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Linda Hess Miller, WikiMedia Commons
Rapatriement en autobus de migrants salvadoriens du camp de Mesa Grande au Honduras.
Alors que des milliers d’Américains cherchent à fuir les monstres Helene et Milton qui dévastent le sud des États-Unis, le premier ministre du Québec François Legault songe à déporter les migrants étrangers vers d’autres provinces à bord d’autobus gratuits. Quel rapport direz-vous ? Nous n’avons encore rien vu en termes d’afflux migratoire. Dans un avenir pas si lointain, les changements climatiques vont radicalement changer notre tissu social, qu’on le veuille ou non.
Quel spectacle pathétique de voir le gouverneur de Floride Ron DeSantis implorer ses concitoyens à évacuer une partie de l’État en prévision de l’ouragan Milton. En janvier dernier, ce politicien présentait une loi pour bannir toute référence aux changements climatiques dans la législation de Floride.
Mais le gouverneur a de l’appui des conspirationnistes qui disent que les ouragans ont toujours existé et n’ont pas augmenté en nombre. Ils ont raison. En fait, c’est davantage leur intensité fulgurante qui s’accroît depuis plusieurs années.
Si la Floride n’est pas le seul État américain à pâtir des tempêtes tropicales en Atlantique, elle reste souvent la porte d’entrée des plus dévastatrices et meurtrières. Andrew (1992), Mitch (1998), Michael (2018) ou Ian (2022) ont eux aussi des morts sur la conscience. Et ces meurtriers ont de l’aide, la nôtre. À cause du réchauffement et de la dilatation des océans, le niveau de la mer est monté de plus de 20 cm autour de la péninsule depuis les années 1950. Et 20 cm, c’est gigantesque quand ça se met à gonfler sous la dépression et les pluies diluviennes.
La migration interne
Quand le gouverneur DeSantis demande aux gens de quitter les zones les plus à risque, il s’attend bien à ce que ses électeurs reviennent voter pour lui une fois l’eau pompée, la maison reconstruite, ou le commerce rouvert. Pas tous cependant.
Il y a quelques mois, des experts recrutés par la First Street Fondation publiaient une étude dans le journal Nature (1) dans laquelle on évaluait que déjà plus de trois millions d’Américains ont quitté définitivement leur domicile depuis les années 2000 en raison des catastrophes à répétition. Deux fois plus pourraient suivre d’ici 2050.
Des environnements côtiers, traditionnellement considérés comme des havres de paix, sont devenus ce qu’on appelle des zones d’abandon climatique.
Et alors que les gens cherchent à fuir les calamités, ces dernières les poursuivent. La fameuse tornado alley, qui logeait habituellement au centre du pays, migre vers le sud-est, vers les États qui ont déjà fort à faire avec les ouragans comme le Texas, la Louisiane ou la Virginie. La plaine campagne, souvent plus pauvre, n’est plus un abri.
La migration internationale
Les déplacements intra-nationaux, qui demeurent le premier réflexe à la suite des catastrophes, sont toutefois la pointe d’un iceberg. La présidentielle américaine nous le rappelle sans cesse, tout comme les chicanes entre Québec et Ottawa ces jours-ci. Nos pays sont simultanément confrontés aux migrants venus du Sud. Et ce n’est pas que le seul niveau de vie au Nord qui les pousse à partir.
On estime que la moitié des populations de certains États d’Amérique centrale ont abandonné leur pays pour l’étranger ces dernières décennies. Et le rythme de l’exode ne cesse de progresser malgré les mesures de plus en plus contraignantes imposées au Nord.
Comme partout dans le monde, s’additionnent aux événements subits, comme les cyclones, les inondations ou les sécheresses, les effets à long terme des changements climatiques, comme l’érosion des littoraux, la disparition d’écosystèmes, l’acidification des océans, la raréfaction de l’eau douce, etc..
Migrants ou réfugiés environnementaux ?
L’Organisation internationale des migrations (OIM) définit ainsi les migrants environnementaux : « Les personnes ou groupes de personnes qui, essentiellement pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes de quitter leur foyer ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement, et qui, de ce fait, se déplacent à l’intérieur de leur pays ou en sortent. »
Mais, en dehors des observateurs les plus sensibles du phénomène, on se refuse toujours à qualifier ces personnes de réfugiés environnementaux ou climatiques. D’abord parce que ces termes n’ont pas de statut juridique dans les conventions internationales. Pas encore du moins.
Par ailleurs, même au sein du Haut commissariat aux réfugiés (HCR), il y a visiblement une crainte que ce flot, qui augmente inexorablement, ne vienne porter ombrage à la cause des réfugiés « plus classiques » qui sont victimes de la répression politique, militaire et sociale dans leur pays d’origine.
La question est tout aussi délicate qu’intéressante puisque les extrêmes de la nature sont rarement la seule raison pour laquelle on décide de quitter sa terre natale.
La guerre, la répression, les problèmes économiques, les conflits ethniques, etc. ont souvent en toile de fond un environnement devenu insuffisant pour subvenir aux besoins de tous. Un insoutenable climat … dans tous les sens du terme.
La bombe climatique
En 2015 à Paris, la presque totalité des pays de la planète s’était ralliée à l’objectif de ne pas dépasser le réchauffement global de + 2°C par rapport au niveau préindustriel. Idéalement, s’en tenir à 1,5°C.
Eh bien, ça va mal. Très très mal.
Il est plus que possible que nous franchissions le seuil du 1,5°C dès la prochaine décennie. Et ce plafond, qu’on estimait comme un compromis acceptable à Paris, apparaît de plus en plus comme la porte de l’enfer à ne pas franchir.
Il y a quelques jours, dans un article intitulé Confiance excessive dans le dépassement des objectifs climatiques, publié dans Nature (2), Carl-Friedrich Schleussner et al. mettent en garde contre une situation de non-retour au-delà de laquelle un emballement du climat deviendrait inextricable.
En 2022, des scientifiques de la NASA ont publié une projection troublante (3) dans laquelle on identifiait les parties du monde qui risquaient de devenir inhabitables dans la seconde moitié du siècle.
En première ligne, on cite les pays du Golfe (Iran, Oman, Koweït) et ceux de la mer Rouge (Égypte, Yémen, Éthiopie, Somalie, Soudan). Un peu plus tard, une partie de la Chine, de l’Asie du Sud et du Brésil.
Plus près de nous, aux États-Unis, l’Arkansas, le Missouri et l’Iowa pourraient infliger des périodes d’exposition trop longues par-delà le seuil de température tolérable pour le corps humain, soit 35°C à 100% d’humidité, ce qui équivaut par exemple à 46°C à 50%. Des extrêmes de températures encore courts et exceptionnels.
Et il est illusoire de penser que c’est la climatisation, génératrice de chaleur atmosphérique et de GES, qui saura pallier le problème.
Certaines organisations estiment que le nombre de déplacés climatiques pourrait dépasser le milliard d’ici 2050.
En fait, il apparaît de plus en plus que c’est nous au Nord qui deviendrons les sauveteurs de l’espèce, le temps que les choses se placent. Quelques siècles pour être optimistes.
Et ce n’est pas avec des autobus gratuits… que nous y arriverons.
1 – Nature https://www.nature.com/articles/s41467-023-43493-8
2 – Nature https://www.nature.com/articles/s41586-024-08020-9