À propos de l'auteur : Dominique Lapointe

Catégories : Sciences

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L’éclipse totale qui a parcouru le Québec le 8 avril dernier devait être une fête absolue. Certes, elle fut une occasion unique de partager entre amis, collègues, familles, une expérience éblouissante de rencontre astronomique. Elle a toutefois été précédée d’un vif débat sur le risque, ou l’occasion à saisir, d’une activité scientifique pour les élèves. En tout état de cause, nous avons eu droit à un dialogue de sourds.

La nature est magnifique. Les hominidés sont apparus il y a quelque 20 millions d’années à la faveur de hasards évolutifs innombrables qui ont mené au genre homo il y a trois millions d’années et ensuite à Sapiens sapiens. Entre autres, 20 millions d’années à éviter de regarder directement le Soleil. Imaginez!

Car fixer cette étoile, c’est condamner une famille, un genre, une espèce à disparaître. Pire encore, à ne jamais apparaître.

On n’apprend donc pas à éviter le Soleil du regard, c’est un comportement inné. D’ailleurs, tous les mammifères et autres animaux pourvus de vision en témoignent. Pour survivre en tant que groupe, il faut voir. Ce qui n’empêchera pas toutefois les humains de voir pour leurs semblables incapables de le faire, et de finalement développer une culture adaptative étonnante, celle des non-voyants. Nul doute ici d’un propre de l’Homme.

Autre exemple tout aussi remarquable, cette tradition ancestrale des lunettes de neige des Inuits, en bois de caribou ou défense de morse, munies d’une fente horizontale pour se protéger de la cécité des neiges.

Les dangers du Soleil

Mais l’instinct et la culture ne sont pas des garanties à toute épreuve. Nombre d’affections ophtalmologiques sont liées à une exposition chronique ou, plus rarement, aiguë aux rayonnements ultraviolets du Soleil.

On sait par exemple aujourd’hui que les guides de haute montagne sont particulièrement touchés par ce qu’on appelle la phototoxicité oculaire. Ils développent davantage de cataractes, de lésions de la cornée (couche superficielle) et même de la rétine, la pellicule photo du fond de l’oeil qui envoie les images au cerveau. Des pathologies de vieillards avancés chez des gens de moins de 50 ans quelquefois, et ce malgré leurs mesures de protection, lunettes et chapeaux à large bord, des accessoires trop souvent négligés sous les 3000 mètres.

Le cas d’atteinte par éclipse solaire est singulier. Il s’agit d’une exposition courte, quelques dizaines de secondes suffisent, qu’on appelle rétinopathie photique, qu’on dit solaire quand la source est naturelle et non artificielle comme celle d’un laser par exemple.

Le réflexe d’évitement est bien sûr inhibé par le caractère extraordinaire du spectacle, la pupille est dilatée par la pénombre, et l’oeil laisse ainsi pénétrer encore plus de rayons, avant et suivant l’occultation complète du Soleil. Et ce n’est pas tant la chaleur du rayonnement qui cause le plus de dommages que la réaction chimique qui s’en suit et qui rend les récepteurs de la rétine inopérants.

Ceci explique que les effets de l’exposition peuvent prendre plusieurs heures, voire des jours à se manifester. La vision devient floue, des taches aveugles apparaissent dans le champ de vision, l’acuité visuelle chute. Plus souvent provisoirement, quelquefois durablement, et dans certains cas pour la vie.

L’éclipse scolaire

Le risque est connu depuis la nuit des temps. En 360 avant notre ère, Socrate recommandait de regarder la réflexion de l’éclipse dans un cours d’eau plutôt que l’astre lui-même pour ne pas « blesser son œil corporel ».

C’est ainsi que plusieurs écoles ont pris des précautions des mois, et même dans certains cas quelques années à l’avance, en commandant des lots importants de lunettes d’observation homologuées pour leurs élèves.

En aucun cas, on n’aurait voulu manquer cette occasion d’un cours d’astronomie grandeur nature qui ne reviendra pas dans le sud du Québec avant le prochain siècle.

Mais plus la date fatidique du 8 avril approchait, plus la situation devenait délicate pour d’autres. Situation d’autant plus difficile que pour le plus grand nombre d’écoles, le phénomène se déroulait précisément pendant la sortie habituelle des classes et le transport scolaire.

Quoi faire ? Prolonger la journée d’école, ou au contraire l’écourter ? Revoir les horaires d’autobus qui sont déjà d’une complexité inouïe ?

Prise de court pour une improvisation presque impossible, la moitié des centres de services scolaires ont plutôt choisi d’annuler les classes en prétextant la sécurité des élèves.

Scandale pour plusieurs, dont des professeurs de sciences, des institutions de promotion scientifique, des vulgarisateurs du domaine et des chroniqueurs.

Après avoir tergiversé sur le sujet, le ministre de l’Éducation Bernard Drainville a finalement invité timidement les écoles à demeurer ouvertes en publiant un mode d’emploi pour la journée, mais en laissant le choix aux autorités locales.

Un risque insaisissable

Au moment d’écrire ces lignes, on compte quelques dizaines de personnes au Québec qui ont consulté un professionnel de la vue pour des problèmes liés à l’observation de l’éclipse. Ce suivi par la direction de vigile sanitaire du ministère de la Santé est une première. Impossible de savoir combien de ces personnes sont des enfants et connaître la gravité des lésions.

Comme le phénomène reste rare et très difficile à quantifier, il n’existe pas vraiment d’études épidémiologiques sur les impacts sanitaires des éclipses. Toutefois, chaque éclipse totale dans le monde débouche sur des rapports locaux décrivant quelques dizaines de cas de perte de vision plus ou moins persistants après l’événement.

Il faut dire que de voir un président américain, Donald Trump, observer une éclipse totale sur le balcon de la Maison-Blanche en 2017 n’aide pas à sensibiliser le public aux mesures de prévention.

Quoiqu’il en soit, des experts estiment que les cas rapportés sont la pointe de l’iceberg, que la majorité des personnes victimes de phototoxicité aiguë ne consulteront jamais, pensant subir une baisse d’acuité visuelle normale.

La gestion de risque

En gestion de risque, il faut établir une balance entre les dangers et les avantages d’une situation ainsi que des mesures pour y faire face.

En l’occurrence, les bénéfices d’une activité scientifique in situ pour un très grand nombre d’élèves valent-ils le risque qu’une quantité infime de sujets subissent un dommage chronique à un sens aussi précieux que la vue ? Si oui, quel serait le nombre acceptable ?

Quand on sait que certains enfants ont du mal à rester assis plus d’une heure sans bouger en classe, que doit-on faire avec ceux dont on ne pourrait assurer la sécurité avec un ratio de surveillants adéquat ? Et quel est ce ratio ? Devrait-on les stigmatiser davantage en les excluant du groupe? Les confiner à l’intérieur ? Leur donner congé ?

Surveiller trente élèves dans une cour d’école ouverte est beaucoup plus complexe que de surveiller ses deux enfants sur le perron de la maison.

On a pu entendre que le risque zéro n’existe pas. Au contraire ici, on est devant une situation exceptionnelle où l’option zéro était tout à fait possible : la fermeture des écoles.

Il n’est pas question de formuler des reproches aux écoles qui sont restées ouvertes. Il s’agit de comprendre pourquoi certaines en ont décidé autrement.

Un retour au Moyen Âge, a-t-on entendu dans certains médias. Bienvenue au 21e siècle pourrait-on répondre, car les responsabilités juridiques, éthiques, professionnelles ou gouvernementales ne sont plus ce qu’elles étaient, avec les avantages et les désagréments qu’elles comportent.

Et si l’on veut profiter d’événements astronomiques exceptionnels, on aurait pu alerter les écoles sur la forte possibilité des aurores boréales qui ont balayé le ciel du Québec l’autre soir. Une tempête solaire annoncée.

Il y a beaucoup plus d’histoires fabuleuses à raconter sur notre étoile et notre planète avec des aurores boréales que sur une éclipse totale du Soleil.

Un commentaire

  1. Lise Maynard 14 mai 2024 à 5:35 pm-Répondre

    Merci beaucoup d’avoir éclairé ma lanterne. Bien fait.

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