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Paul Tana
Invincible finaliste aux Oscars 2024 ! C’est un court métrage écrit et réalisé par Vincent René-Lortie, produit par Samuel Caron, distribué par Jean-Christophe J.Lamontagne : ces trois-là font partie d’une toute nouvelle et talentueuse génération de cinéastes québécois.
Je l’ai vu en première partie de Io Capitano dans la magnifique salle du Cinéma du Musée lors de la première montréalaise du film de Matteo Garrone.
En passant, c’est un très beau film que Io capitano : le périple trop souvent mortel des migrants africains vers l’Europe raconté comme une épopée homérique.
Mais revenons à Invincible …Il raconte l’histoire vraie d’un jeune adolescent qui s’enfuit du centre de réhabilitation juvénile où il est enfermé. L’interprétation par Léokim Beaumier-Lépine du jeune adolescent tourmenté est remarquable, le récit se développe avec une brillante économie de moyens propre au court-métrage, il est ancré ici au Québec et est en même temps universel … il aurait mérité l’Oscar mais il y avait Wes Anderson et Netflix sur sa route …Et c’est Anderson avec son court métrage The Wonderful Story of Henry Sugar qui l’a emporté.
En principe la section court-métrage des Oscars devrait célébrer les talents de cinéastes émergents, mais c’est Wes Anderson avec ses trente ans et plus de métier, quelques merveilleux films, qui rafle la mise et qui, en plus, ne se présente même pas à la cérémonie pour recevoir la statuette : il était en Europe en train de travailler à la production de son nouveau long-métrage.
Anderson et son producteur Netflix avaient on ne peut plus le droit d’inscrire The Wonderful Story of Henry Sugar dans cette section des Oscars : le film dure 40 minutes, ce qui correspond à la durée maximale admise des courts-métrages. Et en plus il est excellent ! Mais on peut se demander si du point de vue du droit moral ils pouvaient le faire. Parmi ces principes, il y a le droit au respect : je ne crois pas qu’une telle initiative ait fait preuve d’un grand respect vis-à-vis des autres cinéastes de cette section.
Peter Bradshaw, un critique de cinéma du journal The Guardian qui a toute mon estime, résume avec une belle ironie la situation : « On pourrait comparer Anderson au personnage de Cosmo Kramer dans la série télévisée Seinfeld qui s’inscrit à un cours de karaté pour débutants et c’est ce qui lui permet de dominer brutalement tous les enfants du groupe sous prétexte qu’ils ont tous au même niveau technique … »
Ou, pour revenir au Québec, c’est comme si on faisait jouer le Canadien de Montréal contre une équipe bantam A de Chomedey, Longueuil ou ailleurs.
C’est quand même assez ironique qu’Anderson reçoive son premier Oscar pour un court métrage après ses onze longs-métrages et ses nombreuses nominations … Quant à Netflix, cette victoire met en lumière toute son avidité pachydermique.
J’ai écrit à Samuel Caron et à Jean-Christophe J.Lamontagne pour connaître leur réaction face à cet Oscar Anderson/Netflix.
En résumé, il se disent évidemment déçus qu’un cinéaste aussi bien établi qu’Anderson ait pris la place d’un cinéaste émergent.
Jean-Christophe J.Lamontagne : « Les plateformes se sont immiscées là-dedans et sont prêtes à tout pour récolter un maximum de nominations face à leurs compétiteurs et ce, au détriment de la relève. C’est vraiment dommage, mais bon, ça fait partie de la « game ». C’est cliché à dire, mais être nommé demeure une victoire en soi. »
Sage consolation.
En 1987 à Montréal, Win Wenders emporte le Grand prix du Festival du nouveau cinéma (FNC) avec Les ailes du désir . Ce prix est accompagné d’une bourse de 5000 dollars. Atom Egoyan était aussi du festival avec son deuxième film Family Viewing . Le jury lui attribue une mention honorable. Coup d’éclat, grande émotion : Wenders donne à Égoyan son chèque ! C’est un geste généreux, exemplaire que celui de Wenders face à un jeune cinéaste dont il estime les films.
Quand on regarde Wes Anderson/Netflix dans la même course que Vincent René-Lortie, on se dit qu’il y a des choses qui se sont oubliées et que la noblesse d’un geste comme celui de Wenders, il y a plus de trente ans, a fait place aujourd’hui à la vulgarité du plus fort.
Invincible : scénario et réalisation : Vincent René-Lortie Production : Élise Lardinois, Samuel Caron Direction de la photographie : Alexandre Nour
Distribution : Léokim Beaumier-Lépine,Élia St-Pierre, Isabelle Blais, Pierre-Luc Brillant,Ralph Prosper. Québec : 2023. Durée : 30 minutes
Étoiles : ****
The Wonderful Story of Henry Sugar : Réalisation : Wes Anderson Scénario: Wes Anderson, Rohald Dahl. Production: Wes Anderson/Netflix. Direction de la photographie : Robert D.Yeoman
Distribution: Benedict Cumberbatch, Ralph Fiennes, Ben Kingsley, Dev Patel.
USA 2023. Durée: 41 minutes
Étoiles : ***1/2