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Paul Tana
L’autre soir, à contrecœur ou presque, je suis allé voir Les feuilles mortes de Aki Kaurismaki !
Après la projection je suis sorti de la salle 3 du Cinéma du Parc enchanté !
Ansa (Alma Pöysti) et Holappa (Jussi Vatanen), les deux protagonistes, sont des personnages emblématiques du monde de Kaurismaki : humbles ouvriers, résignés et seuls : Holappa est sableur et perd son emploi à cause de son alcoolisme, il devient travailleur de la construction et perd à nouveau son emploi pour la même raison. Ansa est préposée aux aliments dans un supermarché. Mise à la porte pour des raisons absurdes elle vogue ensuite de jobine en jobine.
Ils se rencontrent dans un bar karaoké et c’est le coup de foudre : un mini coup de foudre, entendons-nous, fait de regards discrets, de silences timides, d’émotions retenues.
Ils se perdent de vue puis le hasard fait en sorte qu’ils se croisent de nouveau. Ils vont au cinéma, elle lui laisse son numéro de téléphone sur un bout de papier, il le perd à son insu. Ni l’un ni l’autre ne connaissent leur nom, comment vont- ils faire pour se retrouver ?
C’est une belle histoire, non ?
Elle est directement inspirée par la comédie romantique américaine des années 40/50 (Leo McCarey) mais avec une très grande différence : le sentimentalisme propre à ce genre de cinéma — et que cette histoire porte en elle -même— est totalement désamorcé par l’humour noir, le minimalisme de l’interprétation, l’ascétisme du découpage (tout se passe dans des longs plans fixes) et la manière dont Kaurismaki la raconte avec cette attention précise qu’il porte aux objets, aux décors, aux visages, coiffures, costumes, bref tout ce qui est visible, concret donc filmable.
Les images et le « matériel plastique » qu’elles montrent : le plan rapproché sur le bout de papier sur lequel est inscrit le numéro d’Ansa qui glisse de la poche de Holappa et s’envole hors-champ; un tas de mégots sur le trottoir, qui nous fait comprendre que Holappa a attendu longtemps Ansa devant le cinéma où il espère la croiser puisqu’il n’a plus son numéro de téléphone; la chambrette de Ansa avec le lit à une place qui exprime toute sa solitude; le barman avec sa barbe pointue, solennel et figé derrière le comptoir du bar karaoké et dans ce même bar, la maitresse-de cérémonie…Ce sont tous ces éléments qui donnent au film un caractère décalé, ironique et tendre.
Et c’est ce qui fait son charme : Kaurismaki nous fait un clin d’œil en racontant son histoire d’amour, il fait aussi un clin d’œil au cinéma, au muet et à Chaplin : ce n’est pas pour rien que le petit chien errant qui accompagne nos deux amoureux enfin réunis dans le dernier plan du film, s’appelle comme le grand maître.
Comme je l’écris plus haut, je suis allé voir presque à contrecœur Les feuilles mortes parce que j’ai un souvenir peu enthousiaste de ses films antérieurs : je les trouve respectueusement intéressants, sans plus. J’ai l’impression qu’il ne réussit pas vraiment à transformer en beauté leur tristesse grise, leur misérabilisme, leur morosité.
Mais ici dans ces Feuilles mortes , il fait un saut qualitatif car ses perdants deviennent magnifiques et tendres et font en sorte que la beauté soit au rendez-vous, là sur l’écran avec tout son pouvoir d‘émerveillement et de consolation.
Les feuilles mortes
Lauréat du Prix du Jury au Festival de Cannes 2023.
Représentant de la Finlande dans la course à l’Oscar du Meilleur film international 2024
Deux nominations aux Golden Globes 2024
Réalisation et scénario : Aki Kaurismaki. Producteurs : Misha Jaari, Aki Kaurismaki,Mark lwoff .Direction de la photographie :Timo Salminen. Production :Sputnik Oy
Distribution : Alma Pöysti,Jussi Vatanen,Janne Hyytiäinen,Alina Tomnikov,Sakari Kuosmanen
Durée : 81 minutes. Finlande : 2023 / Étoiles ****/5