À propos de l'auteur : Serge Truffaut

Catégories : International

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Christian Tiffet


Serge Truffaut

Le 3 avril, mille et un clichés des horreurs commises par un contingent de soldats russes à Boutcha, ville moyenne au nord-ouest de Kyiv, ont été disséminés aux quatre coins du globe. Ici, on voyait le corps d’un homme enjambant encore son vélo. Là, celui d’un homme les mains attachées derrière le dos. Ou encore celui d’une vieille femme au milieu de la rue, les genoux à terre, visiblement fracassée par les émotions suscitées par ce lot de barbaries.

Le 8 avril, alors que des milliers de personnes se massaient dans la gare de Kramatorsk, dans le Donbass, et dans ses environs avec l’espoir de fuir les tirs aussi croisés que gratuits par les militaires russes, un missile envoyé par ces derniers a tué 52 personnes. Quoi d’autre ? Ce faisant, les agresseurs ont d’ores et déjà tétanisé la mémoire des personnes ayant survécu.

Entre les deux, devant les membres des Nations Unies le président ukrainien Volodymyr Zelenski a livré un exposé de la situation et un certain nombre de requêtes par visioconférence. Lors de son discours, Zelenski s’est évidemment appliqué à qualifier les assauts sanglants de l’armée russe. Le mot choisi ? Un génocide. Bien.

Concepts évoqués à Lviv

Par une de ces coïncidences, ici extraordinaire, que l’Histoire nous propose parfois, il se trouve que les deux concepts qui forment l’architecture juridique des droits de la personne, de la protection de ces dernières, ont été conçus, ciselés, pensés à … Lviv, grande ville de l’ouest de l’Ukraine.

C’est en effet à Lviv que Hersch Lauterpatch, « inventeur » du crime contre l’humanité a grandi, en partie, et fait ses études de droit. C’est également là que Raphael Lemkin, « inventeur » du génocide a grandi, en partie, et fait ses études de droit. C’est à Lviv, on insiste, que Lauterpacht et Lemkin ont forgé les concepts évoqués.

Dans le remarquable livre qu’il a consacré à ces deux philosophes du droit sous le titre Retour à Lemberg – édité par Albin Michel -, Philippe Sands, lui même avocat en droit international, précise que l’obsession de Lauterpacht était la protection des individus alors que chez Lemkin c’était la protection des groupes.

Ainsi que le souligne Sands, « pour prouver le génocide, vous devez montrer que le meurtre est animé par une intention de détruire le groupe, tandis que pour prouver le crime contre l’humanité, une telle intention n’a pas besoin d’être établie ». En d’autres termes, le génocide est le crime aggravé contre l’humanité.

Entre ces deux hommes, il y a eu un long combat philosophique qui a atteint son point d’orgue à Nuremberg, lors du procès des dignitaires nazis (20 novembre 1945, 1eroctobre 1946). Nommé président du tribunal Robert Jackson et patron de la délégation américaine, a longtemps jonglé avec l’idée d’adjoindre Lemkin à son équipe avant de le laisser sur les lignes de côté, mais pas trop loin

Éclaireur idéologique

La délégation britannique avait fait de Lauterpacht, son éclaireur idéologique. C’est lui qui a composé en grande partie le plaidoyer d’ouverture en introduisant pour la première fois la notion de crimes contre l’humanité qu’il reprendra dans la conclusion.

Lemkin eut beau insister auprès des Américains pour intégrer son idée, rien n’y fit sauf que les délégations française et russe évoquèrent la notion de génocide. Quoi d’autre ? À la grande surprise de Lauterpacht, le procureur général des Britanniques Sir Hartley Shawcross prononça le mot à plus d’une reprise durant son plaidoyer de fermeture.

Lors du verdict,18 mandarins sur 21 du régime nazi furent reconnus coupables de crimes contre l’humanité. Aucun de génocide.

Deux mois après la conclusion du procès de Nuremberg, le 11 décembre pour être précis, l’Assemblée générale des Nations unies adopta la résolution 95 qui reconnaît le crime contre l’humanité et la résolution 96 celui de génocide. Ce faisant, les Nations Unies ont fait de ces deux concepts le socle juridique pour tout ce qui a trait à la protection des personnes et des groupes. Retournons à l’Ukraine.

Commençons par le plus simple : en ordonnant l’agression de l’Ukraine, ordre capté sur grand écran et vu dans le monde entier, Poutine a commis un crime de guerre. Et d’une.

Et de deux, des témoignages, des faits récoltés jusqu’à présent, tout permet d’avancer que des crimes contre l’humanité ont été commis dans les deux villes nommées. Et le génocide ? Là, ça se complique.

Appels au sang

Pour l’instant, on ne dispose pas d’un ordre écrit, ni d’un ordre verbal enregistré stipulant qu’il faut éliminer les Ukrainiens. Par contre, on dispose de pistes qui révèlent qu’au sein des élites politiques et intellectuelles de la Russie certains ont multiplié les appels au sang contre tous les Ukrainiens. En Alfred Rosenberg, Hitler eut son théoricien du nazisme. En Alexandre Dougine, le patriarche Kirill et Timofeï Sergueïtsev, Poutine a ses avocats de l’élimination tous azimuts.

Lorsque le maître du Kremlin a lancé en 2007 son programme Monde Russe dont l’objectif est la constitution d’un cinquième empire, programme pour lequel il a puisé dans les tréfonds abominables des monothéismes, Poutine a libéré de fait les mots du bruit et de la fureur des illuminés nommés.

Il y a peu, dans une chronique publiée par l’officielle agence de presse russe RIA Novosti, Sergueïtsev avance, ainsi que le souligne Benoît Vitkine dans Le Monde, qu’il n’y a pas d’identité ukrainienne et qu’il faut donc « déukrainiser » ceux qui croient en cela et qui ne sont en fait que des « nazis passifs ».

Le patriarche de Moscou Kirill après avoir applaudi Poutine pour son attaque contre l’Ukraine, car la Russie est confrontée à une guerre de civilisation, a jugé que « notre peuple doit se réveiller et comprendre qu’un moment particulier est venu dont dépendra les destin historique de notre peuple ».

Quant à Poutine il a formulé le mot si cher aux avocats du grand remplacement et aux thuriféraires de la hiérarchisation des races : l’autopurification. Il veut lancer le pays sur la voie de la pureté… dangereuse! Pour qui ? Les Russes, les Ukrainiens et possiblement certains de leurs voisins.

Que les échos que l’on prête au génocide se fassent entendre aujourd’hui est tout simplement effarant.

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