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Serge Truffaut
Il y a peu, l’étiquette Blue Note a annoncé la publication prochaine d’un enregistrement inédit du pianiste Horace Silver à Seattle intitulé Live At The Penthouse. Silver, faut-il le rappeler, fut le pianiste ayant conçu la grammaire du hard-bop et dont les Jazz Messengers, qu’il co-fonda avec Art Blakey, furent les éclaireurs.
C’est en effet Silver le compositeur qui plus que tout autre musicien des années 1950 a établi les fondements du hard-bop que devaient explorer notamment Sonny Rollins, Jackie McLean, Dexter Gordon et quelques autres.
À preuve, la griffe musicale de Silver alias Senor Blues fut la marque de commerce du label Blue Note pendant une trentaine d’années
Si Silver parvint à ses fins, soit convaincre autrui à suivre son sillon, c’est qu’il possédait par ailleurs l’art de bien s’entourer. Les saxophonistes Junior Cook, Clifford Jordan, Joe Henderson, les trompettistes Blue Mitchell, Bill Hardman, Lee Morgan, Art Farmer, les contrebassistes Gene Taylor et Bob Cranshaw ainsi que le batteur Louis Hayes, qui est en fait le sujet du jour, furent ses compagnons de studios et d’hôtels. De tous les bonshommes nommés, Hayes est le seul à occuper encore et toujours la scène.
Aujourd’hui, il a 88 ans. Il est né dans la ville où sont nés, on le sait trop peu, le plus grand nombre de grands musiciens de jazz : Detroit. Tommy Flanagan, Roland Hanna, Barry Harris, Hank Jones et ses frères Elvin et Thad, Ron Carter, Milt Jackson, Joe Henderson, Kenny Burrell, etc … La scène évoquée plus haut il l’occupe avec une régularité qui, vu son âge, force l’admiration. Lorsqu’il ne se produit pas à la tête de sa formation au Smoke de New York, il accompagne les uns et les autres au Small’s dans la même ville. Sinon, c’est Chicago, Detroit, Washington ou encore Montréal. Il a été invité par le guitariste montréalais Mike Bruzzese à jouer au Upstairs le 31 octobre et le 1er novembre.
La géographie de son travail mise à part, reste l’essentiel : ses productions, ses albums. Sur ce flanc, lorsqu’on s’arrête à ce qu’il nous a proposé au cours de ces dernières années on … Disons qu’on tombe en bas de notre chaise, la dure, la solide, celle qui nous tient, la chaise soviétique. Avant de préciser les labels, il faut souligner le fait majeur qui le distingue de ses confrères. Dans les années 1950 et 1960, Hayes a battu la mesure pour trois des formations réputées avoir été parmi les dix meilleures de cette époque : le quintet de Silver, le quintet de Cannonball Adderley et le trio du cher Oscar Peterson.
Non seulement ça, avant comme après il a enregistré et accompagné John Coltrane, Sonny Rollins, Sonny Clark, Stanley Turrentine, plusieurs autres dont Dexter Gordon. Il fut le batteur de ce dernier lors de son retour d’exil dans les années 1970 et notamment de l’enregistrement live de Homecoming considéré comme un des sommets de l’histoire du jazz. Depuis une vingtaine d’années, Hayes s’est fait l’exécuteur testamentaire des oeuvres composées par Silver et les frères Adderley, surtout celles écrites par Nat Adderley, le trompettiste et frère de Julian. À la tête de ses Jazz Communicators, Hayes décline et cisèle les pièces des artistes nommés histoire de combattre l’oubli et la médiocrité qui singularise bien des productions réalisées aujourd’hui à l’enseigne du jazz de conservatoire.
Sur la plupart de ses récentes publications, on retrouve les pianistes David Bryant ou Rick Germanson, le vibraphoniste Steve Nelson, le contrebassiste Dezron Douglas, l’intense Abraham Buron au ténor et parfois l’énergique Jeremy Pelt à la trompette. En deux mots, tous ces musiciens sont des contradictions éclatantes. De qui ? Du deux de pique. Avec ses complices, Louis Hayes a signé des albums pour les étiquettes Savant, Smoke Sessions et Blue Note. Pour cette dernière, et avec la complicité de Don Was, patron de Blue Note et producteur des Rolling Stones, l’octogénaire de Detroit a sculpté un bijou : Serenade for Horace.
En voici un morceau: Senor Blues 3