À propos de l'auteur : Rudy Le Cours

Catégories : Économie, Canada

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Rudy Le Cours

Baisseront-ils ou pas ? Eh non, les taux d’intérêt ont plutôt augmenté une neuvième fois et rien n’indique que c’est terminé.

Bien malin qui peut prétendre connaître aujourd’hui le loyer de l’argent de l’an prochain pour payer sa maison, son véhicule ou sa carte de crédit.

En début d’année, la grande majorité des prévisionnistes penchait pour un assouplissement de la part de la Banque du Canada, dans les mois à venir et au début de l’an prochain. Après la huitième hausse d’affilée de son taux directeur en moins d’un an, notre banque centrale venait d’annoncer une pause, tout en précisant qu’elle n’hésiterait pas à resserrer davantage le crédit, si devaient persister les pressions inflationnistes. 

Dans le manuel des météorologues de la production, un bond de plus de quatre points de pourcentage de l’outil clé pour la conduite de la politique monétaire signifie ralentissement marqué de l’expansion et décélération de la montée des prix. Ils ont conclu à une récession prochaine qui amènerait même la Banque à desserrer son étau sur le crédit.

La pause annoncée en janvier par nos banquiers centraux a semblé d’autant plus justifiée qu’il faut compter jusqu’à un an et demi pour que tout changement de taux s’instille pleinement dans chaque sphère de la production et de la distribution des biens et services. Il y a un an, le taux directeur s’élevait à 1,5%, en hausse déjà de 1,25 point en trois mois. Dans bien des situations passées, pareil tour de vis aurait déjà répondu en bonne partie aux attentes de la banque centrale en freinant l’expansion économique. 

On observe plutôt une augmentation de 3,1 % en rythme annuel du produit intérieur brut réel, un marché du travail tendu avec plusieurs centaines de milliers de postes non comblés, un taux annuel d’inflation au-delà de la fourchette de 1 % à 3 % visé par la Banque du Canada (1) et une relance des transactions immobilières résidentielles assortie d’une stabilisation, voire d’une légère remontée des prix puisque la demande excède l’offre à nouveau (2).

Bref, les banquiers centraux ont encore du pain noir sur la planche et il ne faut pas s’étonner s’il nous en font manger d’autres tranches.

L’indigestion hypothécaire

Cela dit, la politique monétaire n’a rien d’un placebo. Dans certains domaines, c’est plutôt une médecine de cheval.

Observons la poussée des taux hypothécaires. Le premier décembre 2021, un emprunteur pouvait obtenir un terme de cinq ans au taux variable de 0,85 %. Ces jours-ci, son prêt qui vient à échéance en décembre 2026 lui coûte 6,7%, selon le taux affiché, bien que certains bons clients puissent se négocier un taux un peu plus digeste.

L’emprunteuse, souvent plus prudente, qui a opté pour un taux fixe au même terme a accepté un taux de 2,19 %,  jusqu’en 2026. Si, en théorie, le taux fixe de cinq ans pour un renouvellement reste au niveau actuel de 5,54 % (taux de Desjardins et de la Banque Nationale), alors la hausse sera bien plus facile à digérer que celle de l’emprunteur à taux variable (3). 

D’ici là, bien des ménages vont peiner à remplir leurs obligations hypothécaires. Selon une recherche de la Banque du Canada, environ la moitié des prêts hypothécaires à taux variable et à versements fixes ont atteint leur limite en octobre dernier. Autrement dit, 100 % des versements servent juste à payer les intérêts (4).

Les prêteurs se montrent jusqu’ici conciliants : ils proposent de prolonger jusqu’à 30 ans la période d’amortissement, par exemple.

Certains emprunteurs plus fortunés peuvent puiser leur CELI ou celui de papa-maman afin de rembourser une partie du capital emprunté afin de stabiliser leurs paiements.

L’effet de la médecine administrée par la banque centrale dépend aussi beaucoup du moment où le prêt à taux variable a été contracté. Ceux pris en juin 2018 et qui viennent à échéance ces jours-ci avaient un taux d’intérêt de 1,85 %, à la signature. Les emprunteurs ont pu profiter de la baisse du taux variable pour accélérer leur remboursement avant d’absorber une hausse de 4,85 points (6,7 % – 1,85 %) de leur taux initial. S’ils renouvellent à taux fixe, ils peuvent alléger leurs versements ou miser sur une baisse des taux d’ici cinq ans …  s’ils ont les moyens entre temps de continuer à absorber le taux variable actuel, susceptible d’encore augmenter …  avant de diminuer sans retourner à l’Éden pré-pandémique.

Des effets secondaires prolongés

Compte tenu du niveau élevé d’endettement des ménages, la hausse des taux exerce beaucoup de pression sur tous les emprunteurs hypothécaires. Pour s’en convaincre, allez jeter un coup d’oeil sur les nombreuses simulations faites par Royces Mendes et Tiago Figueiredo de Desjardins (5). « Même si cette situation ne menace pas la stabilité du Canada, il s’agira d’un facteur structurel pouvant peser sur la croissance économique canadienne à moyen terme », concluent-ils.

Le niveau d’endettement des ménages était déjà avant la pandémie parmi les plus élevés en Occident. Depuis des années, la Banque du Canada le considère comme le risque le plus important de notre économie. 

Pourtant, elle l’a stimulé par son taux directeur plus qu’accommodant durant la deuxième moitié de la dernière décennie. De janvier 2015 jusqu’au début de la pandémie, il n’a jamais franchi la barre de 1,75 % (6). C’est un demi-point de moins que la limite inférieure de 2,25 % de la fourchette de son taux nominal neutre d’alors. Ce taux neutre correspond à une politique monétaire ni accommodante, ni restrictive. À sa décharge, les autres banquiers centraux ont fait de même. Elle a semblé ignorer toutefois que l’économie canadienne était parmi les plus dynamiques et ne requerrait pas pareil stimulus pour le crédit.

Cela dit, quand on examine de trop près la dette hypothécaire, on oublie un élément capital pour juger des finances de l’ensemble des ménages : trois sur cinq n’ont pas de prêt hypothécaire. Le tiers est locataire tandis qu’un peu plus d’un sur cinq a entièrement payé sa maison ou son condo. Qui plus est, le quart des prêts hypothécaires sont désormais contractés par des spéculateurs et des investisseurs et non pas par des particuliers, rappelle Derek Holt de la Banque Scotia (7).

Cela a pour fâcheux inconvénient de pousser les loyers et les constructions neuves à la hausse et de nourrir l’inflation, sans pour autant annihiler l’ordonnance de la banque centrale pour la diminuer. 

C’est plutôt l’abordabilité du logement qui en prend pour son rhume. Son prix est en outre avivé avec l’arrivée massive d’immigrants. Les nouveaux arrivants stimulent la demande et les prix des logements davantage même que la hausse du loyer de l’argent. C’est un peu comme si la politique migratoire qui obéit aux besoins des milieux d’affaires agissait comme un antidote à la politique monétaire. 

Risque calculé de surdose

Bref, même si les prochains chiffres de l’inflation pourront laisser miroiter qu’elle est en voie d’être endiguée, ramener son taux de 4 % à 2 % par exemple sera plus ardu encore que de le faire diminuer de 6 % à 3 %. «Entre générer une récession pour ramener le taux à 2% ou risquer de perdre le contrôle de l’inflation et ma crédibilité, c’est un no-brainer. Les banquiers centraux vont choisir la récession» affirmait Jean Boivin, ancien sous-gouverneur de la Banque du Canada et aujourd’hui directeur général du BlackRock Investment Institute, devant un parterre organisé par CFA Montréal, l’hiver dernier (8).

Voilà pourquoi le consensus de début d’année misant sur une baisse de taux milite désormais pour la poursuite du resserrement. « Le ralentissement de l’inflation observé depuis l’été 2022 a atteint un plateau, observe Jimmy Jean, vice-président, économiste en chef et stratège chez Desjardins. Cela est particulièrement évident pour l’inflation fondamentale (9). »

Cela dit, les prévisionnistes n’ont pas eu tort de prédire un assouplissement. Ils ont péché avant tout par l’interprétation trop mécanique de leur manuel.

Un resserrement accru augmente les probabilités d’une récession. Les prix vont finir par diminuer, tout comme les taux d’intérêt, mais on va tous un peu souffrir quand même entre temps. 

Car il n’existe aucun remède sans effets secondaires, souvent même délétères.

1- https://www.statcan.gc.ca/fr/debut

2- https://nbf.bluematrix.com/sellside/EmailDocViewer?encrypt=bd990786-a9da-486b-ac21-a74fdd16db2e&mime=pdf&co=nbf&[email protected]&source=mail

3- https://www.ratehub.ca/meilleurs-taux-hypothecaires/5-ans/variable

4- https://www.banqueducanada.ca/2022/11/note-analytique-personnel-2022-19/

5- https://www.desjardins.com/content/dam/pdf/fr/particuliers/epargne-placements/etudes-economiques/canada-dette-hypothecaire-25-mai-2023.pdf

6 https://www.performancehypothecaire.ca/fr/taux-directeur-de-la-banque-du-canada-des-10-dernieres-annees

7- https://www.scotiabank.com/ca/en/about/economics/economics-publications/post.other-publications.global-week-ahead.may-19–2023.html

8- https://www.lapresse.ca/affaires/economie/2023-01-26/ancien-sous-gouverneur-de-la-banque-du-canada/oubliez-les-baisses-de-taux-avant-tres-longtemps-dit-jean-boivin.php

9-https://www.desjardins.com/content/dam/pdf/fr/particuliers/epargne-placements/etudes-economiques/banque-du-canada-2-juin-2023.pdf

Un commentaire

  1. Lise Maynard 14 juin 2023 à 5:00 pm-Répondre

    Fort éclairant. Merci. Je me demande toutefois ce que le Canada peut réellement faire pour contrer les nombreux phénomènes économiques mondiaux qui se produisent en même temps? Il faut oui agir, mais on ne peut rêver à une ou des solutions miracles lorsque plusieurs guerres ont lieu en même temps partout sur la planète, que les crises climatiques se multiplient et que d’autres gouvernements nationaux ou marchés adoptent des stratégies économiques en ne regardant que leur nombril. Je suis fort sceptique quant à la capacité voire la volonté des structures économiques mondiales à redresser la situation dans des délais raisonnables.

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