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Paul Tana
J’ai vu la semaine dernière au Cinéma Moderne, la salle d’art et d’essai du Boulevard Saint-Laurent, Il sol dell’avvenire (Vers un avenir radieux) de Nanni Moretti.
J’ai toujours trouvé un peu fou que dans une aussi petite salle on doive choisir et réserver sa place vu que le rapport à l’écran de la cinquantaine de spectateurs qu’elle contient est à peu près le même pour tous à quelques degrés près … Mais c’est ça qui est ça ! Nous étions trois, et un spectateur ultraorthodoxe nous a demandé de nous déplacer d’un siège car le sien était occupé par l’un de nous. Je ne sais comment le film lui est apparu de son siège, du mien, je dois vous dire qu’il m’a laissé perplexe, même embarrassé.
C’est l’histoire d’un réalisateur qui tourne un film qui se déroule en 1956 dans une section romaine du Parti communiste italien au moment où les chars d’assaut soviétiques envahissent Budapest pour mater la révolte anti-communiste du peuple hongrois. On suit la crise du responsable de section coincé entre le désir de ses membres de soutenir la lutte des Hongrois et l’orthodoxie philosoviétique des dirigeants du PCI.
À cette crise s’ajoute celle du réalisateur aux prises avec Netflix, le cinéma et sa femme qui veut le quitter.
Ce sont deux histoires qui s’imbriquent l’une dans l’autre avec une certaine habileté, mais qui ne sont pas très convaincantes car elles servent de prétexte pour mettre en place des scènes didactiques où le réalisateur (interprété par Moretti) nous fait sa leçon de cinéma.
L’interminable scène où il bloque pendant toute une nuit le tournage du dernier plan du film du jeune cinéaste parce qu’il met en scène, selon lui, une violence gratuite et immorale, est d’une insupportable prétention.
Je me suis demandé mais pourquoi l’équipe ne se débarrasse pas de lui, pourquoi on le laisse déblatérer si longtemps sans réagir ?
C’est la tyrannie du didactisme dramaturgique qui mène la scène et qui transforme ses personnages en de simples faire valoir plantés autour du protagoniste qui lui, fait et dit ce qu’il veut pour notre plus grand malheur et celui du film qui peu à peu perd toute vraisemblance et tout notre intérêt.
Il en va de même avec la scène « Netflix ». Le réalisateur/Moretti cherche de l’argent pour terminer son tournage et il doit défendre son projet devant un comité de lecteurs qui lui répètent constamment deux choses : que Netflix est présente dans 190 pays, et que son scénario se déroule sans grande surprise : il ne contient aucun WTF (what-the-fuck -moment) …
Avec son sarcasme, Moretti veut peut-être nous faire rire, sourire mais la scène est tellement inscrite dans une logique didactique abstraite que l’humour ne passe pas.
Et en plus il oublie (ou il fait semblant d’oublier) que derrière la banalité du WTF il y a une réalité archaïque, décrite avec une belle ironie par EM Foster dans son célèbre Aspects of the novel (1927) : « C’est immensément vieux. Si on en juge par la forme de leur crâne, les hommes de Néanderthal aimaient se faire raconter des histoires. Assis autour du feu, bouche grande ouverte, fatigués par leurs luttes incessantes contre les mammouths, ce qui les tenait éveillés c’était le suspense. Qu’est-ce qui va arriver après ? Le conteur racontait, racontait mais s’ils devinaient la suite, soit ils tombaient endormis, soit ils le tuaient. »
Moretti connaît très bien l’importance de raconter une histoire, et il sait le faire, la preuve son très beau film La chambre du fils avec lequel il a gagné la Palme d’or à Cannes en 2001.
Quelques jours après, dans mon salon (pas de places réservées ici évidemment mais la banalité confortable de mon sofa) je visionne sur Netflix les courts métrages réalisés par Wes Anderson à partir des nouvelles pour enfants écrites par Roald Dahl.
Dans ces quatre courts métrages l’inventivité d’Anderson est sidérante : les personnages racontent leur histoire en regardant la caméra et le spectateur conséquemment : ils sont les narrateurs (des incarnations de Roald Dahl) puis en un clin d’œil, dans le même décor, ils deviennent les interprètes de l’histoire qu’ils nous racontent. C’est un brillant et constant va et vient entre le récit à la première personne (je) essentiellement littéraire et celui à la troisième personne (il) qui, lui, appartient au cinéma…
Avec ces courts d’Anderson en tête je repensais au film de Moretti et à sa critique de Netflix : s’il est vrai que cette plateforme (et les autres) exploitent jusqu’à l’écœurement les péripéties d’une histoire pour garder le spectateur en haleine : qu’est-ce qui va arriver après ? Et après ? Il est aussi vrai qu’elle produit des films de grands artistes de cinéma : Anderson, Cuaron, Scorsese, Haynes, et bien d’autres …
Face à une telle situation, la critique de Moretti me semble installée commodément dans la condescendance et la pédanterie, à l’image même, malheureusement, de presque tout son film.
Tout ce qu’il faut lui souhaiter c’est qu’il retrouve la créativité du début des années 2000 et le fil d’une « vraie » histoire à raconter.
Réalisation : Nanni Moretti. Scénario :Francesca Marciano, Nanni Moretti, Federica Pontremoli Production :Nanni Moretti, Domenico Procacci. Direction de la photographie : Michele D’Attanasio
Distribution :Nanni Moretti, Margherita Buy, Silvio Orlando, Barbora Bobulova,Mathieu Amalric. Italie, 2023, Durée :95 minutes.
Étoiles : **1/2