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Paul Tana
Montréal Girls, premier long métrage de fiction de Patricia Chica, cinéaste canado-salvadorienne, raconte l’histoire d’un jeune homme, Ramy, originaire d’un pays du Moyen Orient qui vient à Montréal pour étudier la médecine à McGill. Notre Levantin, grâce à son cousin, chanteur dans un groupe punk-rock, fait la connaissance de deux très jolies filles, l’une mystérieuse, sensuelle aux cheveux noirs et l’autre blonde, aérienne et artiste.
Il découvre le Montréal de nuit : les partys « wild » avec ses deux amies et son cousin du côté des Anglos. Un jour, le hasard l’amène chez les Francos, au Carré Saint-Louis, au beau milieu d’un spectacle de poésie : ce qu’il entend /voit le trouble et rallume en lui son propre désir de poésie qu’il avait mis de côté, tenté d’oublier pour passer à la médecine et aux choses sérieuses de la vie.
Peu à peu, entre une promenade en scooter électrique sur le Chemin Olmstead ou l’Avenue du Parc, les quiproquos amoureux avec sa brune et sa blonde, les regards mystérieux que lui lance l’organisatrice franco des soirées de poésie au Quai-des-Brumes, les flashbacks autour de la lettre que lui a laissée sa mère avant de mourir où elle l’encourage à suivre sa voie, la poésie prend le dessus sur la médecine et, contre la volonté de son père, il fait le saut en études littéraires avec l’espoir de devenir, un jour, un poète, un artiste !
Bons sentiments, bonnes intentions
Ramy découvre sa voie grâce à Montréal : c’est en quelque sorte le cadeau que lui fait cette ville ! Et à la fin du film il la salue debout sur le parapet de l’esplanade du chalet du Mont-Royal !
Il y a dans ce récit d’apprentissage inter/multi/culturel beaucoup de bons sentiments et de bonnes intentions, mais le film dans lequel il s’incarne n’arrive à donner de Montréal et de ses « girls », qu’une image docile, convenue, jolie, en d’autres termes, et surtout portée par un très grand désir de séduction.
Les filles sont supersexy, avec leurs minis et bas résille, sous la douche on voit le dos musclé de Ramy en contre plongée, les paysages canoniques montréalais sont là, bien filmés, les uns après les autres dans leur juste lumière.
C’est un film techniquement bien fait réalisé/écrit/photographié/interprété par des gens compétents mais qui ne nous réserve que peu de surprises, de découvertes, d’étonnements … sauf peut-être, il faut le souligner, le beau visage du jeune acteur qu’interprète Ramy : c’est ce qui nous reste vraiment après le film : sa sincérité naïve et fragile !
Montréal des années 1970
Après le visionnement je descends dans le hall d’entrée de la Cinémathèque et je vois annoncée l’exposition photo de Robert Morin, dans la grande salle Norman-McLaren. Robert Morin : cinéaste et photographe.
J’entre dans cet antre noir et ce sont des petits écrans sur lesquels sont projetés des photographies en noir et blanc du Montréal des années 1970, qui m’attirent.
Le triporteur sous la neige devant la vitrine du dépanneur de l’est de la ville, une joueuse de bowling qui ouvre grand ses bras après son lancer, des Juifs hassidiques sur la rue Fairmount devant le Collège Français et beaucoup d’autres. Montréal, ma ville, est là devant mes yeux, je la vois, je la reconnais, je la retrouve avec une immense affection comme une vieille amie qu’on n’a pas vue depuis très longtemps.
Il y a dans les photos de Morin une vérité qui surgit du regard ouvert, tendre, curieux qu’il pose sur les gens, les rues de Montréal.
Leur authenticité puissante, leur force d’évocation, leur capacité à rendre sensible les aspérités du réel me fascinent.
Je repense alors à Montréal Girls que je viens à peine de voir : à la surface lisse de ses images où personnages et lieux se perdent dans le cliché qui surgit des promenades en scooter électrique de Ramy, de son salut à Montréal exagéré, rhétorique, trop mis en scène, pour être vrai.
Un regard
Vous me direz : vous mélangez tout, un film, malgré ses 24 photogrammes à la seconde, n’est pas une photographie et vice versa. Oui, c’est vrai ! Mais derrière une photographie et un film il y a un regard, le regard de celui/celle qui les fait. C’est ce regard qui compte, car c’est lui qui est incarné dans les images et qui va faire en sorte qu’elles nous émeuvent ou nous laissent indifférents.
Avec sa joliesse lisse et didactique Montréal Girls provoque, au fond, l’indifférence. Il semble plus appartenir aux programmes encadrés par les principes de rectitude politique des institutions canadiennes et québécoises qui financent la production cinématographique ( Sodec/Téléfilm) qu’à l’élan créateur d’une cinéaste, d’une artiste.
En ces années où la création de films/la création tout court est soumise à toutes sortes de néo-catéchismes, le regard attentif, humaniste et avant tout libre de Morin est on ne peut plus inspirant.
J’étais tellement enthousiasmé par la découverte de ces photos que je suis sorti sans regarder l’autre volet de l’exposition consacré à la dimension plus expérimentale du travail de Morin.
« Merci Robert de m’avoir fait découvrir un Montréal que je n’ai pas connu », c’était le commentaire écrit dans une pages du cahier à la sortie de la salle.
J’ai écrit en dessous « Robert, ces photos en noir et blanc de Montréal sont ton meilleur film ! »
Montréal Girls
Réalisation: Patricia Chica – Scénario: Patricia Chica, Kamal John Iskander – Production: Samuel Gagnon, Bahija Essoussi, Patricia Chica – Producteur exécutif: Paul Cadieux Sociétés de production: Objectif 9 et Flirt Films, avec la participation financière de Téléfilm Canada, SODEC, Fonds Harold Greenberg, crédits d’impôts fédéraux et provinciaux – Distribution: Filmoption International Québec 2022
Avec Hakim Brahimi (Ramy), Jasmina Parent (Désirée), Sana Asad (Yaz), Jade Hassouné (Tamer), Nahéma Ricci (Sophia).
Robert Morin : cinéaste et photographe
Exposition/Cinémathèque québécoise/ salle Norman-MacLaren /du 8 juin au 30 juillet 2023
Entrée libre