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Rudy Le Cours
La tour centrale de la résidence Ora du Groupe Maurice, à Montréal.
On fait peu de cas des Résidences pour personnes âgées (RPA) dans la crise du logement qui sévit d’un océan à l’autre et au Québec en particulier. Après tout, leur taux d’inoccupation est très élevé et suggère que l’offre serait surabondante, à tel point que certains logements pourraient être offerts à une autre clientèle que les aînés. C’est en fait un mirage qui masque une prochaine pénurie que les autorités préfèrent ignorer jusqu’ici.
Rudy Le Cours
À Montréal, le taux d’inoccupation des logements à louer serait à peine de 2 %, un chiffre gonflé de surcroît par les appartements neufs, plus chers et moins abordables.
La clientèle étudiante venue d’ailleurs, en forte hausse depuis la fin de la pandémie, peine à se trouver un toit selon leurs moyens souvent modestes. Les ménages à faibles revenus, étranglés par la hausse du coût de la vie en général et du prix des loyers en particulier, vivent le même drame.
Pourtant, des logements vacants et assez abordables, il s’en trouve beaucoup dans le parc immobilier des RPA. L’an dernier, leur taux d’inoccupation s’élevait à 13,7 % dans la région de Montréal et de 13,5 %, dans celle de Québec. C’est un peu peu mieux qu’en 2021, mais encore très loin des taux de seulement 4,5 % et 7,7 % observés avant la pandémie (1).
On peut même présumer que ces taux sont en-deçà de la réalité, un propriétaire aux prises avec autant voire davantage d’unités libres ne veut surtout pas alerter son banquier.
Les confinements répétés ont fait mal aux RPA puisque leur clientèle s’y est sentie enfermée. Beaucoup d’aînés autonomes ont choisi de retourner dans un loyer standard d’où ils peuvent sortir faire des courses ou simplement prendre l’air.
Ailleurs au pays, où les RPA ont aussi été désertées, on a tenté quelques expériences pour occuper les logements vacants. Ainsi, on a offert une chambre à bon prix à des étudiants en échange de travaux ménagers.
Pareilles initiatives ne sont pas vraiment dans les cartons de Québec où on a mis bien du temps à reconnaître l’existence même d’une crise du logement. « Ce serait envisageable, mais il faut surmonter les contraintes de certification », fait valoir en entrevue Marc Fortin, président-directeur général du Regroupement québécois des résidences pour ainés (RQRA). L’organisme regroupe 860 des quelque 1441 RPA au Québec.
Les RPA ne relèvent pas du ministère de l’Habitation, mais de celui de la Santé. Chacun paraît bien jaloux de ses plates-bandes.
Une rareté prochaine
Le Québec compte le plus de logements en RPA et de loin au Canada avec 143 000 unités, contre, par exemple, moins de 80 000 en Ontario.
Deux raisons expliquent peut-être cette distinction : les crédits d’impôt plus généreux aux aînés et une population locataire plus élevée que dans le reste du Canada. « En plus, les RPA hors Québec s’apparentent davantage à des ressources intermédiaires. Les aînés préfèrent donc rester dans leur maison plus longtemps », indique Francis Castellino, économiste à la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).
Le taux d’inoccupation des RPA n’est pas plus élevé au Québec qu’ailleurs au pays. Sauf que le nombre d’unités vacantes l’est. Trouver moyen d’allouer ces appartements permettrait à certaines RPA d’augmenter leurs revenus alors que leurs coûts augmentent. Plusieurs perdent même de l’argent.
On dénombre 378 fermetures depuis 2021, selon la compilation du RQRA. «Pour la première fois en 12 ans, on compte moins d’unités cette année que l’année précédente, précise M. Fortin.
Au début du millénaire, il s’est construit beaucoup de RPA au Québec. Depuis la pandémie, les promoteurs se sont lancés dans la construction d’appartements locatifs après avoir saturé le marché du condo, explique M. Castellino.
Le coût accru du capital, de la main-d’œuvre et des matériaux, lié à une réglementation de plus en plus contraignante, paralyse cette année le marché de l’habitation neuve. L’an dernier, le parc d’unités de RPA a grandi d’à peine 980 unités neuves, cette année, d’aucune.
Une variété de RPA
L’Offre de RPA se décline en quatre catégories et trois classes.
Dans la première catégorie, on retrouve des habitations gérées par des organismes à but non lucratif et dans la deuxième, par des entreprises privées. Dans la troisième, le loyer peut inclure aussi des services ménagers, tandis que la quatrième propose en plus des soins infirmiers comme l’assistance à la prise de médicaments ou, à l’hygiène. Tout cela, à la carte, bien entendu.
Comme pour les édifices à bureaux, ces catégories sont recoupées en classe A, B, ou C, selon le luxe des infrastructures.
« Les gens qui ont les moyens optent pour la RPA pour socialiser, se sentir en sécurité et rester actifs », résume M. Fortin.
« Ce qui diminue, ce sont les petites résidences, observe Carl Cloutier , vice-président exploitation de l’Institut de développement urbain, le lobby des promoteurs. C’est là aussi où se concentrent les unités les plus abordables.
Autre observation, faite par le Groupe Artis pour le compte de l’IDU, le taux d’inoccupation est moins élevé dans les couronnes nord et sud de Montréal, là où se sont construites les RPA parmi les plus luxueuses ces dernières années et là où les revenus des ainés sont plus élevés qu’à Montréal même.
Le choc du baby-boom
En 2025, les boomers les plus âgés auront 80 ans, l’âge moyen d’un locataire en RPA. On prévoit que, si l’offre n’augmente pas, il y aura pénurie d’unités. Cela signifie engorgement accru des hôpitaux, listes d’attente qui s’allongent dans les CHSLD, nouveau gonflement du budget du ministère de la Santé et récriminations de toutes parts.
« Dans certaines RPA de Laval, il faut déjà compter de 12 à 18 mois pour avoir une place », précise M. Cloutier.
On calcule qu’une personne peut vivre de cinq à sept ans en RPA avant d’aller finir ses jours dans un CHSLD. Autant d’années où sa qualité de vie y est plus stimulante autant d’années où la personne n’est pas à la charge de l’État.
Les RPA ne sont toutefois pas à la portée de tous. Le loyer médian mensuel s’élevait l’an dernier à 2055$ dans la région de Montréal et à 2146$ dans celle de Québec, selon Cushman & Wakefield. Soit environ 25 000$ par année.
À Montréal, le prix médian varie de 1260 $ pour un studio jusqu’à 2660 $ pour un appartement comptant deux chambres.
C’est beaucoup d’argent, si on considère que 29,21 % des particuliers de tout âge avaient un revenu total (avant impôt et déductions) de moins de 25 000 $ et 29,72 % entre 25 000 $ et 49 999 $ en 2021, selon les données du ministère du Revenu. Autrement dit, la moitié des particuliers ont gagné moins de 50 000 $.
Si on découpe par tranche d’âge, le portrait devient encore plus sombre. Le revenu médian après impôts des 75 ans et plus s’élevait à 26 338 $, en 2021, selon l’Institut de la statistique du Québec (2). Dit autrement, la moitié de cette cohorte gagnait moins.
Des RPA abordables ?
Dans le Point sur la situation économique et financière du Québec de l’automne 2023 (3), le ministre Éric Girard a fait grand cas des quelque 1,8 milliard que l’État compte investir pour améliorer l’accès au logement, d’ici cinq ans. On y cherche en vain quelque référence que ce soit aux RPA.
Pourtant, chaque personne qui choisit d’habiter en RPA libère une maison ou un logement. On trouve, certes, dans le document du ministre des mesures pour outiller les villes afin de favoriser la densification de leur territoire.
Toutefois, les contraintes multiples et, en particulier le règlement pour une métropole mixte, de la Ville de Montréal, refroidit les promoteurs. Il impose l’inclusion de 20 % de logements sociaux, 20 % d’abordables et 20 % de familiaux. L’intention est louable, mais en deux ans, seuls 86 unités de logements sociaux ont levé de terre. Les promoteurs préfèrent payer une pénalité jugée dérisoire par des regroupements populaires.
Quoi qu’il en soit, cela montre que les lois du marché sont incompatibles avec la construction de logements sociaux ou abordables, qu’ils soient sur le marché locatif standard ou celui des RPA. Il faudra donc que Québec s’en mêle, ce qui ne semble guère l’intéresser.
En attendant, vivre en RPA n’est pas à la portée de toutes les bourses. «C’est fait pour les anciens propriétaires ou pour ceux qui ont un bon fonds de pension » résume M. Castellino.
Et ça ne risque pas de changer de sitôt.
(1) https://www.cushmanwakefield.com/en/canada/insights/canadian-seniors-housing-industry-overview
(2) https://statistique.quebec.ca/docs-ken/vitrine/vieillissement/index.html?theme=revenu&tab=2
(3) http://www.finances.gouv.qc.ca/Budget_et_mise_a_jour/maj/documents/AUTFR_lepointNov2023.pdf
Bravo Rudy, toujours des sujets intéressants