À propos de l'auteur : Rudy Le Cours

Catégories : Économie, Québec

Partagez cet article

Rudy Le Cours

La remontée quasi miraculeuse du Parti québécois dans les sondages ranime malgré lui la frousse de l’indépendance, parmi les créanciers présents et futurs de la province.

La prime qu’ils exigent pour les rassurer reste un sujet tabou. On ne la mentionne pas explicitement, mais des acteurs du marché obligataire observent que Québec consent ces jours-ci un écart de crédit de un à deux points pour mettre la main sur leurs millions. Cet argent sert à (re)financer la dette nette de plus de 220 milliards et le nouveau déficit annoncé de quelque 11 milliards, pour l’exercice en cours.

C’est ce qu’a appris En Retrait par suite d’une indiscrétion d’un joueur très actif sur le marché obligataire.

Il va de soi que cet écart de crédit serait au moins aussi élevé, si les sondages indiquaient à répétitions que Québec solidaire risque de former le prochain gouvernement.

Cette prime de frilosité ne se mesure pas formellement. Elle est d’autant plus difficile à chiffrer qu’elle resurgit au moment où on observe que Québec rompt avec la discipline budgétaire qui lui avait permis de se financer à un coût un peu moindre que l’Ontario, depuis 2017.

Cet avantage s’est évanoui. Il est bien probable que les coûts d’emprunts de Québec excèdent ceux de Queen’s Park, d’ici la fin de l’exercice 2024-2025.

« Vrai, on réajuste le prix de certaines relations, celles qui affichent des déficits et des besoins d’emprunts démesurés ainsi que des risques de crédits accrus, du moins pressentis comme tels », écrit Warren Lovely, économiste principal à la Banque Nationale dans une note aux investisseurs rédigée avec des gants blancs (1).

Le Québec remplit toutes les cases.

Ce que coûte un point

Un écart de rendement de un ou deux points centésimaux — ou de base dans le jargon financier — c’est bien peu à première vue. Après tout, il faut 100 points centésimaux pour faire un point de pourcentage. C’est tout juste 0,0001 en valeur absolue.

Exprimé en dollars, un point de base, ça représente 100 dollars pour un emprunt de un million.

Ça semble à peine un petit rien.

Cette année toutefois, le programme d’emprunts de Québec s’élève à 36,5 milliards. Un point de base, c’est donc 3,65 millions qu’il faut allonger en plus aux prêteurs. Comme l’échéance moyenne des emprunts du Québec s’établit à 12 ans, les intérêts additionnels à payer gonflent à 43,8 millions.

Cette somme n’inquiète pas du tout le ministre Éric Girard, même si elle lui permettrait de financer au moins cinq fois encore la venue des Kings à Québec, s’il la gardait dans le Trésor public.

Ce point de base s’ajoute au coût moyen des emprunts du Québec. L’an dernier, il s’est établi à 3,99 % pour les quelque 27,3 milliards empruntés (2).

Elle est bien révolue l’époque chérie où le Québec consentait un taux de 1,2 % pour un emprunt de 10 ans (3). C’était en 2020, pendant la pandémie. Se financer coûtait moins que le taux d’inflation. En termes réels, cela équivalait à exiger des prêteurs qu’ils payent pour détenir une tranche de la dette du Québec. Mais la Banque du Canada a été presque la seule à répondre : présente ! Prêteurs et investisseurs couvaient leurs magots.

La fixation des taux

Quand une province emprunte, les intérêts qu’elle doit payer obéissent à quelques variables.

Ils dépendent d’abord du taux des obligations du Canada (les « Canada» ) pour la même échéance de l’emprunt.

Ainsi, le 1er avril, le rendement des « Canada » venant à échéance dans 10 ans et plus s’établissait à 3,51 %.

À ce taux, s’ajoute une prime moyenne de 90 à 100 points centésimaux, selon l’humeur des créanciers. Cet écart de rendement s’explique en grande partie par la note de crédit d’une province comparée à celle du Canada qui, à AAA, jouit d’une des meilleures au monde. Celle du Québec, tout comme celle de l’Ontario, s’établit à AA2 ou Aa-, selon les agences de notation. Seule la Colombie-Britannique est mieux notée par toutes les agences (4).

En octobre dernier, Québec s’est engagé à payer 4,3 % d’intérêt pour un emprunt de 10 ans. À ce moment, le taux des « Canada » avait atteint un sommet du présent cycle. Il s’est replié depuis, ce qui a fait baisser quelque peu les coûts d’emprunt du Québec. Ils ont néanmoins été fixés à 4,2 %, le 2 avril, premier emprunt du présent exercice.

Bref, l’ère des aubaines est terminée.

Quand le programme d’emprunts est élevé, comme celui de 36,5 milliards cette année, il se peut que les prêteurs se rassasient bien avant qu’il soit complété. Mieux assaisonner le plat pour qu’ils en mangent davantage s’avère alors nécessaire.

En 2023-24, Québec a fait appel 27 fois aux emprunteurs canadiens et quatre fois aux étrangers. Pour l’exercice en cours, il doit financer 10 milliards de plus, ce qui le forcera à les solliciter plus souvent.

Depuis quelques années, le Québec a lancé plusieurs obligations d’une échéance de 30 ans. L’an dernier, cela a représenté 21 % de la valeur de ses emprunts.

Un profil financier moins reluisant pourrait obliger Québec à (re)financer davantage sa dette à moins long terme, une perspective moins séduisante.

C’est dans pareil contexte que la prime liée à la remontée du PQ a tout son poids. Les marchés financiers, frileux par nature, exigeront du réconfort pour absorber la dette du Québec, surtout si la probabilité d’un référendum se précise.

Les prêteurs encore réceptifs

Deux jours à peine après la présentation du budget Girard, le 12 mars dernier, Québec a fait appel à ses prêteurs. Il a proposé un rendement de 3,60 % payable pendant 10 ans pour une tranche de dette de 600 millions. La mise à l’enchère a permis de recueillir 576,4 millions. Exprimé autrement, au lieu des 3,6 % en intérêts promis sur le coupon de l’obligation, Québec devra plutôt payer 4,105 %.

Deux jours après, une nouvelle enchère de la même obligation a été adjugée à 4,215%.

Ce n’est pas mauvais, mais il y a quelques années, Québec est souvent parvenu à emprunter en consentant un taux moins élevé que celui du coupon pour un emprunt de 10 ans. Autrement dit, la qualité de sa dette et sa relative rareté faisaient saliver les prêteurs.

C’est encore le cas, semble-t-il, pour les emprunts venant à échéance dans 30 ans. Le 21mars, le taux consenti pour une tranche de dette de 750 millions était inférieur à celui du coupon. Autrement dit, Québec a ramassé 7,7 millions de plus (5).

Québec a aussi par ailleurs emprunté en dollars américains et en euros.

Bref, on parvient toujours aisément à se financer, bien que ça coûte plus cher qu’il y a un an.

Évidemment, si la baisse tant attendue des taux d’intérêt se concrétise enfin, le Canada se financera à moindre coût et, par conséquent, ses provinces aussi. Elles bénéficieront de la baisse dans la mesure où elles pourront contenir l’écart de rendement avec les « Canada ».

Là encore, la prime référendaire pourra entrer en jeu.

Ottawa entre en scène

Toutefois, Ottawa accumule déficit sur déficit qu’il doit aussi financer. Jusqu’ici, il s’est gardé de faire concurrence aux provinces, en concentrant ses emprunts sur de courtes échéances, leur laissant les plus longues.

En temps normal, cette stratégie est payante. Généralement, les taux des emprunts à court terme sont inférieurs à ceux de plus log terme.

Cela obéit à la logique financière voulant qu’il existe un risque sur la durée voulant que l’inflation ne soit pas toujours maîtrisée.

Depuis la fin de 2021, la Banque du Canada mène une lutte sans merci contre la montée des prix en augmentant son taux directeur. Il est désormais beaucoup plus élevé que les perspectives d’inflation à long terme (6), lesquelles sont estimées par les marchés financiers qui déterminent les taux d’intérêt sur la dette.

Le service de la dette fédérale gonfle en conséquence, au point où Ottawa a indiqué l’automne dernier vouloir désormais emprunter davantage pour des échéances de 10, voire de 30 ans (7).

Les uns y verront une politique de saine gestion, les autres une intrusion dans une quasi chasse-gardée des provinces, c’est selon.

Chose certaine, Ottawa prétend répondre ainsi à la demande de ses prêteurs qui, après tout, font la loi.

Ce faisant, se profile le risque d’une certaine congestion dans cette échéance, d’autant plus qu’aux déficits abyssaux d’Ottawa, s’ajoutent ceux de huit provinces sur dix cette année, sans compter la portion de leur dette qu’il faudra refinancer. En fait, cette année correspond aux besoins financiers les plus élevés d’Ottawa et des provinces depuis 2020, année de la récession Covid.

À la différence de cette année-là, la Banque du Canada ne pratique plus d’assouplissement quantitatif qui consistait à acheter massivement des tranches de dettes d’Ottawa et des provinces afin d’éviter un gel du crédit, prélude à toute débâcle financière.

Il reviendra avant tout aux prêteurs institutionnels d’absorber ces emprunts. Ils ne se gêneront pas pour se montrer plus exigeants, après plusieurs années de faible rémunération pour faire du crédit.

Dans ce contexte, même un écart de rendement de un ou deux points centésimaux valent leur pesant d’or pour qui n’aura pas à les payer.

1- https://www.nbc.ca/content/dam/bnc/taux-analyses/analyse-eco/mkt-view/market_view_240322.pdf

2- Plan budgétaire 2024-2025, page H.25

3- Plan budgétaire 2024-2025, page H-31

4- Plan budgétaire 2024-2025, page H.39

5 –https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/finances/publications-adm/Emprunts/EMPFR_Quebec_2023-2024_20240321.pdf

6- https://www.banqueducanada.ca/taux/taux-dinteret/obligations-canadiennes/

7- https://www.budget.canada.ca/fes-eea/2023/report-rapport/anx2-fr.html#a7

Laisser un commentaire