À propos de l'auteur : Pierre Deschamps

Catégories : Livres

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Source : https://carlboileau.com

Urticaire politique pour les uns, mirage pour les autres, urgence pour certains, si ce n’est une question de survie, diront tout simplement ceux qui désespèrent d’un pays. Ainsi en est-il de l’indépendance du Québec, une idée qui ne semble pas vouloir s’éteindre. Elle que l’on croyait à jamais dans les limbes depuis le référendum de 1995, voilà qu’elle se ravive à un an d’une prochaine élection provinciale. Or depuis le surgissement de cette perspective politique dans la société canadienne-française de la fin du XIXe siècle, quels contours a-t-on donnés à cette idée qui colle à l’histoire du Québec comme le sparadrap aux doigts du capitaine Haddock dans L’Affaire Tournesol ?

Pierre Deschamps

Sur un sujet aussi passionnel que l’indépendance du Québec, l’historien Yvan Lamonde s’est lancé aux trousses de cette idée politique qui agite le Québec depuis plus d’un siècle. Une plongée dans les plis et replis de notre mémoire collective qui donne à voir comment cette idée née à la droite du spectre politique glissera à sa gauche dans les années 1960. Avec en arrière-fond à cette analyse, le fait que « l’évolution de l’idée d’indépendance du Québec est un excellent vecteur d’explication du changement ».

Que la forme et le contenu de l’imaginaire indépendantiste aient changé en un siècle, quoi d’étonnant ! Que l’idéal se meut peu à peu de la parabole du pays imaginaire à la ferme volonté de passer à l’action et de s’affirmer comme une nation, voilà ce que relate Yvan Lamonde, dans ce court ouvrage qui, au-delà d’un apparent panorama, s’affirme comme un relevé identitaire regroupant des polaroïds du What does Quebec want à différentes époques de son histoire.

Du reste, la succession temporelle privilégiée par Yvan Lamonde n’implique nullement une filiation idéologique ininterrompue entre le journaliste ultra-conservateur et antimonarchiste Jules-Paul Tardivel (1851-1905), pour qui « le Canada français aurait en Amérique une destinée manifeste, une vocation spirituelle et catholique », et une certaine gauche nationaliste des années 1960 qui militait pour un Québec indépendant, laïque et, pour certains, socialiste. Ici, l’historien offre plutôt un portrait protéiforme de l’agitation intellectuelle et politique qui fait bouillonner le chaudron identitaire québécois depuis plus d’un siècle.

Une idée prégnante

La lecture de L’évolution de l’idée d’indépendance au Québec au XXe siècle [1], à un an de la prochaine échéance électorale québécoise, fait ressurgir des positions idéologiques qui ont fondé une bonne part de l’imaginaire « nationaliste dont certains aspects n’ont pour ainsi dire jamais disparu ». Ne serait-ce que les discussions, qui n’ont de cesse depuis, sur le sens à donner aux mots indépendance, sécession, autonomie, souveraineté, pays, nation, même chez ceux des Québécois qui se disent Canadians avant tout.

Des mots qui agissent encore, pour le dire simplement, comme des vecteurs de mobilisation ou d’affrontement, en faveur ou en opposition, que le discours politique continue de récupérer ou de dénigrer, sans jamais pouvoir tout de même s’en délester.

Christianisme de combat

L’image du cadavre de Louis Riel se balançant « entre ciel et terre » fait naître chez Jules-Paul Tardivel l’idée d’indépendance, pour s’émanciper des « désillusions de la Confédération de 1867 [et] du non-respect des droits scolaires des minorités catholiques et de langue française », de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et du Manitoba.

Pour exprimer ses positions, Jules-Paul Tardivel se fera romancier. Pour la patrie : roman du XXe siècle est « un roman chrétien de combat » dans lequel « l’indépendance est envisagée tout d’abord et avant tout pour un motif religieux ». Roman d’anticipation aussi – puisque l’action s’y passe en 1945 – dans lequel l’auteur est à la manœuvre pour que, « grâce à l’indépendance, le Canada français [puisse] poursuivre sa défense de la religion et christianiser l’Amérique ». En somme, un projet destiné à « assurer la primauté de la religion sur la politique et le civil », note Yvan Lamonde.

Religieuse, linguistique, ethnique

De la vision de l’indépendance du chanoine Groulx, deuxième directeur de L’Action nationale, un périodique d’inspiration maurassienne, Yvan Lamonde retiendra l’idée d’une indépendance qui ne serait possible que « si elle respecte la loi des trois unités : religieuse, linguistique, ethnique ». Une formule qui « ne se fonde point sur le principe des nationalités, sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », constate-t-il.

L’historien exhume à l’occasion les propos d’Henri Bourassa, le fondateur du quotidien Le Devoir, acquis tout entier à l’époque à l’idée de la primauté de la religion sur la langue : « Mais n’oublions jamais que nos devoirs de catholiques priment nos droits nationaux, que la conservation de la foi, l’unité de l’Église, l’autorité de sa hiérarchie importent plus que la conservation de n’importe quelle langue, que le triomphe de toute cause humaine ».

Yvan Lamonde fait place ensuite à ceux qui s’inspireront de la pensée du chanoine Groulx ainsi que de celle du philosophe et théologien catholique français Jacques Maritain et du franciscain Carmel Brouillard.

Dieu, famille, nation, État 

Mouvement nationaliste de droite actif de 1932 à 1938, Jeune-Canada réunit André Laurendeau, Pierre Dansereau, Gérard Filion, Robert Charbonneau, Roger Duhamel, Gérard Picard, Lucien L’Allier, Claude Robillard, Dostaler O’Leary ; des figures qui vont pendant longtemps compter dans le débat « nationaliste ».

L’appel à la jeunesse que lance le mouvement en 1933 constitue son principal fait d’arme. Cet appel « se veut une dénonciation de la politique fédérale et provinciale, [tout en affirmant] que “le français est la langue officielle du Canada, autant que l’anglais” », dans le « respect scrupuleux de chacune des deux races ».

Au cœur de la doctrine des Jeune-Canada, les préceptes énoncés par André Laurendeau : « Dieu, famille, nation, État », lesquels, remarque Yvan Lamonde, ne font pas formellement appel « au principe des nationalités ».

Nationalisation, abolition, équilibre social

Pour sa part, le mouvement des Jeunesses Patriotes, né en novembre 1935, préconise « la création d’un état corporatiste canadien-français [et] entend organiser les professions et les ouvriers contre les “trustards”. Il est farouchement opposé au capitalisme et au libéralisme, tout autant qu’au communisme ».

Ce mouvement animé par les frères Walter et Dostaler O’Leary, auxquels se joindra Paul Bouchard, fondateur en 1936 de l’hebdomadaire de droite La Nation, invite à « la prise du pouvoir politique pour réaliser un “État national français dans l’empire” ». Le mouvement propose « la nationalisation intégrale des forces hydroélectriques, des banques, des chemins de fer, des communications postales, des eaux, des industries de guerre ; l’abolition du chômage […], l’abolition du régime parlementaire […] de manière à rétablir l’équilibre social, dans un État totalitaire et technique basé sur les principes de l’économie dirigée ».

Droite nationaliste et religion

Au milieu des années 1950, alors que le clergé ne règne plus sans partage sur les masses, « l’impulsion significative du renouveau séparatiste vient à nouveau de la droite ; en fait du nationalisme traditionnel en la personne de l’historien Robert Rumilly, qui publiera un premier pamphlet au titre révélateur des débats qui agitent alors le milieu nationaliste : L’infiltration gauchiste au Canada français. Des propos tenus par Robert Rumilly dans cet ouvrage, Yvan Lamonde retiendra que « c’est le gauchisme qui justifie que l’on conçoive un indépendantisme québécois, alimenté au catholicisme et l’alimentant ».

À la même époque, l’influence du chanoine Groulx s’estompe peu à peu, lui qui ne se reconnaît pas dans les positions des historiens Maurice Séguin, Michel Brunet, Guy Frégault. S’il se met progressivement en retrait de la scène politique, c’est que sa lecture de la situation est à ce point dramatique que ce dignitaire ecclésiastique, qui a si longtemps régné en maître sur tout ce qui entoure l’avenir du Canada français, en vient à parler de la « faillite de sa vie ».

À la suite de la réélection de Maurice Duplessis en juin 1956, les milieux indépendantistes sont sur « le point de franchir un pas, d’affirmer une conviction politique sans référence à la religion ».

Sans référence directe, devrait-on souligner, alors même qu’André d’Allemagne et Marcel Chaput, les fondateurs du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), sont tous deux issus de la filière indépendantiste catholique.

Quand vient le temps pour le RIN de devenir un parti, cette question, qui déchire ses membres, aboutira à une scission qui verra Marcel Chaput quitter le mouvement pour fonder le Parti républicain du Québec (PRQ), qui préconisera « une nation libre, pacifique, française et chrétienne ».

Polémique et réalisme

L’arrivée de Pierre Bourgault à la présidence du RIN donnera lieu à une vive polémique avec André Laurendeau, alors rédacteur en chef du Devoir, qui estime, comme l’indique Yvan Lamonde, que « les Canadiens français ne sont ni dominés ni exploités par des étrangers, qu’ils ne sont ni pauvres ni méprisés ». André Laurendeau allant jusqu’à écrire que le fait d’appartenir au Canada « rend conservateur et pacifique ».

Au passage, Yvan Lamonde relève qu’André Laurendeau qualifiera le RIN de groupe « d’athées et d’agnostiques ». Rien d’étonnant aux yeux de l’historien qui explique que le directeur du Devoir considère que « le principe des nationalités n’est pas pertinent dans des pays avec des minorités nationales ».

Yvan Lamonde souligne le réalisme dont Pierre Bourgault a fait preuve quand s’est posée la question de joindre les rangs du Parti québécois en octobre 1968. Il rend compte également de la réaction du président du RIN lors du décès du chanoine Groulx, lequel déplore les « funérailles à la sauvette » du fondateur de l’Institut d’histoire de l’Amérique française. Yvan Lamonde résume bien l’état d’esprit de Pierre Bourgault à cette occasion : « Pour le président du RIN, le Québec a perdu son père, le Canada français son âme. »

Souveraineté, économie

Les derniers chapitres de L’évolution de l’idée d’indépendance au Québec au XXe siècle sont consacrés au débat sur la laïcité ; aux réactions du milieu catholique et de la droite face à la montée d’une gauche socialiste ; à la déconfessionnalisation inachevée de l’école ; à la création de revues de la gauche indépendantiste (Revue socialiste, Parti pris) qui prônent la « libération nationale » ; à l’émergence d’une gauche religieuse ; à la fondation du Mouvement Souveraineté-Association (MSA) et du Parti québécois ; à la parution d’Option Québec, un ouvrage qui fera date en raison du type de souveraineté mis de l’avant par René Lévesque : une souveraineté politique qui, « couplée à une association économique allait tenir compte du poids du Canada et de l’environnement économique américain sur l’économie du Québec ». Pour Yvan Lamonde, René Lévesque avait ainsi « réussi la mise à feu » de la préoccupation économique dans l’arène nationaliste.

Un long travelling identitaire

Toute l’entreprise d’Yvan Lamonde aura été de montrer avec acuité comment « le nationalisme traditionnel se défait, se décompose devant l’urbanisation et l’industrialisation du temps de guerre et d’après-guerre », pour que la création impérieuse d’un État du Québec devienne un thème quasi persistant du débat politique des années 1960.

Suite et fin

Yvan Lamonde annonçait, dans l’avant-propos de L’évolution de l’idée d’indépendance au Québec au XXe siècle, que son « analyse s’arrêtera au Mouvement Souveraineté-Association (MSA, 1967) et au Parti québécois (1968) ; ce sont des bornes liminaires au-delà desquelles on pourra poursuivre le type d’analyse entreprise ici ».

On pourra poursuivre … En grammaire traditionnelle, le « on » exclut la personne qui parle. Cette suite se fera donc sans l’historien, décédé le 26 août dernier.

[1] Yvan Lamonde, L’évolution de l’idée d’indépendance au Québec au XXe siècle, Presses de l’Université Laval, Québec, 2025, 189 pages.

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