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Guy Gendron
La bête noire des médias d’information, Facebook, change de nom. À partir du 1er décembre, la compagnie mère de cette entreprise aux mille milliards de dollars en capitalisation boursière, jusqu’à maintenant inscrite au NASDAQ sous le symbole FB, s’y transigera en tant que MVRS, comme dans Métavers.
Pour le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, il s’agit d’un signal clair de la révolution technologique qu’il envisage, soit la création d’un univers virtuel en trois dimensions destiné, croit-il, à dépasser en importance le web actuel. Un monde dont il contrôlera la porte d’accès, plus encore qu’avec Facebook qui se voit limité dans son développement par les systèmes d’exploitation des téléphones intelligents, IOS et Androïd, appartenant à Apple et Google, ses deux principaux concurrents dans le lucratif marché des données personnelles.
L’annonce de la métamorphose de Facebook, le 28 octobre, a été interprétée par plusieurs comme un artifice ayant pour but de détourner l’attention des révélations troublantes faites, quelques semaines plus tôt, par la lanceuse d’alerte Frances Haugen. L’ingénieure, ex-employée de Facebook où elle dirigeait une équipe responsable de l’intégrité (sic), y a collecté des milliers de messages et de rapports internes témoignant des failles éthiques de la compagnie et de son emprise toxique sur la société.
On y apprend, entre autres choses, qu’à l’image des cigarettiers qui ont rendu le tabac plus addictif alors qu’ils le savaient pourtant cancérigène, Facebook a modifié, en 2018, les algorithmes de son fil d’actualité pour accroître l’engagement de ses utilisateurs vieillissants en y favorisant les contenus qui suscitent la colère et sèment la division sociale. Le résultat, en particulier aux États-Unis, est édifiant.
Influence malsaine
En conséquence, des deux côtés de l’Atlantique, les appels au démantèlement forcé de Facebook se sont multipliés, d’autant que les critiques sur l’influence malsaine de l’entreprise proviennent autant de la gauche progressiste que de la droite trumpienne toujours aussi enragée contre la compagnie qui a osé bloquer l’ancien président sur plusieurs de ses plateformes.
Pourtant, « cela ne règlerait rien », estime Jean-Hugues Roy, professeur de journalisme à l’École des médias de l’UQAM, qui étudie depuis des années les agissements de Facebook. À son avis, ce débat sur une scission forcée de l’entreprise – comme celui imposé au siècle dernier à AT&T ou à la Standard Oil – détourne l’attention de l’enjeu plus crucial, celui de la nécessité de mieux réglementer la désinformation et l’accaparement, par Facebook, des revenus provenant de l’utilisation des contenus d’information produits et financés par les médias dits traditionnels.
Il en va de leur survie et, donc, de la santé démocratique de nos sociétés. Séparer de force Facebook de ses différentes composantes comme Messenger, Instagram ou Oculus, n’aurait aucun effet notable sur ces problèmes.
Quant au Métavers qui promet un monde de réalité virtuelle où les usagers interagiraient sous la forme d’avatars en trois dimensions, tant pour le travail à distance que pour les jeux et le divertissement, les relations sociales ou le magasinage en ligne, Jean-Hugues Roy y voit surtout un coup de marketing, une fuite en avant pour une entreprise dont l’étoile pâlit, particulièrement auprès des jeunes générations.
Il y trouve aussi l’illustration parfaite d’un monde décrit par le film de science-fonction réalisé en 2018 par Steven Spielberg, Ready Player One, dans lequel les habitants d’une société désagrégée par des écarts de richesse toujours grandissants se réfugient dans un monde virtuel pour s’évader du chaos qui les entoure. En somme, une métaphore de notre époque.