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Les spéculations entourant les mises à jour budgétaires automnales ont repris. Comment va-t-on débloquer plus d’argent pour stimuler la construction de logements ou forcer les détaillants alimentaires à contenir les hausses de prix ? Surtout, la sempiternelle question du retour à l’équilibre budgétaire sera à nouveau posée par bien des économistes et conservateurs fiscaux.
Rudy Le Cours
Pour l’exercice en cours, Ottawa vise un déficit de quelque 40 milliards et Québec de quatre milliards, une fois pris en compte les versements au Fonds des générations. Autant d’argent qui vient gonfler des dettes déjà colossales.
Jusqu’à quel point faut-il s’en inquiéter ?
Pas vraiment, s’il faut se fier au Directeur parlementaire du budget (DPB). « Nous estimons que le gouvernement fédéral pourrait augmenter ses dépenses ou réduire les impôts de 1,7 % du PIB et ce, de façon permanente tout en stabilisant la dette nette à son niveau initial de 30,5 % du PIB », lit-on dans son rapport de juillet dernier (1). Cela équivaut à la bagatelle de 49,5 milliards en dollars d’aujourd’hui à dépenser ou à remettre dans les poches des contribuables.
En ce qui concerne le Québec, la situation actuelle est aussi viable, mais ce n’est pas le cas de l’Ontario (2). La marge de manoeuvre du Québec serait équivalente à 1,8 % de son PIB, soit près de 10 milliards.
Les zinzins en raffolent
Cela dit, la dette nette canadienne s’élevait tout de même à 1221 milliards, l’an dernier, celle du Québec à 207 milliards.
Elles sont financées et re-financées sans difficulté aucune par des emprunts sur les marchés financiers. À vrai dire, les investisseurs institutionnels (zinzins) tels les caisses de retraite, les compagnies d’assurance ou les fonds communs de placements en raffolent, un peu comme les enfants des friandises.
La dette du Canada a la meilleure note des grandes agences de crédit, un bulletin dont ne peuvent plus se vanter les États-Unis, ni l’écrasante majorité des pays (3). Moins étincelante, celle du Québec reste néanmoins enviable, ce qui lui permet de trouver preneurs à bon compte, c’est-à-dire, en consentant des taux d’intérêt relativement faibles.
Cela dit, ces intérêts, il faut tout de même les payer. Pour l’exercice en cours, Ottawa prévoit débourser environ 44 milliards à cette fin. Cela équivaut à 1,6 % de la taille de l’économie ou, grosso modo, à la valeur de son déficit budgétaire prévu.
Sauf que les taux obligataires à long terme (échéance de 10 ans et plus) ont fortement progressé, cette année, comme les bons du Trésor, depuis plus d’un an maintenant. Le premier janvier, ils étaient à 3,30 %, le 30 septembre à 4,03 %.
Quant aux bons du Trésor de 90 jours, le mode d’emprunt fréquemment utilisé par Ottawa, leur taux se situe désormais à 4,67 %.
Ces taux différents suivent la logique voulant que, plus l’échéance est courte, plus les taux évoluent selon le taux directeur de la Banque du Canada (maintenant à 5 %), alors que plus l’échéance est longue, plus ils sont déterminés par les marchés (les prêteurs). Bref, comme pour les particuliers, les gouvernements payent davantage pour emprunter.
Ainsi, le 5 avril, Québec a émis une tranche de 600 millions de dollars d’une obligation venant à échéance en septembre 2033. Il avait alors consenti un taux de 3,671 %. Pour une tranche identique émise le 26 septembre, ses prêteurs ont exigé 4,689 %. (4)
On le voit, le service de la dette augmente. C’est peut-être plus inquiétant du côté d’Ottawa dont le programme d’emprunts sera costaud au cours des prochains mois (5). Tant que les taux ne se détendront pas quelque peu, la situation des emprunteurs ne pourra qu’empirer, surtout s’ils doivent en plus de leurs déficits, refinancer une bonne partie de leur dette arrivée à échéance.
Les prêteurs ont enfin de quoi se frotter les mains, eux qui, pendant des années, allongeaient leurs dollars malgré un rendement réel (sans inflation) près de zéro.
Rien d’inquiétant encore
Cela paraît beaucoup d’argent, mais c’est encore bien peu, si on se rappelle la situation de 1990-1991 quand le service de la dette équivalait à 6 % du PIB d’alors. La note de crédit du Canada avait même subi une décote.
« Nous n’avons probablement pas franchi une ligne rouge, juge Steven Ambler, du département des sciences économiques de l’École des sciences de gestion de l’UQAM. Par contre, le ratio des dépenses publiques fédérales par rapport au PIB est plus élevé maintenant. Donc, le gouvernement s’accapare une part plus élevée du PIB. »
Autrement dit, le poids du secteur public dans l’économie s’alourdit. On peut le déplorer dans un contexte où l’investissement privé reste un point faible chronique de l’économie canadienne. Diverses explications peuvent être avancées.
À titre d’exemple, qui a une incidence sur les finances publiques de nos jours, les entreprises jouent les gouvernements les uns contre les autres avant d’investir. Cela est flagrant dans la nouvelle filière batteries. Pas de subventions, pas d’usines. Et qui dit subventions, dit emprunts, au grand bonheur des zinzins, toujours en quête de placements sûrs et liquides, telles les obligations du Canada et du Québec. Parmi ceux-ci et pas des moindres, il faut compter le Régime des pensions du Canada et le Régime des rentes du Québec.
Ces deux régimes accumulent des surplus qui représentent des cagnottes formidables de 570 et 102 milliards respectivement (6). Cette situation ira en s’améliorant, selon les projections du DPB. On fait souvent état de leurs participations dans des montages financiers ou des achats d’actions, mais ce sont aussi de grands détenteurs d’obligations, à hauteur de 10 à 15 pour cent de leur actif.
Quand Ottawa ou Québec emprunte, ces deux zinzins sont souvent prêteurs parmi d’autres. Voilà en bonne partie pourquoi les trois-quarts de la dette du fédéral et des provinces est détenue par des institutions canadiennes. Et comme le RRQ et le RPC gonfleront au fil des ans, ils prêteront encore à nos gouvernements. Voilà un avantage considérable. En comparaison, le régime de pension américain accuse un déficit de capitalisation, alors que celui de la France fonctionne selon le mode de répartition, donc financé sans capitalisation.
Les limites de la stabilisation
Depuis leur arrivée au pouvoir, les libéraux de Justin Trudeau ont renoué avec les déficits sans se fixer de cible pour un retour à l’équilibre. Plusieurs provinces l’ont imité en partie, dont le Québec qui a préféré en repousser l’atteinte, après le surcroit de dépenses induit par la pandémie, afin de baisser les impôts et de distribuer des chèques inflationnistes tous azimuts.
Pour le gouvernement fédéral, l’essentiel consiste désormais à stabiliser le poids de la dette nette en fonction de la taille de l’économie. Elle équivaut cette année à 30,5 % de notre PIB. Selon le DPB, elle pourrait même être épongée durant la décennie 2050, si les niveaux de dépenses et de revenus actuels sont maintenus. Mais 2050, c’est bien loin …
De son côté, le Québec vise à ramener la sienne de 37,5 % à 30 % d’ici la fin de la décennie.
Ces scénarios ont été établis dans un environnement financier très favorable, les taux d’intérêt obligataire étant encore très faibles. Face à leur montée rapide, le poids de la dette sur le PIB devient un indicateur bien imparfait.
« Ce qui compte à plus long terme, c’est l’écart entre les taux d’intérêt et le taux de croissance économique (NDLR le PIB nominal), qui affecte indirectement les recettes du gouvernement », précise dans un échange de courriels M. Ambler, également titulaire de la David Dodge Chair in Monetary Policy de l’Institut C. D. Howe.
Cette année, on s’attend à une augmentation de seulement 0,9% du PIB nominal, soit bien en deçà des taux d’intérêt obligataire qui oscillent autour de de 4 % et 5 % selon les échéances, ces jours-ci. Toutefois, cette faible croissance du PIB nominal est la contrepartie du bond exceptionnel de 10 % observé en 2022. Pour 2024 et 2025, les prévisions d’Ottawa sont de 3,6 % et 4,3 %, ce qui paraît bien moins inquiétant.
C’est l’économiste canadien Martin Eichembaum qui a développé ce ratio en comparant le poids des dettes américaine et canadienne et les défis qu’elles posent aux finances publiques. Ses conclusions : emprunter à long terme surtout car les taux y varient moins en gardant en tête que, si la situation fiscale du Canada est saine, tel n’est pas le cas de celle des États-Unis. Par ricochet, cela pourrait causer de graves préjudices au Canada (7).
(2) Idem
(3) https://tradingeconomics.com/country-list/rating
(4) http://www.finances.gouv.qc.ca/documents/emprunts/fr/EMPFR_Quebec_2023-2024.pdf
(5) https://www.bnc.ca/content/dam/bnc/taux-analyses/analyse-eco/mensuel/mensuel-obligataire.pdf
(6) https://www.investissementsrpc.com/fr/the-fund/f2023-annual-report/ ET https://www.retraitequebec.gouv.qc.ca/SiteCollectionDocuments/RetraiteQuebec/fr/publications/rq/rapports/2022/5003f-rapport-annuel-gestion-2022-partie3.pdf