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Blue Note
De gauche à droite : le batteur Kenny Washington, le pianiste Bill Charlap et le contrebassiste Peter Washington.
Serge Truffaut
Dans le monde-mondial du jazz d’aujourd’hui et d’hier, mais non de l’avant-hier, le plus classique des pianistes qui embellissent avec méticulosité, le présent du jazz et donc son avenir s’appelle Bill Charlap. On insiste : plus classique que Bill, tu meurs, diraient les jeunesses abonnées à « t’sais genre comme ».
Depuis peu, il propose une confirmation : dans son style il est un champion, catégorie poids-lourds. La proposition en question se présente sous la forme d’un enregistrement réalisé le 9 septembre 2023 au Village Vanguard et que vient de publier Blue Note sous le titre And Then Again.
On vous l’assure : sa nouvelle galette en plastique noir est tout simplement formidable. Car elle nous confirme ce que l’on a évoqué plus haut et elle nous convainc d’autre chose : le trio qu’il forme avec Peter Washington à la contrebasse et Kenny Washington, un historien du jazz, à la batterie est le meilleur de ce temps paraît-il post-moderne.
Il en est ainsi comme il en va ainsi, c’est au choix, « biquose » ces trois-là touillent les notes ensemble depuis 1997. Calculé autrement, cela fait donc 37 ans qu’ils manipulent les progressions d’accords ensemble. Qu’ils malaxent les harmonies, les élaguent, les cisèlent. Trente-sept ans ans mettons que cela ressemble, si l’on peut dire, à ce bail que l’on qualifie d’emphytéotique et non emphatique comme diraient les jeunesses abonnées au prêt-à-penser.
Notre cher complice La Palice en personne nous l’a chuchoté dans l’oreille : le programme arrêté est typiquement classique, soit une addition de pièces composées par Thelonious Monk, dont le fameux Round Midnight, Dave Brubeck et son In You Own Sweet Way, Kenny Barron et son And Then Again et des pièces écrites pour Broadway et ses fameuses comédies musicales. En clair, notre trio reprend des thèmes composés par Jerome Kern, George Gershwin, Victor Young et autres.
L’exécution de chaque morceau est exemplaire. L’interprétation nous a rappelé les grands moments musicaux que les Tommy Flanagan, Hank Jones, Barry Harris, Jimmy Rowles, Roland Hanna et deux ou trois autres avaient conçu pour le bénéfice de ces dames. Lesquelles ? Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, Dinah Washington, la sous-oubliée Dinah, la chère Dinah, et Betty Carter.
Cela permet de souligner ceci : Bill Charlap est le fils de la chanteuse Sandy Stewart qui se produit depuis des lunes sur les scènes de Broadway. Il a d’ailleurs enregistré deux albums avec sa mère. Il est également le fils de Moose Charlap, arrangeur et compositeur de pièces Made In Broadway. C’est le cas de le dire, Bill est né sous une bonne étoile.
Cela permet également de préciser que Charlap a un énorme point commun avec les immenses pianistes cités. De-que-cé ? Sa connaissance profonde du livre du jazz, des standards. À cet égard, le contrebassiste Washington et le batteur du même nom, sans liens de parenté, sont eux aussi des encyclopédistes du livre du jazz.
Faut rappeler que les quatre de Detroit, soit Flanagan, Jones, Hanna et Harris et Rowles, le pianiste de Billie Holiday, de Marylin Monroe, de Zoot Sims, des studios d’Hollywood, avaient en commun de … rassurer ! Oui, pour les producteurs, les chanteurs, les saxophonistes et trompettistes faire appel à ces pianistes étaient avoir l’assurance que les enregistrements ne traîneraient pas en longueur et que leur jeu serait au diapason des buts recherchés. Car leur savoir était sans limite.
En clair, Bill Charlap est un encyclopédiste qui plus est maître en élégance. Son nouvel album And Then Again en est la preuve. Nette, claire et évidemment sans bavure.
Note à l’attention des graphistes : quand-allez vous cesser de choisir un lettrage orange foncé sur fond noir. Êtes-vous mafieusement associés avec les occulistes ? Bande d’idiots !