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Daniel Raunet
Il en va des langues comme des espèces, il leur arrive parfois de disparaître. Ainsi, au début du XXe siècle, la langue maternelle de la plupart des Français n’était pas le français, mais plutôt leurs langues régionales.
Puis, à partir des années soixante, de plus en plus de parents ont cessé de les transmettre à leurs enfants. L’hécatombe est générale. En 1900 95 % des Alsaciens se déclaraient dialectophones, en 1997, 63 % et en 2012 43 %.
Dans le département du Finistère, les locuteurs du breton sont tombés de 20 % à 9 % entre 1999 et 2014. Selon l’UNESCO, le corse est une langue « en grand danger de disparition ».
En 2015, les locuteurs de catalan ne représentaient plus que 6 % de la population de la Catalogne française. En 2013 les locuteurs du flamand n’étaient plus que 2 % dans leur région historique, ceux du basque 29 %, ceux de l’occitan 23 %, etc.
La vitalité d’une langue n’est pas forcément liée à la taille de sa population. De très petites langues se portent très bien. Par exemple l’islandais, parlé par les 366 000 habitants de l’Islande. En fait, les Islandais sont le peuple le plus productif du monde sur le plan littéraire, un habitant sur 10 est auteur d’au moins un livre !
Résilience et État-nation
Autre exemple de succès, le maltais, une langue proche de l’arabe parlée par 95 % des 525 000 habitants de l’archipel de Malte. Qu’est-ce qui explique donc la résilience d’une langue par rapport à une autre ? Une hypothèse : l’existence d’un État-nation derrière elle.
Au Québec, le français recule inexorablement. En 2001, 81,4 % des Québécois étaient de langue maternelle française, en 2016 ils n’étaient plus que 78 %. Et selon les dernières projections, ils pourraient ne plus être qu’environ 70 % en 2035.
Passé un certain cap, les parents cessent de transmettre leur langue à leurs enfants. Cela s’est produit chez les francophones hors Québec. Ils étaient 10 % des Canadiens en 1951, ils sont tombés à 3,8 % en 2011 et ils risquent de passer à 2,7 % d’ici à 2036.
On constate un peu partout le déclin des petites langues qui ne disposent pas d’un État-nation. En Espagne, un pays centralisateur unilingue, le catalan n’est la langue d’usage que de 36 % des habitants de la Catalogne, le basque n’est parlé que par 25 % des habitants des provinces basques et le galicien, une langue proche du portugais, n’est utilisé dans la vie courante que par 38 % des habitants de la Galice.
Les langues régionales du Royaume-Uni reculent également. Les locuteurs du gallois, une langue proche du breton, sont tombés de 54 % de la population du Pays de Galles en 1891 à 18 % en 2001.
En Écosse, le gaélique écossais, une langue celtique, et le scots, une langue germanique proche de l’anglais, étaient les deux langues traditionnelles du pays, mais la plupart des Écossais sont devenus bilingues, puis unilingues anglophones dans le courant du XXe siècle. Aujourd’hui, le gaélique et le scots ne sont plus parlés que par moins de 2 % des Écossais chacune.
Exemples danois et finnois
Les langues qui jouissent de la protection d’un État-nation s’en sortent mieux. Prenons le cas du Danemark dont la population est de 5,8 millions d’âmes. 92 % des Danois ont le danois pour langue maternelle. Cette langue fait face à la concurrence de l’anglais comme le reste de la planète, mais pour l’essentiel, c’est en danois que se passe la vie publique.
L’intégration des immigrants y est très poussée, les municipalités ayant le devoir de donner aux nouveaux venus trois ans de formation linguistique dans des centres spécialisés. Le bokmål et le nynorsk en Norvège, le suédois en Suède et le néerlandais aux Pays-Bas vivent des situations de prospérité comparables.
Au Canada, le bilinguisme officiel demeure théorique en dehors du Québec et du Nouveau-Brunswick, mais d’autres pays multilingues ont trouvé des formules de sécurité linguistique plus heureuses.
C’est le cas de la Finlande, 5,5 millions d’habitants dont 88 % parlent le finnois, une langue agglutinante que seuls ses voisins estoniens comprennent. Le pays possède une minorité historique de langue suédoise, environ 5 % de la population, mais cette minorité parle aussi le finnois.
La Finlande a donc deux langues officielles, le finnois et le suédois. Ainsi, l’administration de l’archipel d’Åland est unilingue suédophone, tandis qu’environ 10 % des municipalités du reste du pays sont bilingues.
Les suédophones ont droit à des services dans leur langue à tous les niveaux de l’administration centrale et l’affichage est généralement bilingue. À la satisfaction du plus grand nombre.
Suisse, paix linguistique
Le cas de la Suisse, trois langues officielles (français, allemand, italien) plus une petite langue nationale, le romanche, est également un modèle de paix linguistique. La raison essentielle est que, contrairement au Canada, le choix de la langue n’est pas un droit individuel.
Un germanophone qui déménage à Lausanne ou Genève doit fonctionner dans la langue du canton, le français. Idem pour un francophone qui s’installe dans un canton germanophone, il doit s’assimiler au monde alémanique.
Au contraire, la Belgique est un modèle de multilinguisme officiel (français, néerlandais, allemand) qui fonctionne mal. Comme en Suisse, les Belges qui s’installent au-delà des frontières linguistiques doivent vivre dans la langue locale. Sauf que, et c’est ce qui empeste l’atmosphère, la région de la capitale nationale est officiellement bilingue.
À la canadienne, le choix de la langue y est un droit individuel. Même si Bruxelles, toujours capitale officielle de la Région flamande, était une ville encore flamande au début du XIXe siècle, sa francisation est presque parachevée. Selon une étude de la Vrije Universiteit Brussel de 2013, il n’y resterait que 5 % de néerlandophones.
L’installation de Bruxellois francophones dans les communes flamandes autour de la capitale accentue encore le ressentiment côté flamand. Ce qui explique le succès des positions autonomistes, voire indépendantistes. Du déjà vu, dites-vous ?