À propos de l'auteur : Rudy Le Cours

Catégories : Économie, Canada, Québec

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Salon de l’immigration et de l’intégration au Québec, les 29 et 30 mai derniers au Palais des congrès.
Rudy Le Cours

Les premiers ministres Justin Trudeau et François Legault se sont rencontrés à Québec le 10 juin dans le but d’apaiser les tensions entre Ottawa et Québec au sujet de l’immigration. Le chèque de 750 millions offert à Québec est bien accueilli, mais la vision divergente des deux chefs de gouvernement persiste. Ni l’un ni l’autre n’osent pourtant s’attaquer de front au mal d’où découlent les besoins toujours grandissants de main-d’oeuvre étrangère.

Rudy Le Cours

Depuis plus d’un an et demi maintenant, l’économie canadienne progresse faiblement. On a observé l’expansion de sa taille durant quatre trimestres sur six, ponctuée de deux légers replis.

En temps normaux, personne n’aurait crié : péril en la demeure ! On aurait plutôt évoqué un ralentissement de la croissance, voire un atterrissage en douceur bien maîtrisé, compte tenu de la politique monétaire fort restrictive pratiquée par la Banque du Canada. Celle-ci vient tout juste de desserrer quelque peu son étau sur le loyer de l’argent, après avoir observé et reconnu plusieurs symptômes d’essoufflement dans la production de biens et services.

Il y a pourtant de quoi sonner l’alarme. Depuis six trimestres maintenant, le produit intérieur brut réel, calculé par habitant, fléchit. Il a reculé de 3 % depuis son pic de septembre 2022 (1). Autrement dit, le Canada traverse une « récession par habitant ». Ce phénomène est bien peu fréquent quand la taille de l’économie ne s’amincit pas.

Cette récession singulière frappe toutes les provinces. « Ce résultat alarmant représente l’une des baisses les plus prononcées du niveau de vie de l’histoire canadienne : il n’y a qu’au plus fort de la pandémie que les dix provinces ont toutes subi une baisse », écrivent Hélène Bégin et Marc Desormeaux, économistes chez Desjardins dans leur récent rapport sur les perspectives provinciales (2). Au Québec, le repli par habitant est estimé à 2,1 % en 2023. Seules l’Alberta et Terre-Neuve-et-Labrador ont fait pire.

Le faux coupable commode

Dit autrement, l’expansion réelle est estimée à 1,7 % au premier trimestre par Statistique Canada alors que la population a augmenté de 3 % environ. Ne vous y trompez pas : il n’y a pas de nouveau baby-boom pour expliquer cette poussée démographique hors du commun. En 2023, la population du Québec a ainsi augmenté de 2,5 %, mais le nombre de naissances a égalé celui des décès.

Bref, la population augmente grâce à (et non pas à cause de) l’immigration, aux résidents non permanents avant tout.

Les chiffres sont connus. Rappelons les principaux pour bien dresser le décor. Au 1er janvier, la population canadienne avait augmenté de 1,27 million sur une base annuelle, dont 1,24 million grâce à des gens venus d’ailleurs. C’est l’équivalent de 100 000 personnes par mois d’un océan à l’autre. Pour maintenir le taux d’emploi de la population active aux niveaux récents, il faut ajouter environ 70 000 postes alors que l’augmentation mensuelle moyenne se situe plutôt dans les 20 000. 

Voilà un immense défi, une mission impossible pour les entreprises et les administrations publiques dont un bon nombre emploie déjà plus de main-d’oeuvre que nécessaire par crainte de pénuries de bras, toujours présentes dans plusieurs industries. Dans ces conditions, on doit s’attendre à une augmentation du taux de chômage ou, plus exactement, des demandeurs d’emploi. 

Il va sans dire que cela exerce aussi des pressions sur le logement dont l’abordabilité s’était étiolée bien avant cette poussée démographique.

Une productivité défaillante 

Cette réalité en cache une autre bien plus grave, à moyen et long terme. Les entreprises n’ont pas réalisé les mêmes gains de productivité que leurs concurrentes internationales. Il faut donc plus de travailleurs ici qu’ailleurs pour produire une même quantité de biens alors que les boomers ont pris leur retraite pour la plupart.

Mesurée en parité de pouvoir d’achat, la production horaire d’un travailleur canadien était de 53,3 dollars américains, contre 73,9 dollars pour un travailleur américain et 53,5 dollars en moyenne parmi les membres de l’OCDE, en 2022.

« Étant donné le nombre historiquement élevé de résidents non permanents (RNP) qui viennent travailler au Canada, la main-d’oeuvre à court terme semble être utilisée comme substitut aux investissements à long terme» , avance Randall Bartlett de Desjardins (3).

On ne saurait mieux dire.

La faible productivité afflige l’économie canadienne depuis longtemps. Elle n’est pas due à la fainéantise de sa main-d’oeuvre, mais plutôt au sous-investissement chronique de ses entreprises et de ses institutions. 

Au début du siècle, quand le huard valait moins de 65 cents américains, les exportateurs misaient sur sa faiblesse pour battre leurs concurrents américains des deux côtés de la frontière. De 2008 à 2014, quand le huard s’est échangé au pair la plupart du temps, les entreprises n’en ont pas profité pour moderniser machineries et équipements, largement importés, dont les prix étaient pourtant alléchants. Elles ont plutôt cherché à réduire leurs coûts de production à court terme.

De mal en pis

Depuis la chute du prix du pétrole en 2014, les investissements non résidentiels se sont contractés en moyenne de 1 % par année. 

Pire encore, alors que les entreprises américaines concentraient leurs gains de productivité dans les technologies de l’information ou l’hébergement de données, les rares gains au Canada ont été observés dans le commerce de détail ou l’entretien mécanique. En outre, selon Statistique Canada, si le poids de la PME est plus important au Canada, elle est moins productive que l’américaine (4).

Bref, la faible productivité nourrit la pénurie de main d’oeuvre que l’immigration de travailleurs temporaires contribue à combler.

Briser ce cercle vicieux exige un vaste soutien ciblé à l’investissement, assorti d’un calendrier contraignant de diminution des travailleurs temporaires. Hélas, cela ne figure ni dans les plans d’Ottawa, ni dans ceux des provinces. 

Les économies provinciales ne recourent pas toutes à la main-d’oeuvre étrangère temporaire avec la même ampleur. 

À ce chapitre, l’Ontario et la Colombie-Britannique mènent le peloton. L’explication réside en partie dans la très forte concentration du secteur financier qui draine le marché du travail.

A contrario, les économies du Manitoba et du Québec sont les plus diversifiées. Elles exigent une plus grande gamme de talents et de compétences.

Cela dit, toutes les provinces emploient des travailleurs non résidents. 

À lui seul, le Québec en comptait 234 000 l’an dernier, soit 19 % du total canadien. C’est un tout petit peu moins que son poids démographique dans la fédération.

À ce nombre, il faut ajouter 124 000 étudiants étrangers et 177 000 demandeurs d’asile qui travaillent en grand nombre.

On prend des initiatives pour les attirer, les recruter et les installer en régions. En fait foi, par exemple, la 13e édition fort courue du Salon de l’immigration et de l’intégration au Québec, les 29 et 30 mai derniers au Palais des congrès.

L’improbable francisation

Cet afflux de nouveaux résidents crée un problème particulier au Québec, largement ignoré ou minimisé dans le reste du Canada. Celui de leur francisation. Le récent rapport du commissaire à la langue française Benoît Dubreuil a bien mis en lumière l’ampleur du problème sans chercher de faux coupables.

Au rythme actuel de 20 000 entrées par mois, la francisation des nouveaux arrivants paraît impossible. Il faut ralentir les nouvelles arrivées. 

Le gouvernement fédéral a finalement reconnu que les chiffres actuels d’immigration sont insoutenables. De 6,2 % de la population, il veut ramener la proportion de résidents et de travailleurs temporaires à 5 %, d’ici 2027. Mais il ne précise pas de quel 5 % parle-t-on. De celui des 40 millions d’habitants actuels ou de la population en 2027 ? Chose certaine, on comptait 2,5 millions de ces résidents non permanents, le 1er janvier.

Si Ottawa et Québec s’entendent pour une réduction du nombre, les désaccords persistent sur les cibles à atteindre par catégorie. Ottawa a d’abord visé les étudiants étrangers, ce qui déplaît aux universités anglophones, en particulier en Ontario, et à quelques cégeps régionaux. 

Des économistes soulignent, rappelons le, que la main-d’oeuvre étrangère cache un grave problème de faible productivité et de sous-investissement. La diminuer stimulerait l’innovation.

Québec juge que les demandeurs d’asile lui coûtent cher et ne veut plus en accepter au-delà de son poids démographique, tout en souhaitant la diminution du nombre absolu. Il se montre aussi réticent à la réunion des familles.

Chose certaine, personne ne veut le même pourcentage de réduction dans chaque catégorie.

Les devoirs internationaux

S’il est une catégorie décriée parmi les nouveaux venus à Québec, mais de plus en plus aussi dans le reste du Canada, c’est bien celle des réfugiés. En dépit des traités internationaux, ces démunis sont souvent considérés comme indésirables. Pour les uns, beaucoup ne sont pas de vrais réfugiés, pour d’autres, ils amènent des éléments culturels jugés « contraires à nos valeurs ».

Vrai, des efforts d’ouverture louables ont été faits pour les Syriens et les Ukrainiens aux prises avec la guerre chez eux. C’est comme si ces exemples prouvent que le Canada et le Québec font leur part. Le tableau est moins reluisant avec les Afghans.

Selon les dernières données du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, il y avait, en 2022, 35,3 millions de réfugiés internationaux (6).

Leurs terres d’accueil ne sont pas celles qu’on croit. La Turquie et l’Iran en ont reçu le plus. 

Le portrait est différent quand on s’attarde aux demandeurs d’asile. De loin, ce sont les États-Unis qui ont attiré le plus de gens avec 730 000 personnes pour cette seule année. L’Allemagne suit avec 217 000. Le Canada vient au neuvième rang, à hauteur de 94 000. Fait à noter, le Costa Rica et le Mexique en attirent chacun davantage.

Les réfugiés politiques et du climat vont augmenter au fil des ans, les demandeurs d’asile aussi. À cause de son isolement géographique, le Canada se sent à l’abri des vagues qui touchent l’Europe, les États-Unis et le Mexique. Il n’est manifestement pas conscient du défi à venir et encore moins prêt à le relever, le Québec peut-être moins encore compte tenu de l’enjeu d’intégration des non-francophones.

Pour mieux y faire face, il faut peut-être commencer par s’attaquer à ce que nous pouvons faire : diminuer le nombre de travailleurs temporaires, en investissant en recherche et développement et en innovant.

Ce n’est pas là que nos élus regardent …

 

1- Banque Nationale du Canada. Le mensuel économique. Mai 2024

2- https://www.desjardins.com/content/dam/pdf/fr/particuliers/epargne-placements/etudes-economiques/perspectives-provinciales-9-mai-2024.pdf

3- https://www.desjardins.com/content/dam/pdf/fr/particuliers/epargne-placements/etudes-economiques/canada-productivite-1-avril-2024.pdf

4- idem

5-https://www.commissairelanguefrancaise.quebec/wp-content/uploads/2024/05/RA_chap4_evaluation-FQ.pdf

6- https://www.unhcr.org/fr/tendances-mondiales-2022

 

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