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Demi Moore dans La Substance
Paul Tana
« Un film, c’est comme un champ de bataille : l’amour, la haine, l’action, la violence et la mort; en un seul mot, c’est l’émotion. »
C’est le grand cinéaste américain, Samuel Fuller qui décrivait ainsi les films et le cinéma, dans Pierrot le fou de Jean-Luc Godard en 1965.
Cette idée que cinéma et émotion ne font qu’un a ressurgi dans ma tête après avoir vu ce qui semble être le film de l’heure : The Substance/La Substance.
C’est le deuxième long métrage de Coralie Fargeat, réalisatrice française, qui, avec ce film, a remporté la Palme du meilleur scénario au Festival de Cannes 2024.
C’est une satire virulente du vedettariat hollywoodien où les femmes soumises aux dictats et désirs des producteurs tout puissants voient leur carrière se terminer à cinquante ans car leur chair n’est plus aussi fraîche et appétissante qu’avant.
C’est un film hyperboliquement « gore » et cauchemardesque : pure fantaisie où les corps saignent abondamment en gros plan mais, en même temps, très proche de l’actualité de ces dernières années : Harvey Weinstein, le mouvement MeToo.
Demi Moore, qui a vécu elle-même la gloire et l’humiliation hollywoodiennes, interprète Elizabeth Sparkle, une ex-star réduite à faire des « show » sexy de gymnastique à la télé et qui, le jour de son cinquantième anniversaire se fait dire par son patron Harvey — parmi tous les prénoms celui-là — que c’est terminé : elle est trop vieille.
Quelle scène puissante : horrible et dégoûtante à la fois. Harvey, joué par l’excellent Dennis Quaid, dévore un plat débordant de crevettes enrobées de sauce orangeâtre, tout en annonçant à Elizabeth que son contrat est terminé. Elle est bouleversée et n’a rien mangé. Embarrassé, il lui offre un cadeau pour la consoler : il a été choisi par sa femme, lui confie-t-il. Soudain il voit arriver un homme dans le restaurant, le salue de loin puis avec sa serviette blanche s’essuie les mains tachées de sauce, se lève et va le rejoindre en ignorant totalement Elizabeth. Elle reste assise seule, à la table du chic restaurant, abandonnée à son sort.
C’est du très beau travail où les mots comptent très peu : ce sont les images et les sons, les actions, les objets, la réalité concrète, qui, comme on dit, « racontent l’histoire ».
Mise au rancart, Elizabeth veut retrouver sa jeunesse : elle veut de nouveau briller sur les écrans et les panneaux publicitaires. Grâce à la « substance », elle réalise son désir en donnant naissance à Sue (Margaret Qualley), une jeune femme au corps parfait : seins, fesses, cuisses à faire rêver hommes et femmes, constamment insatisfaites de leur propre corps.
Mais si la « substance » vous permet de rajeunir en vous incarnant dans un double de vous-même, elle vous soumet aussi à une règle de fer : après avoir passé une semaine dans le corps jeune, vous devez revenir dans votre vieux corps et si vous ne respectez pas cette alternance c’est l’horreur apocalyptique et la mort qui vous attendent.
Harvey, le producteur avaleur de crevettes en sauce tout puissant, découvre Sue et il fait d’elle la nouvelle star de l’émission de gymnastique sexy qu’animait Elizabeth.
Sue éblouie par le succès, se met à tricher : elle passe de plus en plus de temps dans son corps, jeune, parfait et néglige Elizabeth. En fait, elle voudrait la faire disparaître, mais Sue a beau la massacrer, la couper en pièces, la hacher en petit morceaux, la vieille Elizabeth va la rattraper inéluctablement : on ne peut se défaire de soi-même : Sue et Elizabeth sont une seule et même personne.
Avec/malgré toutes ses grandes qualités plastiques, bien mises en évidence dans la scène du producteur évoquée plus haut et dans sa très brillante ouverture, le film, à partir du massacre d’Elizabeth, s’enfonce dans le « gore » : une série de scènes halloweenesques parfaites pour ce mois d’octobre, mais sans véritable substance, (La Substance, sans substance), ni émotion.
Ce film est « tout un champ de bataille » mais c’est comme si à partir de ce massacre l’expression de « l’amour, la haine, l’action, la violence et la mort » se transforme essentiellement en un spectacle qui se contente de ses propres outrances sanguinolentes et somme toute grotesques, parfois risibles et, ce faisant, installe toute émotion en arrière-plan à part bien sûr le dégoût, la peur : les réactions canoniques au film d’horreur.
La Substance est un film de genre, souvent brillamment mené par une réalisatrice qui a une très, très belle imagination visuelle et qui réussit à poser un regard critique sur le vedettariat hollywoodien et les femmes. Et ce malgré ses excès « gore ».
Mais reste, qu’en toute honnêteté, j’aurais aimé y voir moins de sang et ressentir plus d’émotions. Pierrot le fou, Samuel Fuller, tout ça date de 1965 … Ce n’est pas hier matin ! Suis-je passéiste ? Peut-être. C’est à vous d’aller voir si dans ce bain de sang et parmi ces corps lacérés, l’émotion est vraiment au rendez-vous.
La Substance
Réalisation : Coralie Fargeat. Scénario :Coralie Fargeat. Production :Tim Bevan, Coralie Fargeat,Eric Fellner. Direction de la photographie :Benjamin Kracun.
Avec Demi Moore, Dennis Quaid,Margaret Qualley.
Grande-Bretagne , États-Unis 2024.
Durée : 141 minutes
Étoiles : ***1/2