Partagez cet article
Louiselle Lévesque
Manifestation de la Fédération autonome de l’enseignement le 12 décembre au centre-ville de Montréal.
Louiselle Lévesque
C’est dans une ambiance délétère que l’Assemblée nationale du Québec a mis fin à ses travaux en ce mois de décembre, avec en toile de fond le plus vaste mouvement de débrayage des employés du secteur public qu’ait connu le Québec depuis les années 1970.
Manifestations et piquets de grève dressés devant les écoles et les hôpitaux viennent renforcer l’impression générale que rien ne va plus. Le Québec est sens dessus dessous, l’État quasi paralysé dans ses grandes missions. Plus d’un demi-million de syndiqués dans la rue.
Le premier ministre François Legault semble désemparé pour ne pas dire déboussolé face à l’ampleur de la grogne et à l’insatisfaction des Québécois qui font de lui pour la première fois le chef de gouvernement le plus impopulaire au pays, à égalité avec Justin Trudeau.
Santé Québec
C’est en ayant recours au bâillon que le ministre Christian Dubé a réussi à faire adopter son imposante réforme dans le réseau de la santé. La procédure a mis fin abruptement à l’étude de centaines d’articles et amendements de dernière minute apportés au projet de loi 15 qui entrainera des bouleversements majeurs dans les structures administratives et décisionnelles.
La nouvelle agence Santé Québec qui sera créée intègrera plus de 1500 établissements et comptera plus de 325 000 employés, lui assurant la mainmise sur toutes les activités du système de santé.
Une méga-société d’État verra donc le jour dans les prochains mois même si on en sait bien peu sur le processus de reddition de comptes auquel elle sera soumise.
Éducation
Le secteur de l’éducation n’est pas en reste. Le ministre Bernard Drainville s’est réjoui de l’adoption du projet de loi 23 sur l’instruction publique malgré l’opposition unanime des élus libéraux, solidaires et péquistes.
Cette réforme, dont plusieurs aspects sont controversés, confère au ministre encore plus de pouvoirs au chapitre de la gouvernance, y compris celui de nommer ou de destituer les directeurs généraux des centres de services scolaires et d’annuler leurs décisions.
Bref, des changements marqués là encore au sceau de la perte d’autonomie et de la centralisation, deux tendances auxquelles échappent les commissions scolaires anglophones qui ont conservé le contrôle de leurs institutions ainsi que les élections scolaires abolies en 2020 du côté francophone.
Moins de démocratie
La réforme Drainville a entre autres pour conséquences de faire disparaître le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) tel qu’il existe depuis 60 ans. Créé en 1964 en même temps que le ministère de l’Éducation, cette instance est considérée comme l’un des deux piliers du système éducatif mis en place dans la foulée du rapport Parent.
Il sera remplacé par deux nouvelles entités : l’Institut national d’excellence en éducation (INEE) qui aura la responsabilité de promouvoir, sur la base de données recensées, les meilleures pratiques d’enseignement aux niveaux préscolaire, primaire et secondaire tandis que les enjeux touchant l’enseignement postsecondaire seront confiés au Conseil de l’enseignement supérieur.
Cette réorganisation, en apparence anodine, prive le Québec d’une institution tel le CSE qui avait une vision globale du système d’éducation et qui se démarquait par son caractère représentatif de la population québécoise et ses pratiques de consultation et de délibération. Un mode de fonctionnement original qu’avait développé le Québec et qui ne correspondait plus à la vision du gouvernement caquiste.
Un recul
La sociologue et professeure émérite de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Céline Saint-Pierre, a été présidente du Conseil supérieur de l’éducation de 1997 à 2002. Elle ne comprend pas que le gouvernement remette en cause l’existence d’un organisme qui a fait ses preuves et qui, par ses avis et recommandations, l’alimentait dans l’élaboration de ses politiques en éducation.
« C’est pour ça, explique-t-elle, que l’on a été stupéfiés de voir qu’il transformait le Conseil, il le dépouillait de ses principales caractéristiques et de son rôle principal qui est vraiment de conseiller le ministre sur toutes les questions qui relèvent de l’éducation, de la petite enfance à l’université en incluant l’éducation des adultes. »
En plus, précise-t-elle, « le gouvernement avait l’assurance que les recommandations qui étaient sur la table avaient un grand intérêt parce qu’elles étaient formulées par les acteurs du milieu et de la société civile. »
La décision de segmenter le réseau de l’enseignement en deux structures distinctes représente une perte par rapport à ce qui existait estime Céline Saint-Pierre. Selon elle, « l’apport des acteurs de l’éducation qui viennent de différents ordres d’enseignement, c’est une richesse de les avoir tous autour d’une même table et ce ne sera plus le cas. »
Liberté, liberté
La professeure Saint-Pierre exprime aussi des inquiétudes quant à la marge de manœuvre dont disposeront les deux nouveaux organismes. « La grande force du Conseil, l’intérêt d’avoir un tel Conseil, c’était sa complète autonomie et indépendance vis-à-vis du ministère et du ministre. Le Conseil pouvait construire ses avis en toute indépendance. C’était sa première grande qualité. »
Autre élément que l’ancienne présidente souligne à juste titre est le fait que les études et les avis produits par le CSE étaient rendus publics. « Nous étions une instance complètement autonome avec une mission d’influencer les politiques publiques en éducation. »
C’est ainsi qu’en 2016, le CSE avait sonné l’alarme sur les problèmes d’équité et de justice sociale à l’école. L’organisme avait constaté que le fonctionnement du système scolaire québécois contribuait à reproduire les inégalités sociales plutôt qu’à les atténuer. Et il avait montré du doigt les effets pervers de la concurrence en éducation (école privée, école publique et école publique avec programmes particuliers), une logique qu’il avait qualifiée de « quasi-marché ».
À l’encontre de l’avis général
Lors de la commission parlementaire qui s’est penchée sur le projet de loi sur la gouvernance scolaire, un large consensus s’est dégagé en faveur de la nécessité de conserver le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) dans son intégralité.
En même temps, la plupart des intervenants voyaient d’un bon œil la création de l’Institut national de l’excellence en éducation dont le rôle était jugé complémentaire à celui du CSE. L’entrée en scène de ce nouvel institut ne remettait d’aucune façon en question la pertinence de maintenir le CSE dans sa forme actuelle.
Cette position était aussi celle défendue par l’actuelle présidente du CSE, Monique Brodeur, en poste depuis juin 2022. Et elle continue de soutenir que « la beauté du Conseil, c’était qu’il couvrait l’ensemble du système éducatif » même si le gouvernement en a décidé autrement.
La transition
Monique Brodeur qui présidera à la transformation du CSE en Conseil de l’enseignement supérieur admet que plusieurs questions restent pour l’instant sans réponse. « Nous sommes encore aux balbutiements de la transformation. Oui il faut que l’on ait des ressources humaines. On ne connaît pas la nature exacte de l’équipe sur laquelle on va pouvoir compter. »
Mais déjà, elle parle de la nécessité de construire des ponts entre les deux organismes qui auront à intervenir dans leur champ respectif. Une concertation reste essentielle, croit-elle, que ce soit sur une base régulière ou de façon ponctuelle sur des enjeux transversaux comme la maitrise de la langue française. Un défi pour l’école québécoise de la maternelle jusqu’à l’université.