À propos de l'auteur : Michel Bélair

Catégories : Polar & Société

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L’étanchéité de la frontière entre le système de santé, les compagnies pharmaceutiques et le pouvoir politique est d’une importance cruciale. Surtout dans les pays où le réseau de la santé est public, c’est à dire administré, géré et financé dans toutes ses phases par un gouvernement élu. Et ce rempart est encore plus important quand se profile un évènement risquant d’avoir des impacts directs sur la vie d’un peu tout le monde. Comme une pandémie, par exemple …

Michel Bélair

Avant de se mettre à écrire des polars, Catherine Lafrance a travaillé longtemps comme journaliste à la radio et à la télé de Radio-Canada … où elle anime d’ailleurs toujours une série sur la nordicité (Boreal Hebdo, CBC). La précision est importante parce que l’hiver est au cœur de ses romans et que son héros, Michel Duquesne, est journaliste dans un grand quotidien montréalais situé tout près du Palais de justice. On suivra ici sa deuxième enquête majeure, la première ayant mis au jour un réseau pédophile et un trafic d’êtres humains géré par des motards criminalisés (L’étonnante mémoire des glaces, chez le même éditeur — voir en-retrait.com, juin 2022). Un travail de pro. Du lourd …

Puisqu’on en est aux précisions, disons tout de suite que cette histoire labyrinthique se déroule au Québec et qu’elle se termine en plein réveillon de fin d’année au moment même où l’on découvre les ravages dévastateurs d’un virus inconnu sur la population de la ville de Wuhan, au sud-est de la Chine. De façon encore plus prosaïque, disons enfin que ce gros roman touffu s’amorce avec un suicide dans le métro à l’heure de pointe, en pleine tempête de neige — bref, la vraie « tempête parfaite » si chère aux chroniqueurs politiques …

Négligence

Un roman labyrinthique repose, par définition, sur une enquête complexe impliquant autant de chemins de traverses que de données multiples à démêler pour qu’apparaisse enfin un fil directeur sur lequel on puisse tirer avant d’être définitivement perdu ou, pire, avalé par un détour d’intrigue. Il n’y a ainsi au premier abord aucun lien évident entre une mort violente, une tempête de neige — aussi monstrueuse soit-elle — et le fait que Michel Duquesne se retrouve à l’hôpital au chevet d’un patron qu’il déteste mais qui vient de se taper une crise cardiaque en pleine réunion de production.

Sauf que c’est là, en tendant l’oreille pour écouter les conversations des infirmières dans les couloirs de l’urgence, que l’instinct du journaliste le met sur la piste d’une enquête interne qui fait jaser tout le monde à l’hôpital. Un cardiologue aurait perdu deux patients en l’espace de quelques mois et la direction de l’institution s’apprêterait à sévir et à l’accuser de négligence …

De retour au journal, Duquesne se met à fouiller davantage. En faisant jouer ses contacts tout en écartant un appel de phare à saveur complotiste, il se rend compte rapidement, en recoupant les données, que le médecin sanctionné et le suicidé du métro ne sont qu’un seul et même personnage.

Intrigué, il creuse encore plus, persuadé de «tenir quelque chose» mais surtout du fait qu’un homme accusé de négligence criminelle choisit rarement de disparaître sur un coup d’éclat plutôt que de le faire discrètement en laissant une lettre expliquant son geste. En fait, c’est comme si le docteur Jean-Marie Bernard avait plutôt voulu attirer l’attention. Mais sur quoi?

La curiosité du reporter est piquée au vif et cela donnera au lecteur l’occasion d’assister à une véritable «enquête journalistique» avec tout ce que cela implique de tâtonnements divers, de lignes lancées à l’eau puis de petites certitudes accumulées une à une. Duquesne se renseigne d’abord sur le médecin en questionnant ses proches et ses collègues pour mieux saisir le personnage. Il creuse ensuite du côté des patients … et se rend compte que les deux « victimes » du docteur Bernard ne sont pas les seules à être restées sur le carreau. Cette fois-ci, ça y est : Michel Duquesne tient quelque chose de solide et se met à remonter la piste.

Groupe d’enquête

Au journal, une équipe d’enquête est formée pour l’assister et peu à peu une «affaire» prend forme devant nos yeux à mesure que les faits s’additionnent. Bientôt, le tableau se précise faisant apparaître un petit groupe de « vieux amis », une compagnie pharmaceutique en pleine ascension … et même des hommes politiques haut placés. L’équipe de Duquesne vient de trouver un os — même un très gros os ! — et ne lâchera pas avant d’avoir tiré l’affaire au clair. Et bien sûr, on vous laisse le plaisir de découvrir tout cela avec eux !

Voilà un roman fort bien construit habité par des personnages éminemment crédibles et se déroulant sur le rythme effréné d’un «page turner» : Catherine Lafrance sait raconter des histoires, c’est indubitable. Michel Duquesne et ceux qui orbitent autour de lui depuis sa première enquête ont maintenant acquis leur autonomie : ils agissent en étant fidèles à eux-mêmes et à leur instinct.

Cela donne parfois lieu à quelques éclaboussures mal contrôlées tout à fait compatibles avec le caractère bouillant et entêté de Michel Duquesne, mais aussi à d’autres écarts plus fluides, plus « instinctifs » oui, comme ceux d’Odile, la compagne du reporter, ou de Latendresse, son ami policier. En périphérie, les personnages de la salle de rédaction du journal ressemblent à s’y méprendre … à des journalistes dans une salle de rédaction. Y compris ce directeur de l’information, « mononcle » incompétent que tout le monde a rencontré dans une salle ou dans une autre …

L’écriture de Catherine Lafrance est minutieuse et d’abord efficace : pas de « recherche stylistique » ici ni d’envolées à saveur lyrique ou sociologique décrochées de l’action. Des faits d’abord et un peu de contexte pour mieux faire sentir; un peu comme dans un reportage pour un magazine ou pour une émission radio, tiens. On a déjà noté que ses phrases s’animent et gagnent en profondeur quand Lafrance parle de l’hiver et de toutes ses mises en forme et on se surprendra parfois à souhaiter que cela arrive plus souvent. Menfin …

Voilà une enquête bien menée, captivante jusqu’à la toute fin.

Le dernier souffle est le plus lourd

Catherine Lafrance

Druide —Reliefs

Montréal 2023, 403 pages

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