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Capture d’écran
Michel Barnier, 73 ans, a été nommé premier ministre le 5 septembre. Il succède à celui qui fut le plus jeune chef de gouvernement français, Gabriel Attal.
Serge Truffaut
Le président Emmanuel Macron peut désormais se vanter d’avoir injecté dans la culture politique de la Ve République l’adage qui se crie et se répète dans toutes les écoles maternelles de France et de Navarre depuis l’instauration de la 1ère République. Soit que les derniers seront les premiers.
C’est en effet à un des derniers que le chef de l’exécutif a demandé de camper le rôle de premier. Le 5 septembre, tout un chacun aujourd’hui le sait, Michel Barnier a été nommé premier ministre. On notera au passage que le plus vieux chef de gouvernement de la Ve — il a 73 ans — succède ainsi à celui qui fut le plus jeune, soit Gabriel Attal.
En sélectionnant le membre du parti Les Républicains qui s’est avéré le cancre des législatives — 5,4 % des suffrages ou 47 députés —, Macron a tordu le cours de la démocratie. Celle-ci serait une personne qu’il l’aurait giflée. Chose certaine, en agissant comme il l’a fait Macron a effectué un copier-coller de la culture illibérale du Hongrois Viktor Orbán ou de l’Italienne Georgia Meloni. Bref, il a rejoint le camp de ces derniers.
Sur un aspect de ces élections, il faut s’arrêter, insister avec force. De quoi s’agit-il ? De toutes les formations de droite et de gauche la très mal nommée Les Républicains avait refusé d’intégrer le front républicain mis sur pied afin de faire barrage au Rassemblement national (RN) qui malgré sa stratégie de la cravate demeure un parti raciste, antisémite.
Le front en question, c’est à retenir, avait été organisé entre le premier et le deuxième tour après qu’ici et là des journalistes régionaux eurent révélé que bien des candidats adoubés par la direction du RN tenaient encore et toujours des propos xénophobes et dans plusieurs cas stupides.
Cela étant, on se rappellera que le président Jacques Chirac avait ignoré le résultat du référendum tenu sur le Traité constitutionnel européen en 2005 et qu’avant lui François Mitterrand, le militant d’extrême droite métamorphosé en socialiste (sic), avait collectionné les cohabitations. En d’autres termes, Macron avait de quoi s’inspirer.
Retour en avant
Dans les jours qui ont suivi la conclusion de ces législatives, Dominique de Villepin avait collé, lors d’un entretien télévisé, aux obligations qui découlent de tout exercice démocratique pour mieux en dérouler la logique. Au vu des souhaits exprimés par les Français, Macron, de souligner de Villepin, se devait de nommer une personne choisie par le Nouveau Front Populaire (NFP).
Autrement dit, le président aurait dû inviter Lucie Castets, ex-responsable des finances de la mairie de Paris et personnalité choisie par les dirigeants du NFP pour le poste de premier ministre, de former un cabinet. Quoi d’autre ? Et préparer l’exposé sur la politique générale qu’elle entendrait suivre. Après quoi, si une majorité des autres députés déposaient une motion de censure et l’adoptaient alors Castets démissionnerait. Après quoi (bis) Macron devrait demander à ceux qui sont arrivés en deuxième place de refaire l’exercice, soit le bloc dit central composé de Renaissance, Horizons et le Modem, des partis de droite et du centre-droit. Et ainsi de suite.
De la prétention
On le sait, au lieu d’emprunter les chemins, ici complexes il est vrai, Macron a amorcé ou plus exactement poursuivi, au milieu de l’été, une valse de consultations avec tout ce que la Ve République compte de barons politiques. De barons, c’est un constat, plus enclins à la gestion de leur fonds de commerce qu’au bien commun. Voire de la nation.
De ce long épisode, plus de 50 jours avant que Barnier soit choisi, il ressort un autre constat qui pourrait s’intituler « La Palme de la prétention ». Celle-ci reviendrait à Laurent Wauquier, nouveau patron de Les Républicains (LR), et Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR.
Dès le début de ce chapitre, Wauquiez et son acolyte n’ont pas cessé de dire et souligner que l’exécutif, que Macron, avait l’obligation d’adopter leur pacte législatif. Dans la foulée, l’un et l’autre, sans oublier la majorité des élus LR, ont indiqué qu’ils ne seraient jamais membres du gouvernement. En d’autres mots, Wauquier et ses vassaux ont précisé qu’ils étaient prêts à soutenir un gouvernement qui traduirait dans les faits leur pacte législatif sans y participer.
Là également, il y a amplement matière à insister. Primo, le parti arrivé bon dernier lors des élections crie sur tous les toits que Macron doit faire du pacte législatif composé d’une douzaine de propositions, dont l’interdiction de toute augmentation d’impôt, le socle de sa politique. Deuxio, on ne participera pas au gouvernement.
On voudrait faire disserter les lycéens de France sur les pense-petits de la politique et leur lâcheté qu’il ne serait pas nécessaire de puiser dans les commentaires de Montesquieu ou Condorcet sur le sujet. La position du duo Wauquiez-Retailleau suffirait.
Indolence ou bêtise
Olivier Faure est le patron du Parti socialiste depuis 2018. Il était donc aux manettes lors de la présidentielle de 2022 alors qu’Anne Hidalgo était la candidate de cette formation. Bien. Le résultat ? Celle qui est également la mairesse de Paris n’avait récolté que 1,75 % des suffrages, soit à peine plus que les deux partis trotskystes et moins que Fabien Roussel du PCF et encore moins que Jean Lasalle, fondateur et seul représentant du Parti de la ruralité qui s’était contenté de faire campagne dans les Pyrénées faute de moyens.
Malgré un résultat qui ne peut qu’être qualifié de minable — le Parti de Jaurés et Mitterrand à 1,75 % ! —, ces deux-là n’ayant pas observé la hauteur que commandait leur performance sont restés à leur poste. Nulle part ailleurs qu’en France !
Ce comportement, surtout celui de Faure, explique en grande partie la stratégie foutraque qui a distingué le Parti socialiste (PS) tout au long de l’été. Au terme des élections européennes, Raphaêl Glucksman afficha un résultat plus qu’honorable. Un résultat redonnant des couleurs au PS.
C’est à noter : lors de la campagne de ces européennes, Glucksman a été attaqué, insulté avec constance par les bonzes de La France insoumise (LFI) et notamment par Manon Aubry, chef de file de LFI pour ce scrutin. Et alors ? Plutôt que de poursuivre le plan suivi par Glucksman lors de cette campagne, Faure a préféré coller aux basques de Jean-Luc Mélenchon dont les violentes saillies ne sont pas s’en rappeler celles d’un de ses modèles de la Révolution française, soit Saint-Just et ses appels au sang.
Conséquence ? Derrière les rideaux, Faure et ses complices se sont employés à torpiller la nomination de Bernard Cazeneuve, ex-premier ministre de François Hollande, que Macron avait envisagée. L’hypothèse Cazeneuve ayant été annihilée par des membres de sa famille politique, Marine Le Pen a hérité sur un plateau d’argent de la fonction faiseuse de roi.
En effet, si Macron a opté pour Michel Barnier c’est en raison de l’assurance que la patronne de l’extrême droite lui a donnée qu’elle ne déposerait pas une motion de censure contre ce dernier. Et que tel n’aurait pas été le cas si le président avait opté pour Xavier Bertrand, autre ténor de LR, mais ennemi juré de Le Pen.
En clair, la prétention de Wauquiez et de ses acolytes accouplée à la bêtise de Faure et de ses affidés ont fait qu’aujourd’hui la patronne du Rassemblement national est l’arbitre en chef de la politique française.
Et dire que les deux-tiers des Français ont voté contre l’extrême droite lors des législatives !
L’évolution perverse de la démocratie corrigée par Macron permet de rappeler ce bon mot de Michel Audiard : « Les cons ça osent tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît. »