisque toute personne qui n’est pas à la recherche active de travail est exclue des rangs de la population active, selon la définition du BLS.
À cet égard, seul Ronald Reagan se distingue parmi les présidents républicains avec une baisse de 2,1 points du taux, entre le moment de son entrée en fonction en janvier 1981 et celui de la passation des pouvoirs, huit ans plus tard. Le chômage a augmenté durant les trois autres présidences républicaines alors qu’il a diminué durant les trois démocrates. Le bilan de Donald Trump est moins mauvais que ceux des Bush père et fils, mais le taux de chômage a néanmoins augmenté de 1,7 point sous sa présidence alors qu’il a diminué de 2,3 points sous celle de Joe Biden.
Outre le marché du travail, prendre le pouls de l’économie, c’est aussi s’attarder à la croissance.
Les sept présidences sous la loupe ont été marquées par une expansion réelle de la taille de l’économie. La médaille d’or revient à Clinton (34 %), celle d’argent à Reagan (31 %) et celle de bronze à Obama (19 %). Trump est avant dernier avec 9 %, devancé de peu par Biden à 10 % après trois ans et demi de mandat et un chiffre préliminaire positif (2,8 en rythme annualisé) pour le troisième trimestre, une croissance en deçà des attentes malgré le meilleur score du G-7 (4).
Inflation et vie chère
Là où le bât blesse pour l’administration Biden-Harris, c’est au chapitre de l’inflation. En cela, elle est tout à fait démocrate, les républicaines ayant mieux fait au cours de leurs trois dernières présidences (5). (Celle de Reagan, il faut le rappeler, est survenue durant la bataille épique de la Réserve fédérale (la Fed) présidée par le démocrate Paul Volcker qui n’a pas hésité à propulser le taux directeur à 20 %. Cela a entrainé une récession, mais l’envolée des prix a été freinée, passant de 13,5 % à 3,2 % en deux ans (6). La poussée inflationniste avait commencé sous Gerald Ford, mais Carter a mis du temps à rétablir la crédibilité de la Fed, ce qui a contribué à sa défaite.)
Le pic de l’inflation sous l’administration Biden a atteint 9,5 % en juin 2022 et celui du taux directeur de la Fed 5,5 %. En septembre dernier, l’indice des prix à la consommation s’était replié à 2,4 % tandis que la Fed a ramené son taux directeur à 4,75 % le 7 novembre.
Même si l’inflation n’a pas grimpé autant qu’à l’époque de Carter et de Reagan et que la Fed a pu l’endiguer sans entraîner de récession, sa maîtrise est survenue en pleine année électorale. Elle l’était depuis plus d’un an au moment où Reagan cherchait à se faire réélire.
L’électorat américain n’a pas oublié le 5 novembre que l’augmentation annuelle moyenne des loyers était de 1,47 %, à l’arrivée au pouvoir de Biden, en février 2021. Deux ans plus tard, elle avait grimpé à 8,2 %. En septembre dernier, elle était encore de 4,9 %.
Même portrait du côté du prix des aliments: hausse annuelle de 3,6 % en février 2021, de 11,4 % en août 2022 et encore de 2,3 % en septembre (7).
Bref, si l’inflation paraît maîtrisée à la fin du mandat Biden-Harris, les républicains ont réussi à faire comprendre aux électeurs et aux électrices (celles qui le plus souvent font l’épicerie) que la vie est plus chère de nos jours que lors du premier mandat de Donald Trump. Et c’est indéniable en dépit des succès de la Fed.
La dette publique
Depuis Ronald Reagan, chaque année budgétaire a été synonyme de déficit. Après 44 ans, on imagine sans peine que la dette américaine a ballonné. Taylor Schleich et Warren Lovely ont croisé des données pour rendre plus compréhensibles des chiffres dont le gigantisme donne le vertige.
Et ça donne ceci : en 2004, tout Canadien et tout Américain en âge de travailler portaient un fardeau de dette publique d’environ 18 000 $ dans sa monnaie respective. En 2024, le fardeau du Canadien pesait environ 40 000 $, et celui de l’Américain, plus de 100 000 $ (8).
La première présidence de Trump a été marquée par d’importantes baisses d’impôt que Biden a ensuite annulées pour les plus nantis, mais qu’il entend rétablir, sitôt revenu à la Maison Blanche.
Entre le premier trimestre 2017 et celui de 2021, la dette publique américaine est passée de 19 846 milliards à 28 132 milliards, soit une poussée de 41,75 %, selon les tableaux de la Federal Reserve Bank of St.Louis (9). À la fin du deuxième trimestre dernier, la dette était grimpée à hauteur de 34 832 milliards, soit 23,8 % de plus qu’au moment où Trump a dû quitter le pouvoir.
Sa victoire présage d’une nouvelle accélération de la dette publique, ce qui est de nature à inquiéter les créanciers des États-Unis. Qu’ils soient américains, japonais, chinois ou d’ailleurs, ils exigent déjà un meilleur rendement que pour détenir de la dette canadienne.
Ces jours-ci, Ottawa consent un rendement de 3,24 % à ses prêteurs pour un emprunt de 10 ans, Washington, 4,35 %. (10). À court terme, cela affaiblit le huard face au billet vert, mais sur un horizon plus lointain, cela fragilise surtout les finances publiques américaines … et l’économie mondiale.
Et il ne faut pas compter sur le 47e président pour arranger les choses. Ses promesses électorales, si elles sont tenues, ajouteront à elles seules 4900 milliards à la dette publique, qui s’ajouteront aux déficits structurels des budgets de l’État qui s’additionnent déjà d’année en année (11). Celles de Harris auraient ajouté 2695 milliards.
Comme la majorité des mesures économiques et fiscales promises par Trump sont des baisses d’impôt, on doit s’attendre à ce que le Congrès qui lui sera favorable tente de contenir les dépenses par des coupes dans les programmes, hormis ceux destinées à l’armée et aux anciens combattants, comme cela avait été le cas, au cours de son premier mandat.
3- https://www.bls.gov/news.release/empsit.nr0.htm
5- https://www.kentucky.com/opinion/op-ed/article291643305.html
6- https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Volcker
7- https://tradingeconomics.com/united-states/food-inflation
8- https://nbf.bluematrix.com/links2/pdf/eac697b0-b5da-4d4b-a357-94dea5755177
9- https://fred.stlouisfed.org/series/GFDEBTN