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Image générée par IA Openart
Fin officielle de la pandémie pour l’Organisation mondiale de la santé. On pensait l’affaire réglée en attendant la prochaine épidémie de zoonose infectieuse, une grippe aviaire ou autre dérapage de la nature. Pas si vite. Non seulement le SARS-COV-2 persiste à bas régime dans la population, mais sa manifestation en version longue devient déroutante. Du jamais vu en médecine.
Le patient actif et sans antécédents cardio-vasculaires est aujourd’hui traité pour un infarctus modéré du myocarde. Le cardiologiste d’intervention ne parvient pas à passer le cathéter par l’artère radiale du bras. Le vaisseau se contracte. Une procédure pourtant courante qui permet d’acheminer la lentille de caméra et, au besoin, la petite endoprothèse, le stent, qui permettrait de rouvrir l’artère du cœur affectée.
Questions au patient : avez-vous consommé de la cocaïne ces dernières semaines ? Non docteur ! Avez-vous eu la COVID ? Oui, l’an dernier.
La question n’est pas anodine. Les médecins sont obligés de composer avec une autre réalité au quotidien. Dans quelle mesure ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent, peut être la conséquence d’une infection antérieure à la COVID-19, et peu importe sa sévérité. Et les anomalies, quelquefois même discrètes, à retardement, ne se limitent pas à la cardiologie.
La COVID longue n’est plus uniquement longue.
La COVID multisystémique
Ce sont les patients qui, au début de la pandémie, ont inventé le terme de COVID longue et alerté le monde médical. On parlait alors d’un syndrome relativement circonscrit composé de faiblesses musculaires, d’essoufflement, de fatigue chronique, de céphalées, accompagné de certains problèmes cognitifs qu’on décrit comme un brouillard cérébral.
Mais le spectre s’est considérablement élargi depuis deux ans, comme l’explique le Dr Alain Piché, fondateur et directeur de la clinique des affections post-COVID-19 au CIUSSS-CHUS de l’Estrie : « La COVID longue est devenue une maladie qu’on dit multisystémique, c.a.d. qui peut toucher plusieurs organes. On a des manifestations cliniques qui peuvent être pulmonaires, cardiaques, digestives, psychologiques, urinaires; c’est extrêmement varié comme manifestations. Plus de 200 symptômes ont été rapportés et associés possiblement à une longue COVID. »
Alors que la science nous a habitués à clarifier les phénomènes de la nature, elle nous entraîne ici dans une réalité nébuleuse où plus on en sait, moins on en comprend explique le Dr Piché : « On se résigne au fait qu’il n’y a pas de définition claire et universellement reconnue de la COVID longue … L’absence de biomarqueurs et de tests diagnostiques complique les choses et rendent difficile le diagnostic différentiel entre une longue covid et d’autres affections avec des manifestations similaires. »
Du jamais vu en médecine
D’autres maladies infectieuses peuvent entraîner des effets aigus à long terme, comme la grippe chez certaines clientèles vulnérables, la maladie de Lyme, l’Ebola ou encore la dengue dans les pays du Sud. Toutefois, on n’a jamais vu une infection respiratoire transmissible par voie aérienne produire un tel déferlement de symptômes différents sur l’ensemble du corps humain, à tout âge, sans distinction de genres, et sur l’ensemble du globe.
Et le tableau clinique est complexe car personne n’est à l’abri de la forme longue, en dépit de la sévérité de l’infection primaire, comme le souligne le Dr Piché : « Les gens qui ont fait des infections sévères ont plus de risques de développer des longues COVID dans une proportion de 40 à 50 %. Cependant, la très vaste majorité qui ont eu une COVID modérée et même asymptomatique sont finalement rattrapés par la COVID longue dans 10 à 30 % des cas. »
Tempêtes de cytokines, inflammation des tissus, on a su rapidement que la COVID avait des effets cliniques importants chez les gens gravement atteints par la maladie initiale, mais il reste impossible de cerner la ou les causes des effets post-aigus selon le Dr Piché : « On se demande aujourd’hui si une longue COVID est une seule pathophysiologie. On se questionne à savoir si les manifestations cliniques sont attribuables à la persistance du virus dans l’organisme, ou une conséquence de la réponse inflammatoire à l’infection, ou dans d’autres cas, la production d’auto-anticorps, en plus des anomalies de micro-circulation qu’on comprend encore mal, etc … Ce n’est pas clair si nous faisons face à une seule maladie ou à un éventail de maladies initiées par l’infection primaire. »
Une bombe COVID longue ?
Une récente étude multidisciplinaire publiée dans le journal Nature estime que plus de 400 millions de personnes sont aujourd’hui touchées par une forme ou une autre de COVID longue dans le monde (*). Une évaluation qui sous-estime possiblement la réalité étant donné le peu de recul sur le phénomène. Cela représente tout de même 6 à 7 % de la population adulte et 1 % des enfants.
Si on tient compte que le virus restera endémique encore pendant des décennies, on peut se questionner sur la capacité des ressources pour faire face à cette nouvelle réalité, et non seulement en termes de quantité mais aussi de qualité.
Par exemple, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) arrive difficilement à discriminer certaines anomalies dans les tissus atteints par la COVID longue. Toutefois, des versions récentes d’IRM spécialisées se révèlent beaucoup plus performantes, mais elles sont encore trop rares et méconnues des protocoles pour faire une différence sur la morbidité actuelle.
Soins de santé, chômage, absentéisme, perte de scolarité, inégalités sociales etc., l’étude dans Nature évaluait le coût annuel de la COVID longue à 1000 milliards de dollars américains, soit 1 % du PIB mondial actuel.
Bonne nouvelle toutefois, les antiviraux comme le Paxlovide et, plus récemment, la Metformide, un traitement contre le diabète, semblent significativement efficaces pour prévenir les versions longues de COVID chez les patients hospitalisés.
Mais il en faudra d’autres, plus ciblés. Et les molécules de manquent pas. Il faut en imaginer les protocoles, les indications nouvelles, rapidement comme ont si bien fait , tiens, les vaccins.
Le complot long
Les militants antivaccins jubilent. Voici que la maladie elle-même leur fournit du complot à ruminer. La COVID longue constituerait rien de moins que la prolifération des effets secondaires de la vaccination. Ils avancent pour preuve que les patients vaccinés sont nettement plus nombreux chez les patients de COVID longue, et ils ont raison. Même ceux qui aiment la crème glacée en fait, car plus de 90 % des gens ont reçu au moins une dose de vaccin et aiment la crème glacée. Ça fait beaucoup de monde !
Mais si on résume plus sérieusement les résultats de la recherche sur la question, on constate qu’une seule dose de vaccin, toutes classes confondues, permet de réduire d’environ 20 % le risque de COVID longue, deux doses environ 60 %, et trois doses plus de 70 % de réduction. Car, rappelons-le, les vaccins protègent des formes les plus graves, et ce sont les patients les plus malades qui sont les plus à risque de souffrir d’une forme chronique de COVID.
Souffrir. Le Dr Piché tient a souligner le mot : « Même si la pandémie est officiellement terminée, on a toujours des nouveaux variants, des cas symptomatiques, des cas plus sérieux et des cas de COVID longue. Beaucoup de gens qui menaient une vie active et saine souffrent beaucoup aujourd’hui, physiquement, et avec des symptômes dépressifs profonds associés à ces incapacités. C’est cette cause qui nous anime. »