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Les parents de confession mennonite qui ont perdu leur fille de six ans à la suite d’une infection de rougeole au Texas en février dernier. À la télévision d’une organisation anti-vaccin (capture d’écran), ils ont déclaré qu’il était préférable que leur enfant soit morte plutôt que vaccinée.
Depuis octobre dernier (2024), l’Ontario enregistre une flambée de rougeole sans précédent, près de 1500 cas apparus essentiellement depuis la nouvelle année. C’est presque le double de l’épidémie, elle aussi inhabituelle, survenue au Texas au même moment. La maladie quelquefois mortelle avait été déclarée éradiquée des Amériques par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2016 à la faveur de la vaccination. Elle est aujourd’hui de retour dans le monde industrialisé grâce à l’obscurantisme religieux et celui des médias sociaux.
Dominique Lapointe
«Tous n’en mouraient pas, mais tous en étaient affligés », racontait Jean de Lafontaine au XVIIe siècle. La peste bovine, dont il décrivait les symptômes débilitants dans la célèbre fable Les animaux malades de la peste, est à l’origine du virus de même genre Morbillivirus, qui s’adapta aux humains possiblement quelques siècles avant notre ère. On y ajoutera l’attribut hominis pour le distinguer du génotype animal aujourd’hui éradiqué de la planète. Morbillivirus hominis est son triste successeur.
Les humains malades de la peste
La version humaine aura donc hérité de certaines caractéristiques morbides de son ancêtre animal.
Sa contagiosité est fulgurante. On estime son R0 (R zéro), son taux de reproduction peut atteindre 17, c’est-à-dire que chaque individu malade peut en contaminer en moyenne 17 autres dans une population qui serait non vaccinée. Un record absolu dans les maladies infantiles transmissibles. Par exemple, au début de la pandémie de COVID 19, on estimait le R0 du SRAS-CoV2 entre 2 et 4 généralement. La grippe, à peine 2 de R0.
Par ailleurs, tout comme la peste bovine, la rougeole provoque des symptômes initiaux dont certains s’apparentent à ceux de ses origines : fièvre prononcée, éruptions et écoulement des muqueuses, diarrhées possibles.
Heureusement toutefois, les complications de la rougeole sont relativement rares, moins de 10 % des cas qui nécessiteront une hospitalisation, et c’est ici que les choses se compliquent.
La maladie touche essentiellement les nourrissons et les jeunes enfants qui n’ont pas encore développé un système immunitaire robuste. L’infection, d’abord virale, peut quelquefois préparer le terrain à des surinfections opportunistes bactériennes, comme des pneumonies, ou encore des réactions auto-immunes du type encéphalites qui peuvent être mortelles. On évalue habituellement le risque de décès à un patient sur 1000.
Il est ainsi surprenant qu’avec autant de cas au Canada, presque 2000 dans tout le pays, nous n’ayons pas encore rapporté une seule mortalité alors que les États-Unis en ont déjà trois avec moitié moins de cas (officiellement du moins). Peut-être une conséquence de l’accessibilité universelle à des soins intensifs de pointe en néonatalogie et pédiatrie au Canada, ou encore la négligence, voire la résistance de parents à consulter aux État-Unis.
Virus en milieu de culture religieuse
Le Dr Kieran Moore, responsable de la santé publique en Ontario, attribue l’éclosion de rougeole dans sa province à un rassemblement de chrétiens mennonites au Nouveau-Brunswick l’automne dernier. Un incendie infectieux que le Québec et la Nouvelle-Écosse ont heureusement étouffé rapidement.
Il s’agissait de la même famille confessionnelle qui serait responsable de l’éclosion de rougeole au Texas. Presque tous des enfants non vaccinés.
Les mennonites, qui comprennent certaines variantes dans leurs Églises, ne prétendent pas s’opposer officiellement à la vaccination, mais prônent plutôt la prédominance du patriarcat sur toute autre autorité, qu’elle soit communautaire ou gouvernementale. Si on ne proscrit pas la vaccination, on en fait pas pour autant la promotion. Au père de décider, ainsi qu’à Dieu. Insidieux…
Les groupes religieux plus ou moins sectaires ne sont cependant que des bougies d’allumage des épidémies auxquelles on assiste. Pour que le virus circule largement, il lui faut bien plus que des fidèles à l’infection.
Le taux de vaccination optimal du vaccin RRO (rougeole-rubéole-oreillons) pour neutraliser toute dissémination est de 95 %. Les autorités sanitaires ontariennes font état d’une couverture d’à peine 70 %, voire 50 % dans certaines régions.
Ne faisant pas exception à la tendance, le Québec aussi a connu une baisse de la portée vaccinale au cours des cinq dernières années, mais demeure aux environs de 90 % en moyenne, mais pas très loin de 80 % à Montréal. Pas l’idéal, loin de là.
On parle donc de centaines de milliers d’enfants non vaccinés. Conséquemment, on a affaire à un autre type de religion qui a fait de plus en plus d’adeptes pendant la récente pandémie, celle de la désinformation, beaucoup celle des médias sociaux.
Les mystificateurs
Pur hasard en pleine épidémie de rougeole, on apprend le décès de Guylaine Lanctot, alias Diesse Ghis, une médecin phlébologue qui, pendant trop de décennies, s’est déversée en écrits, conférences et interventions médiatiques sur les dangers de la vaccination. Elle sera même la vedette d’une série de reportages sur le sujet à l’antenne d’une télévision nationale en 1994.
Son livre à succès de l’époque : La mafia médicale, un titre prémonitoire de ce qui deviendra la thématique préférée des conspirationnistes de la COVID quelque trente ans plus tard, le big pharma.
Et aujourd’hui, les vendeurs de balivernes sanitaires ont des moyens de diffusion beaucoup élaborés. Ils peuvent même propulser un pur incompétent comme ministre de la Santé dans un pays à l’avant-garde de la science médicale comme les États-Unis. Les torts produits par Robert F Kennedy Jr à la santé publique non seulement américaine, mais aussi mondiale, seront incalculables, mais nul doute que ses errances nourrissent la méfiance vaccinale avec une efficacité troublante (1).
Sa commande de nouvelles enquêtes sur l’efficacité et l’innocuité des vaccins et les causes « épidémiques » de l’autisme; son envoi de vitamine A au Texas pour prévenir la rougeole, alors qu’il s’agit plutôt d’une indication pour suppléer les carences de cas lourds, de malades; son délire sur le fait que les vaccins RRO sont fabriqués à partir de tissus de fœtus, alors qu’il s’agit de cultures des mêmes souches virales répliquées en laboratoire depuis plus de 50 ans, sont autant de faussetés qui finissent par tuer (2), des poupons, des enfants, des adolescents quelquefois.
400 morts de la rougeole par jour dans le monde selon l’OMS.
Ajoutons les séquelles à vie comme la cécité, la surdité, la démence et les troubles moteurs, de rares cas bien réels et dont on ne parle jamais. Comme pour les oreillons qui peuvent aussi attaquer les méninges ou la rubéole qui peut provoquer la fausse-couche chez les femmes enceintes ou des malformations du fœtus. Le vaccin RRO, c’est du trois pour un !
La réalité abstraite
Bien sûr qu’il est possible qu’un enfant sur un million de vaccinés fasse un choc anaphylactique allergique tout de suite après une vaccination. On peut trouver de ces types de témoignages sur les médias sociaux. C’est pourquoi on demande de garder les enfants en observation quelques minutes pour s’assurer qu’ils soient pris charge le cas échéant.
On est cependant loin des 10 à 20 enfants sur une centaine de malades non vaccinés qui devront être hospitalisés pour empêcher que leur état ne se dégrade.
Et, encore moins, on ne parlera jamais des millions de bébés vaccinés qui n’auront jamais ces complications et qui finiront eux aussi par avoir des bébés qui seront protégés, non seulement par leur vaccin, mais aussi beaucoup par celui des autres enfants qui leur offrira un milieu de vie sécuritaire.
Quand la rougeole réapparait, inquiétez-vous. Ce n’est pas seulement les enfants qui sont à risque, mais nous tous, car une partie plus ou moins grande de la société n’arrive plus à concevoir la réalité bien abstraite, celle de citoyens qui n’ont rien de particulier sauf d’être en vie et en santé parce qu’on a développé des moyens de prévenir les maladies, les agressions par armes à feu, les catastrophes naturelles et autres. La plate quiétude qui ne fait pas de « buzz » sur Internet.
La réalité est souvent plus abstraite … que l’obscurantisme.
1 – Lire En Retrait, Trump et l’ignorance de destruction massive, décembre 2024.
https://en-retrait.com/trump-et-lignorance-de-destruction-massive-2/
2 – Lire En Retrait, La liberté d’expression qui tue, mars 2025.