À propos de l'auteur : Jean-Claude Bürger

Catégories : International

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Michèle Ashley

Jean-Claude Bürger

Lorsque l’on pénètre dans la cathédrale de Noto, petite ville historique de Sicile on est frappé par la croix qui accueille les visiteurs. Une croix faite de pièces bois polychrome rongées et délavées. Ce sont les morceaux d’épaves de barques de migrants qui ont tenté la traversée de la Méditerranée. Elles ont été  trouvées sur les côtes de cette île Italienne.

Plus au sud dans l’île de Lampedusa ce sont les croix du cimetière des migrants victimes de naufrages, qui sont faites avec le bois des épaves de leurs embarcations. Entre juin et septembre 2023 plus de 2500 hommes femmes et enfants ont péri lors de ces traversées.

Il est arrivé sur les côtes européennes de la Méditerranée 186 000 personnes soit une hausse de 83 % sur l’année précédente1. Tragédie pour les gens, problème qui semble insoluble pour les nations qui doivent les accueillir.

Qu’on accepte ou non de le voir, le phénomène migratoire pose un problème majeur en particulier à l’Occident.  Il se globalise et prend une importance jamais connue depuis la Deuxième guerre mondiale, Au-delà des inconforts que peuvent ressentir les populations des pays d’accueil ce ne sont probablement pas les modifications de la composition ethnique des pays occidentaux qui représentent les enjeux les plus importants auxquels elles sont confrontées. L’Occident semble sur le point de bouleversements politiques majeurs. Les migrations sont en train d’y redéfinir les repères traditionnels de la politique. Elles sont pour bonne partie responsables de l’essor et du succès de nouveaux ténors populistes, de la naissance de nouveaux partis ou de la transformation radicale de partis existants.

L’immigration nécessité économique pour tous ?

Le gouvernement canadien à l’instar de ceux des autres pays n’échappe pas au casse-tête que représente l’afflux de ceux qui décident de tenter leur chance pour trouver un refuge dans les pays riches. Les conditions des migrants à nos frontières sont la plupart du temps moins dramatiques qu’ailleurs, mais les causes des migrations sont identiques. D’aucuns fuient la pauvreté, d’autres l’arbitraire, la violence, la guerre ou les famines.  Ils arrivent avec leurs besoins, leurs valeurs morales, leurs convictions et traditions religieuses, souvent la colère née de la frustration que donne la conscience de l’injustice de leur condition. Ils apportent aussi leur volonté, leur capacité créatrice,  leur force de travail et en prime un fort taux de natalité, dans des pays où il a baissé dangereusement.

Dans le meilleur des mondes les raisons économiques qui poussent les gens à émigrer font l’affaire des pays qui les accueillent. Ils y trouvent le moyen de combler leur besoin de main-d’oeuvre. Fort malheureusement le monde où nous vivons est rarement le meilleur …

Dans les pays qui les accueillent, les nationaux sont confrontés au contact des nouveaux venus à des changements sociaux, culturels et économiques qui ajoutent aux bouleversements apportés par l’évolution technologique et le nouvel ordre économique mondial.

Les politiciens lorsqu’ils s’expriment sur la question semblent se séparer en deux groupes peu enclins aux nuances.

Il y a ceux qui déclarent tout simplement qu’il n’y guère de problème, que l’immigration est une richesse économique indispensable qui amène la main-d’œuvre nécessaire à des pays à la démographie vieillissante. C’est un argument sinon inspiré, au moins soutenu par cette droite modérée que les anglophones qualifient de « business friendly ».2

Le premier ministre canadien, un temps soupçonné de faire sien un objectif de 100 millions d’habitants  au Canada à la fin du siècle qui était prôné par un groupe de réflexion privé, semble faire partie de la première catégorie. Il a déclaré vouloir hausser le nombre d’immigrants à 500 000 par année en 2025. Chiffre qui n’était pas loin d’être atteint en 2023.

À des arguments économiques et démographiques, se greffe un argument moral, avancé par la bien-pensance qu’elle soit religieuse ou de gauche: l’évidente nécessité de la solidarité avec les déshérités.

Les politiques d’immigration et l’inconfort de l’Occident

Paradoxalement, une gauche plus extrême vient ajouter de l’eau au moulin de ceux qui pour des raisons économiques favorisent l’immigration. Ces contestataires du système ont des objectifs bien différents. Il faut noter qu’ils militent d’ailleurs généralement plus pour la défense des immigrés que pour celle de l’immigration en tant que telle. Ils professent pourtant volontiers que ce brassage de population implique aussi un brassage culturel qui force les vieux pays à une ouverture et une nécessaire remise en cause de leurs valeurs. Ils suggèrent que  leur ethno-centrisme, et l’arrogante certitude de leur supériorité doivent être réformés. S’ils concèdent une supériorité économique à l’Occident, ils en attribuent le mérite à son histoire d’impérialisme et d’exploitation coloniale qui a appauvri les pays dominés.

Ce deuxième élément moral ajoute un aspect historico, politico culpabilisant sous-entendant que les valeurs des sociétés occidentales ou même leurs frontières ne méritent ni l’attachement que certains leur portent, ni d’être défendues. Pour eux, si le nombre d’immigrants crée quelque inconfort aux populations locales, ce n’est que bien peu de chose comparé aux ravages que leur a fait subir le colonialisme … Ce discours à tendance anarcho-populiste ne répugne pas aux raccourcis historiques et économiques; délibérément polémique, il n’est pas non plus avare d’amalgames. Ses détracteurs sont souvent accusés de racisme.

On peut voir un exemple de ce populisme de gauche en Jean-Luc Mélanchon, politicien français à la réthorique flamboyante et révolutionnaire.  Il affirme que l’intégration des communautés musulmanes en France ne pose aucun  problème en invoquant pour preuve non sans une certaine désinvolture, le fait que tous les Français mangent du couscous 3

Tout cela est d’un bien maigre réconfort pour les habitants des régions dont la composition ethnique a connu des changements majeurs qui ont bouleversé leurs habitudes et leur mode de vie. Nombreux également, sont ceux qui en craignent simplement la menace.

Les problèmes d’intégration : cheval de Troie du populisme

Alors d’autres politiciens décident d’exploiter les sentiments de dépossession, de crainte, de résistance au changement ou simplement d’hostilité xénophobe qui se font jour dans les pays d’accueil. La gauche n’est pas la seule à pratiquer l’amalgame et le raccourci.

Les frictions épisodiques des communautés migrantes et indigènes ajoutées au flux constant des nouveaux arrivants confèrent une efficacité croissante à un discours démagogique de dénonciation de l’envahisseur étranger. Un populisme racoleur et électoraliste développe un argumentaire qui mêle menace de grand remplacement ethnique ou culturel et dénonciation de la délinquance importée. Il exploite dans ce sillage toutes les craintes, les amertumes des déçus de l’évolution des moeurs, les climato-sceptiques , les anti-vaccins, anti-homosexuels et autres parano-complotistes. C’est une belle recette qui a fait ses preuves: les peuples montrent toujours une forte propension à adhérer aux explications qui font porter à l’étranger l’odieux de toutes leurs difficultés.

On pense évidemment au succès de Donald Trump aux États-Unis,  à ses diatribes anti-mexicaines, au mur infranchissable qu’il rêve de construire pour empêcher l’immigration clandestine, à celui de Marine Le Pen et ses mises en garde contre les hordes sarrasines, son parti fait figure d’alternative plausible lors de futures élections. On connaît Giorgia Meloni, une nostalgique de Mussolini devenue première ministre italienne en promettant au pays de le sauver de l’invasion africaine. Aux Pays-Bas, Geert Wilders chantre de l’anti-immigration batave, a été bien près de former un gouvernement. On peut également évoquer pêle- mêle :  Victor Orbàn premier ministre hongrois, les politiciens du FPÖ  autrichien ou  Alice Weidel de l’Alternativ für Deutschland qui rêvent tous de construire un nouveau rideau de fer pour contenir la vague migratoire. Dans l’entourage de Weidel on planche même, dit-on sur un plan pour « réexporter un million de Turcs dans leur pays ».4

Un voisin de Victor Orbàn, le Slovaque Peter Pellegrini vient d’être élu. Une victoire qui annonce un tournant radical dans les orientations de ce pays. Il a déclaré à l’instar d’Orbàn s’opposer à tout passage de migrants par son pays et souligne d’ailleurs être d’accord avec ce dernier sur tous les grands enjeux régionaux.

De fait, en Europe comme aux États-Unis une position ferme prônant l’arrêt ou du moins le contrôle drastique de l’immigration semble sur le point d’assurer le succès de courants politiques de droite nationalistes et réactionnaires au sens étymologique du terme. Des courants qui semblaient avoir perdu la faveur populaire depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale.

Ce qu’il y a de surprenant en l’occurrence, c’est que bien qu’ils soient nettement différents des anciens partis on peut trouver un lien direct en Italie, en Allemagne et en France entre ces nouvelles droites et les droites mussoliniennes, hitlériennes et les partis de la France de la collaboration.5

Les gouvernements en place, n’ont probablement pas pris la mesure d’une sorte d’inconfort de civilisation qui prévaut dans les couches les plus diverses de la population de leur pays. Les gens en grand nombre s’y sentent fragilisés par les changements de plus en plus rapides du monde qui les entoure. Ce mal-être risque de se manifester de façon spectaculaire lors de prochaines échéances électorales.

Des types de migrations différentes des problèmes différents

Il faut dire que le problème est plus facile à identifier qu’à régler. Les causes des mouvements de populations sont multi-factorielles Le vocabulaire employé pour les désigner essaie de rendre compte de ces différences.

Il y a les immigrants légaux, les migrants clandestins et les demandeurs d’asile qui peuvent arriver clandestinement ou non …

Chacune de ces catégories pourrait être encore subdivisée en sous-catégories qui  rencontrent des difficultés et un accueil qui leur sont propres. Les immigrants légaux sont souvent choisis comme au Canada en fonction de leur capacité à s’intégrer au marché du travail. Les autres ont en ce domaine beaucoup plus de difficultés. Ceux qui doivent vivre dans l’illégalité peuvent de ce fait être plus poussés à la délinquance.

L’origine des migrants et la culture de leur pays d’accueil  peuvent également changer du tout au tout l’aspect du phénomène et les réactions politiques qu’ils provoquent.

Par exemple la Pologne pays à la population à peu près équivalente à celle du Canada se montre très réticente à l’accueil des réfugiés du Moyen Orient qui se pressent aux frontières avec la Biélorussie et la Russie. Elle pratique vis-à-vis d’eux une politique répressive dénoncée par les organisations humanitaires  comme Amnesty international. Par contre elle s’est révélée particulièrement accueillante pour environ deux millions de réfugiés ukrainiens. En deux ans de guerre ils, ou plus généralement « elles »6, s’y sont installées, y travaillent, y sont soignées, envoient leurs enfants à l’école et sont acceptées par la population. Dans l’ensemble, les réfugiés contribuent à l’essor économique du pays et sont encouragés à s’installer définitivement avec leurs familles.

La Pologne et l’Ukraine sont de traditions chrétiennes, bien que de religion différente, elles ont des langues de même origine et des cultures peu différentes. La convergence d’un contexte économique favorable et des compatibilités culturelles rendent la situation étonnamment fructueuse pour les deux communautés.

Un seul de ces deux éléments ne suffit pas forcément à assurer le succès de migrations.

Par exemple l’afflux des immigrants comoriens dans l’île française de Mayotte, département le plus pauvre de France, déstabilise la vie et altère le niveau de services publics auxquels les Mahorais sont en droit de s’attendre. La population originaire de ce département français d’outremer est violemment hostile à  cette immigration alors que pourtant, elle partage généralement la même religion et la même origine que les nouveaux venus. Cette population majoritairement musulmane a étonnamment voté très majoritairement Marine Le Pen aux dernières élections présidentielles7.

Le paradoxe de cette situation  alerte les politiciens français. L’extrême droite y voit la démonstration de ses thèses sur le « grand remplacement », la gauche prend la défense des migrants et fustige le manque d’empathie et de morale politique de la droite.

Indices de tempête sur les démocraties occidentale

Les polémiques sur les mesures à prendre sont marquées comme souvent en Europe par les aprioris idéologiques. Les intervenants ne font pas toujours la différence entre les clandestins, les réfugiés, les immigrants, ou même les descendants d’immigrants venus du continent africain …

Mal nommer les choses, c’est dit-on ajouter aux malheurs du monde. Le récent débat français à propos de Mayotte en a fourni un exemple frappant.  Vu de l’étranger on a l’impression que comme dans de nombreux pays c’est surtout la possibilité d’instrumentaliser le problème des migrations à des fins politiques politiciennes qui préoccupent ceux qui ont en principe le devoir d’imaginer des façons de limiter les souffrances des populations concernées.

L’Europe en ce domaine est souvent assez caricaturale.

Quand la droite y dit qu’il fait beau la gauche est certaine qu’il pleut, quand la gauche dit qu’il pleut la droite est certaine qu’il fait beau. Parfois il semble que personne n’éprouve le besoin d’aller vérifier dehors. Ce n’est pas la meilleure façon d’identifier les problèmes, ni le bon chemin pour leur trouver des solutions.

Il serait bon que les opinions soient parfois éclairées à la lumière des faits et non systématiquement l’inverse. Ça permet de temps en temps d’ouvrir son parapluie au bon moment. Ça pourrait également fort bien se révéler utile au moment où les démocraties occidentales sont sur le point d’essuyer de fameuses tempêtes.

  1.  Chiffres de  l’ONU in Le Monde 29 sept. 2023
  2. Century initiative regroupement de gens d’affaires et de politiciens de la région de Toronto 13 juin 2022 Le Devoir
  3. Campagne présidentielle 2012.  Tout le monde mange des coucous et des merguez dans ce pays, l’intégration est réussie ! Meeting de Jean-Luc Mélenchon à Paris le 19 avril 2012
  4. The Guardian ,19 janvier, 24 Turmoil in Germany over Neo-nazi mass deportation meeting
  5. Giorgia  Meloni est issue du MSI parti neo-fasciste italien, L’AFD de Alice Weidel est composé de nombreux membres de mouvance néo-nazie. Et le Rassemblement national de Marine Le Pen est directement issu du Front national de son père qui n’a jamais caché sa sympathie pour le régime de Vichy.
  6. Une grande partie des réfugiés sont des femmes et leurs familles, les hommes n’ayant souvent pas le droit de quitter le pays, et d’échapper à leurs obligations militaires.
  7. Voir En Retrait février 2024, Histoires de migrations.

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