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Dominique Lapointe
L’an dernier seulement, plus de 1400 objets, satellites, fusées d’appoint, étages et morceaux de lanceurs, ont été placés en orbite autour de la Terre. Ces utilités technologiques s’ajoutent aux centaines de milliers, voire millions de débris issus d’explosions, de collisions fortuites ou volontaires à des vitesses phénoménales, une pollution qui menace l’avenir de cet environnement essentiel à la qualité de vie.
Et pourtant, depuis le vol historique de Spoutnik 1 par l’URSS en 1957, moins de 6000 lancements ont eu lieu pour placer des engins en orbite dont une minorité restent opérationnels aujourd’hui. Et l’espace, même à quelque 400 kilomètres d’altitude — où circule la Station spatiale internationale (ISS) par exemple — c’est immense ! Imaginez un seul instant le risque d’accident si il n’y avait que 5000 voitures sur Terre.
Le problème c’est que l’humain n’a pas eu plus de volonté et de talent pour protéger adéquatement cet environnement que le peu de soins consacrés aux écosystèmes terrestres.
Au contraire. Jusqu’aux années 80, par une sorte d’insouciance institutionnalisée chez les puissances spatiales et leurs exploitants, on préférait croire que le problème était une fiction et que, s’il se développait un jour, de futures générations sauront bien trouver des moyens d’y remédier. Curieusement toutefois, à force de raffiner les outils d’observations, c’est comme si notre passé et l’avenir nous avaient rattrapés simultanément.
En plus des 5000 satellites inactifs, en majorité en orbite basse, on dénombre autant de débris de plus d’un mètre dans les orbites géostationnaires, à plus de 35 000 km de la Terre. Par ailleurs, on évalue à environ un million les objets de plus d’un centimètre, et à des dizaines de millions les particules de plus d’un millimètre.
Négligeable pensez-vous ? Il y a deux ans, un de ces grains a percé un trou de cinq millimètres dans une articulation du bras canadien de la Station spatiale internationale. À cette altitude, la vitesse pour se maintenir en orbite frôle les 8 km/sec. Imaginez un face à face !
D’ailleurs, depuis 25 ans, la NASA a été forcée de modifier une trentaine de fois l’orbite de l’ISS pour éviter ce qu’on appelle une « conjonction possible » avec des débris beaucoup plus volumineux. On compte ici environ 30 000 objets indésirables qu’on est en mesure de suivre depuis la Terre avec les systèmes radars et satellitaires de surveillance mis en place depuis quelques décennies en Europe et aux États-Unis.
La multiplication des débris
La palme historique de l’irresponsabilité spatiale revient sans contredit aux militaires.
Américains et Soviétiques ont fait exploser volontairement quelques satellites dans les années 60 et 70 lors de tests de missiles antisatellite. Si les Américains ont mis fin à ce programme en 1975, les défenses russes, chinoises et indiennes ont sournoisement persisté, et jusqu’à tout récemment encore.
En 2007, le satellite chinois Feng-Yun 1C a produit au moins 3428 fragments recensés après son interception « réussie », dont, possiblement, la majorité sont encore en orbite. À cette altitude, environ 900 kilomètres, la décélération naturelle par friction de l’atmosphère très ténue et la consumation peuvent prendre des décennies, voire des siècles à se réaliser.
Il y a deux ans à peine, les Russes ont fait de même avec Kosmos-1408, un vieux satellite espion pulvérisé dans un nuage de débris qui s’étend maintenant de 300 à plus de 1000 kilomètres d’altitude.
Heureusement, ces scandaleux événements intentionnels restent exceptionnels mais ils exposent la dynamique principale de production des débris spatiaux, soit l’explosion. Explosions de batteries, de réservoirs de carburant lors de mises en orbites ratées, ou encore éclatements spontanés plusieurs années après leur vie utile.
Par ailleurs, si les collisions entre satellites et débris de masse significative se comptent sur les doigts de la main, elles sont à l’origine du tiers des objets de plus de 10 centimètres en circulation dans l’espace. C’est dire la force colossale de ces impacts.
La multiplication des satellites
Paradoxe du progrès, c’est précisément l’exploitation utile et nécessaire de l’espace qui la rend si vulnérable à moyen terme. Le déploiement sans retenue de constellations de micro-satellites par l’industrie privée représente un risque significatif pour la sécurité orbitale de tous les exploitants d’orbites basses dans les prochaines années.
Les quelque 4000 satellites Starlink seront multipliés par dix d’ici peu promet le patron de SpaceX, Elon Musk. Ces milliers de transmetteurs d’Internet s’ajouteront aux centaines d’autres prévus par des promoteurs comme OneWeb ou Kuiper du géant Amazon.
On parle ici de satellites de petite taille et relativement rudimentaires, qui ne sont pas munis de systèmes de propulsion pour une destruction atmosphérique en fin de vie. Des engins sur des orbites qui s’entrelacent en toile d’araignée et qui menaceront les satellites de télécommunication (il en existe en orbite basse), de navigation ou de télédétection essentiels aux transports, aux communications et à la défense des États.
Et cela, sans compter la nuisance de ces objets qui reflètent la lumière solaire et polluent l’Univers des chercheurs en astronomie.
Prévention, nettoyage ou catastrophe
Pour l’instant, impossible de compter sur le droit spatial développé depuis des décennies pour ralentir ce « progrès » de la technique humaine. Il y a bien sûr des règles internationales ou multilatérales pour jouer au grand théâtre de l’espace, mais elles sont davantage axées sur la liberté d’exploitation que sur des contraintes environnementales.
Mince première, la Federal Communications Commission des États-Unis vient de mettre à l’amende la société Dish Network qui n’a pas su placer adéquatement un vieux satellite sur une orbite cimetière au-dessus de la zone géostationnaire à 36 000 km de la Terre. 150 000 dollars … C’est peu, mais ça demeure un premier message pour l’industrie.
En plus de mesures de prévention comme celle-ci ou encore la désorbitation programmée à basse altitude, qui font partie des règles de bonne conduite, nombre de projets de recherche sont en cours pour développer des technologies qui permettraient de « nettoyer » l’espace. Filets, lasers, robots éboueurs, voiles de trainée sont autant de dispositifs imaginés pour tenter de réduire un jour la quantité de débris en orbite. Un défi qui demeurera titanesque et fort onéreux.
En 1978, un astronome de la NASA, Donald J. Kessler, élaborait une théorie selon laquelle les débris spatiaux pourraient devenir si nombreux qu’ils engendreraient soudain une cascade de collisions qui multiplierait leur quantité de manière exponentielle et causerait la perte de tous les satellites et observatoires de basse altitude et, ainsi, rendrait impossible leur remplacement éventuel. La débâcle spatiale à laquelle on assiste dans le film Gravity sorti en 2013.
Un cauchemar qui porte le nom de syndrome de Kessler.
Simple cauchemar hollywoodien ? Il faut parfois un cauchemar pour réveiller l’Homme qui rêve.