À propos de l'auteur : Paul Tana

Catégories : Cinéma

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Guslagie Malanda dans le rôle de Laurence Coly ( nom de Fabienne Kabou dans le film ).

Saint Omer d’Alice Diop : premier film de fiction de cette cinéaste française fille d’immigrants sénégalais. Il est tiré d’un fait réel : Fabienne Kabou, une jeune étudiante en philosophie d’origine sénégalaise à Paris, tue son bébé de 15 mois en l’abandonnant sur la plage de Berck-sur-Mer à la marée montante  le 19 novembre 2013. La réalisatrice a basé le film sur les actes du procès qui a eu lieu à Saint-Omer. C’est un film à la fois remarquable et maladroit.

Paul Tana

D’un côté le procès : dans la salle d’audience la réalisatrice filme avec de longs plans fixes les témoignages des protagonistes : la jeune femme accusée, le père de l’enfant (bien plus âgé qu’elle), la juge, les procureurs … Il y a une telle vérité dans le jeu de ces acteurs que peu à peu, de cet espace austère et lisse, de la fixité de ces plans  surgit un monde dont la complexité nous trouble profondément : il n’y a pas de réponse précise, claire, nette, rassurante en ce qui a trait aux motivations de l’infanticide.

Le procès, est la remarquable réussite du film.

Avec la romancière qui le suit, qui est en quelque sorte le double de la cinéaste car c’est elle qui nous y amène, le film devient plus maladroit. Et cela à cause des citations (Duras /  Hiroshima mon amour,  Pasolini /  Medea ) qui devraient donner au film/procès  une élévation artistico-philosophique, mais qui le font glisser , un tant soit peu, bien malheureusement, vers  un didactisme réducteur.

Le procès, ses protagonistes, se défendent très bien par eux-mêmes et n’ont vraiment pas besoin de ces références, si nobles soient-elles, ni du personnage longiligne et approximatif de la romancière qui peu à peu s’identifie à la jeune mère infanticide.

Moins de Pasolini-Duras

Pour rendre ce processus   vraiment intéressant il aurait fallu l’incarner davantage au plan dramaturgique : moins de Pasolini-Duras  et plus d’actions significatives, justes, réelles, claires définissant /caractérisant notre romancière.

Wittgenstein , qui est le philosophe  auquel s’intéresse l’accusée qui était étudiante en philosophie à l’université, est/semble être au cœur même de cette histoire .

La sorcellerie dont l’accusée se dit victime, (quelqu’un au Sénégal a lancé contre elle les forces occultes qui l’ont poussée à l’infanticide), appartient à sa culture  tout autant que le philosophe et leur cohabitation dans sa tête et son cœur créent un amalgame indicible, douloureux et  énigmatique :  « Tout ce dont on ne peut parler, il faut le taire . » C’est devant cette ultime proposition de Wittgenstein, à la fin de son traité, que semble vouloir nous amener le film : pourquoi cette jeune femme a fait ce qu’elle a fait ?

Mais je ne sais pas si c’est vraiment clair cette dimension du film.

Dans la vraie vie, à la fin du procès, la jeune femme infanticide, est condamnée à 20 ans de réclusion criminelle, puis en appel  en 2017 sa peine est commuée à 15 ans …

À la fin du film, la peine, le crime (un bébé est mort sur une plage) deviennent presque des éléments d’arrière-plan : pourquoi ?

Le film appartient tout naturellement au genre « film de procès » et il y a peut-être la volonté de la cinéaste d’échapper à cette évidence : « Mon film est plus qu’un simple film de procès », c’est ce qu’elle semble vouloir affirmer … mais au cinéma, l’évidence du réel , nous rattrape constamment et met en péril toute fabulation trop abstraite, forcée.

C’est un peu le piège involontaire qui fait trébucher notre cinéaste  et qui rend son film, avec/malgré toutes ses qualités, un peu maladroit.

Il reste que Saint-Omer est à voir, on ne peut plus !

Étoiles : ***

 

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