À propos de l'auteur : Dominique Lapointe

Catégories : Société

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Tyler Merbler, Wikimedia Commons

6 janvier 2021, les partisans de Donald Trump prennent d’assaut le Capitole à Washington, convaincus que leur candidat s’est fait voler l’élection comme il le prétend.

En octobre dernier, le chroniqueur Jeremy Filosa a été retiré des ondes par son employeur, la station de radio 98,5 FM, après avoir déclaré en ondes qu’il était maintenant persuadé que l’humain n’avait jamais marché sur la Lune. Un cas médiatisé qu’on penserait anecdotique, mais qui n’est malheureusement pas isolé. Il est davantage le symptôme d’une calamité qui a contribué à ramener le candidat Trump à la Maison-Blanche, le complotisme.

Dominique Lapointe

Dans les jours qui ont suivi la suspension du journaliste, on a constaté un déferlement de commentaires sur les médias sociaux pour le défendre. On prétextera qu’il est aux sports et que la Lune n’a rien à voir avec son expertise qui semble appréciée. Tout le monde a droit à l’erreur, pourquoi pas lui ?

On sait tous que les journalistes ne sont pas à l’abri de l’erreur qui peut être plus ou moins grave, même sans négligence. Mais il ne faut pas confondre erreur avec errance. Affirmer que, si on s’informe aux bonnes sources, on en vient à découvrir que l’Homme n’a jamais foulé le sol lunaire est plus qu’une bourde pour un journaliste. Et, sport ou pas, l’errance et les faits n’ont pas de spécialité dans ce métier.

Qui plus est dans ce cas, ce n’est pas que la réputation de l’employé qui est en cause, mais aussi celle du diffuseur.

Sagement toutefois, ses patrons décideront de le maintenir au sein de la station, hors d’antenne, le temps qu’il se fasse une autre tête sur la conquête de la Lune, et peut-être sur d’autres sujets.  Soutenant lui-même qu’il n’était pas conspirationniste lors de sa prestation insensée, il laissait présager qu’il est loin d’être un sot irrécupérable. Possiblement davantage une victime d’un phénomène qui nous dépasse, nous dépasse tous.

Le deep state

La Lune, c’est vendeur. Imaginez, un des événements les plus symboliques de la civilisation humaine, de son développement technologique et scientifique, qui ne serait qu’un coup monté. C’est dire à quel point le « deep state », contre lequel luttent les conspirationnistes, est profond.

Le problème c’est que, entre 1961et 1972, 400 000 personnes ont oeuvré au programme Apollo. Et pas une seule fuite sur le tournage cinématographique du faux voyage en 50 ans !

Rappelons qu’une poignée de personnes étaient au courant du cambriolage du Watergate en 1972, et qu’il n’a fallu que quelques semaines pour qu’une source anonyme révèle le scandale qui a forcé la démission du président Nixon. Et le nom de la source ne s’invente pas, Deep Throat, un cadre du FBI saurons-nous 30 ans plus tard. La profondeur a changé de camp il faut croire.

L’industrie du complot

Sous la plume des journalistes Jila Varoquier et Nicolas Berrod, le quotidien Le Parisien a publié récemment une enquête sur la vente des livres à saveur complotiste en France (1). Sans surprise, les géants de la distribution comme Amazon ou la FNAC ont refusé de dévoiler leurs chiffres de ventes, mais on a pu vérifier que les titres les plus délirants sur le climat, la santé et même l’espace étaient en tête de liste des meilleures ventes et des propositions de lecture en ligne.

Le numéro un en librairie ? On a jamais marché sur la Lune du Youtubeur Aldo Sterone, un type qui collectionne les écrits sur les grandes conspirations de l’heure, que ce soit la menace écologique, la guerre des wokes, les complots démocrates aux États-Unis. Pour le dessert, un essai sur le naufrage « peut-être » intentionnel du Titanic … qui sait ?

Au 21e siècle, le complot COVID est à l’image de la fausse conquête de la Lune : des gouvernements aux desseins cachés dont les véritables intérêts sont de nourrir une industrie insatiable, en l’occurrence les Big Pharma.

Qui n’a pas vu passer pendant des mois sur Facebook ces offres de libraires pour des ouvrages qui présentaient l’ancien conseiller présidentiel, l’immunologiste Antony Fauci, comme le Dr Jekyll du pays ? D’ailleurs un de ces livres intitulé The Real Anthony Fauci est signé Robert F Kennedy Jr, celui-là même qui s’apprête à jouer un rôle similaire auprès de Donald Trump. Mais ça, nous y reviendrons dans un papier ultérieur.

La menace Elon Musk

Le livre c’est pour les intellectuels. Quand on passe quatre, six ou davantage d’heures par jour sur les médias sociaux, le temps de cerveau disponible reste limité. Elon Musk l’a bien compris quand il a racheté Twitter en 2022. Son X, maintenant débridé et sans véritables tamis de la désinformation, de la haine et de la manipulation, est devenu le sanctuaire mondial du conspirationnisme grand public. Presque 400 millions d’abonnés actifs dans le monde.

Plus encore, X est aussi un instrument de division des électorats démocratiques par les puissances autocratiques comme la Chine ou la Russie qui n’ont aucune gêne à répandre et conforter des théories clivantes sur le climat, la santé, l’immigration, les minorités de genres, etc. avec de faux comptes d’utilisateurs ou de médias douteux.

Résultat : les politiciens populistes d’Amérique entonnent : les ennemis du pays ne sont ni les Poutine, Xi et Kim de ce monde, ni les groupes d’extrême droite qui s’entraînent,  mais bien la gauche woke.    

Et vous savez quoi ? Quelques semaines avant le scrutin aux États-Unis, le vice-président de Trump, J.D. Vance, s’est avancé sur un troc possible offert à l’Europe : nous continuerons à soutenir l’OTAN à la condition que vous acceptiez de laisser tomber vos menaces de censure des plateformes numériques comme X.

X, entreprise privée de désinformation contre OTAN, organisation mondiale de défense occidentale.

On n’a pas marché sur la Lune, mais sur le Capitole

Bien sûr que la victoire de Donald Trump le 5 novembre est en grande partie attribuable aux récriminations populaires face à l’inflation galopante et l’immigration débordante. Mais on aurait tort de penser que la désinformation demeure un facteur négligeable.

Le conspirationnisme n’est pas un phénomène qui se tranche au couteau, mais présente davantage une adhésion graduée. On peut aller à la messe le dimanche sans croire le curé en chaire quand il brandit la menace de Satan et de son enfer.

Lorsque des immigrés mangeurs de chats du voisin s’invitent dans un débat présidentiel, on peut trouver le scénario loufoque, mais en même temps se convaincre que le type qui lance ces âneries est le plus déterminé pour régler le problème.

Un mois avant le scrutin présidentiel, un sondage Gallup rapportait que 68 % des Américains ne faisaient pas confiance aux médias d’information classiques. Au Québec, récemment, un Léger révélait que la moitié des répondants croyaient que les médias traditionnels manipulent l’information. Pas 10, pas 20, mais bien 50 % !

Pour qui a oeuvré dans le domaine, en dehors de cas d’espèce très sporadiques, cette perception peut paraître complètement absurde, mais elle s’inscrit parfaitement dans une lecture complotiste de la société.

Le personnage Filosa, qui se disait non complotiste et qui s’est laissé emporter est révélateur.

Auparavant, le métier de journaliste consistait essentiellement à combattre l’ignorance en diffusant un savoir à un public souvent affable. Aujourd’hui, le nouveau défi est considérable : déconstruire de faux savoirs pour, un public qui ne vous suit plus, et qui laisse les plus fanatiques d’entre eux marcher … sur le Capitole.   

 

 

1 – https://www.leparisien.fr/sciences/climat-espace-sante-sur-les-plates-formes-de-vente-en-ligne-la-grande-foire-aux-livres-antiscience-01-11-2024-5UOVYQVS5NB6DODTKBVBIRTYVQ.php

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