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Valérian Mazataud
La moyenne au bâton, une expression chère à François Legault, n’est guère reluisante.
Louiselle Lévesque
Le gouvernement de François Legault amorce la dernière année de son deuxième mandat avec plusieurs boulets à son pied, empêtré dans le fiasco SAAQclic, la nouvelle plateforme numérique de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) dont la mise en place a tourné au cauchemar en plus d’entraîner des dépassements de coûts estimés à ce jour à un demi-milliard de dollars. Et c’est sans compter l’échec du projet Northvolt, la saga du troisième lien, la crise du logement, des restrictions budgétaires qui font mal, surtout en éducation, et un réseau de la santé qui continue de s’enliser malgré la création d’une super agence censée remettre le train sur ses rails.
Le temps presse pour le premier ministre qui doit regagner la confiance des Québécois et redonner à son gouvernement une aura de crédibilité avant d’affronter l’électorat en 2026. Les travaux de la Commission Gallant qui enquête sur les causes du dérapage de SAAQclic ont mis en lumière des défaillances dans la gestion des fonds publics par les principales têtes d’affiche de la Coalition avenir Québec (CAQ) qui sur les banquettes de l’opposition se présentaient comme des champions de probité et de vigilance.
Bref, la moyenne au bâton, une expression chère à François Legault, n’est guère reluisante pendant que se profile le retour en force du débat constitutionnel que le premier ministre pensait avoir relégué aux oubliettes.
Un coup de barre suffisant ?
Remaniement ministériel moins important qu’attendu avec peu de sang neuf, prorogation de la session parlementaire et présentation d’un discours d’ouverture sont les jalons de l’opération sauvetage que le premier ministre a concoctée. En misant sur des thèmes qui collent au climat politique ambiant comme la réduction de la taille de l’État, moins de mesures environnementales et plus de sécurité pour faire régner la loi et l’ordre, François Legault espère faire oublier les déboires de son gouvernement.
Un an en politique c’est court et c’est long à la fois. Tellement de choses peuvent survenir comme l’a montré le dernier scrutin fédéral qui, contre toute attente, s’est soldé par la réélection du Parti libéral du Canada dirigé par Mark Carney, le nouveau chef ayant réussi à se positionner comme le meilleur défenseur de l’économie canadienne menacée par l’offensive tarifaire de l’administration Trump.
François Legault dit avoir toujours le goût de se battre, motivé par son amour du Québec. Il n’a pas perdu la foi en sa capacité de rebondir et peut-être aussi de tirer profit de circonstances exceptionnelles comme un Québec solidaire affaibli, un Parti libéral du Québec (PLQ) dont le nouveau chef Pablo Rodriguez peine à se mettre au diapason de la société québécoise, habitué de naviguer dans la sphère fédérale, et un Parti québécois (PQ) qui fait de la tenue d’un troisième référendum sur l’indépendance une priorité. Cet engagement pourrait nuire aux chances du PQ d’être porté au pouvoir déclare sans détour Lucien Bouchard, un ancien allié et acteur clé de la campagne référendaire d’octobre 1995, il y aura bientôt 30 ans.
Un référendum dans l’air
Le Parti québécois a le vent en poupe. Il a remporté les trois dernières élections partielles au détriment de la CAQ et les sondages indiquent que le PQ formerait le prochain gouvernement à Québec. Cette remontée spectaculaire ne semble nullement freinée par la promesse réitérée par son chef Paul St-Pierre Plamondon de tenir un référendum sur l’indépendance du Québec dans un premier mandat. Il y aurait même un engouement pour la souveraineté chez les jeunes.[1]
Mais la perspective d’un autre duel entre souverainistes et fédéralistes compromettrait les chances de victoire du PQ soutient l’ancien premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, qui dirigeait le Bloc québécois en 1995 et qui a joué un rôle de premier plan dans le camp du oui. Il a exhorté le chef péquiste à revoir sa position sur les ondes de la radio et de la télévision de Radio-Canada le 20 août dernier. « Parce que ça devient un enjeu électoral. Les libéraux carburent avec ça. Vous savez les libéraux carburent au référendum. Il n’y a rien de plus formidable pour eux. C’est un cadeau. »[2]
Lucien Bouchard doute que la population soit prête à s’engager une nouvelle fois dans une démarche référendaire et met en garde le PQ contre les conséquences d’une autre défaite. « Perdre un troisième référendum, ça va être dramatique, poursuit-il. La perte du premier a été extrêmement douloureuse. On a perdu des pouvoirs de l’Assemblée nationale, des pouvoirs constitutionnels, un droit de veto et ainsi de suite. La deuxième défaite nous a valu la Loi sur la clarté. La prochaine question, le gouvernement fédéral va dire bien on va soumettre la question à la Chambre des communes qui va décider si elle est claire et suffisante. »
Des changements au processus ?
Que s’est-il passé sur le front constitutionnel depuis le référendum de 1995 où le oui est passé à un cheveu de l’emporter ? L’onde de choc que des résultats aussi serrés (49,42 % pour, 50,58 % contre) ont provoqué dans la capitale fédérale a amené le gouvernement de Jean Chrétien à prendre des initiatives qui n’ont pas toujours eu les effets escomptés.
Le programme de commandites instauré en 1996 pour redorer le blason du gouvernement fédéral au Québec est devenu le scandale des commandites. Une commission d’enquête présidée par le juge John Gomery a exposé au grand jour le gaspillage de fonds publics auquel ce programme a donné lieu. Pis encore, il y a eu fraude et une partie des subventions accordées aux firmes de publicité a servi à financer de façon illicite la section québécoise du Parti libéral du Canada, contribuant à ternir durablement sa réputation.
Sur le plan du droit constitutionnel, il y a eu le Renvoi relatif à la sécession du Québec devant la Cour suprême du Canada qui, dans un avis rendu en août 1998, a reconnu le droit du Québec de faire sécession tout en établissant des conditions pour que l’obligation de négocier soit déclenchée. [3] Il faudra, a estimé le plus haut tribunal du pays, que la question soumise à la consultation populaire soit claire et que les résultats soient clairs, sans toutefois définir ce qu’il entendait par majorité claire.
Obligation d’engager des discussions
Ce renvoi a changé significativement la dynamique affirme le constitutionnaliste, Daniel Turp [4] qui à titre de député du Bloc québécois de juin 1997 à novembre 2000 a assisté de près à l’effervescence de la période post-référendaire à la Chambre des communes, croisant le fer avec le ministre des Affaires intergouvernementales de l’époque Stéphane Dion.
« Ce renvoi a reconnu très explicitement, et je prends les termes de l’avis de la Cour suprême, le droit du Québec de chercher à réaliser la sécession. »
Il y avait, rappelle-t-il, au référendum de 1980 et à celui de 1995 beaucoup de débats sur la question du droit du Québec de faire sécession en vertu du droit international et du droit constitutionnel canadien. Et la Cour a mis fin à cette ambiguïté.
« La Cour a statué que le Québec (et pas juste le Québec, les provinces, ça s’applique aussi à l’Alberta) avait le droit de chercher à réaliser la sécession et qu’il y avait une obligation corollaire de négocier la réalisation de la sécession de la part des partenaires de la fédération. »
Le juriste croit que le ministre Dion qui s’attendait à ce que la Cour entérine son interprétation de la Constitution s’est retrouvé dans la position de l’arroseur arrosé. « Ça allait tellement loin que mon collègue Stéphane Dion ne l’a pas trouvé drôle. C’est pour ça qu’il a déposé sa Loi sur la clarté. »
La clarté et beaucoup de zones d’ombre
La Loi donnant effet à l’exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec (Clarity Act) a été adoptée en juin 2000 à la Chambre des communes.
Beaucoup de zones d’ombre subsistent effectivement selon le constitutionnaliste. « Sur la clarté de la question, la cour n’a pas été très explicite sur ce qui serait une question claire. Elle ne l’a pas été non plus sur la majorité. Elle n’a pas affirmé que la majorité c’était 50 % plus une voix ou 55 % comme au Monténégro. »
Le ministre Dion a voulu s’assurer que la question ne soit pas semblable à celle de 1980 et de 1995 et que l’accent soit mis sur la rupture plutôt que sur le fait de vouloir l’indépendance. « Il faudrait que la question pour être claire dise que le Québec veut cesser de faire partie du Canada. C’est ce que dit la Loi sur la clarté. »
Daniel Turp a constaté que cette terminologie a été inspirée par l’Accord du Vendredi saint signé en avril 1998 qui permet la tenue d’un référendum en Irlande-du-Nord sur son détachement du Royaume-Uni et son rattachement à la République d’Irlande. [5]
Pourtant, pour le référendum en Écosse en 2014, le Royaume-Uni a accepté une question qui se formulait ainsi : « L’Écosse devrait-elle être un pays indépendant ? Ils n’ont pas exigé que la question dise de cesser de faire partie du Royaume-Uni. »
Les coudées franches ?
Daniel Turp est d’avis que la Loi sur la clarté n’entrave en rien la capacité de l’Assemblée nationale de décider de la marche à suivre. « Le gouvernement du Québec et l’Assemblée nationale ne doivent pas considérer que cette loi est un obstacle à faire un référendum, une consultation populaire avec la question que l’Assemblée nationale aura adoptée et avec la règle voulant que la majorité claire, c’est 50 % plus une voix comme l’a affirmé l’Assemblée nationale dans la Loi 99. »
La Loi 99, c’est la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec, adoptée en décembre 2000 par l’Assemblée nationale sous la gouverne de Lucien Bouchard, alors premier ministre du Québec et qui se voulait une réponse à la Loi sur la clarté.
Aux yeux du constitutionnaliste, la procédure n’a pas changé. Il remet en question la légitimité de la Loi sur la clarté. « Pour moi, l’enjeu c’est que le Québec a le droit de disposer de lui-même. C’est l’Assemblée nationale au nom du peuple québécois qui détermine les règles. Ce n’est pas le Parlement du Canada. »
En tournant le dos à ses convictions souverainistes François Legault a voulu offrir aux Québécois une troisième voie autonomiste et faire table rase des querelles sur le statut politique du Québec. Mais la polarisation autour de la question nationale qui semble reprendre de la vigueur pourrait mettre hors jeu le parti qu’il a fondé. Et ce ne sont pas les efforts de son gouvernement pour accroître l’autonomie du Québec au sein du Canada, sans réels résultats, qui pourraient dissiper l’odeur de fin de régime.
[1] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2184416/federaliste-souverainete-independance-jeunes-sondages?partageApp=appInfoiOS&accesVia=partage
[2] Lucien Bouchard parle d’expérience. Aux élections générales du 30 novembre 1998 au Québec, le Parti québécois est réélu avec 76 députés sur 125 mais obtient moins de voix que le Parti libéral du Québec dirigé par Jean Charest, réduisant la marge de manœuvre du premier ministre Bouchard.
[3] https://decisions.scc-csc.ca/scc-csc/scc-csc/fr/item/1643/index.do
[4] Daniel Turp est professeur émérite de la Faculté de droit de l’Université de Montréal. En plus d’avoir été député du Bloc québécois dans Beauharnois-Salaberry de 1997 à 2000, il a été député du Parti québécois dans Mercier de 2003 à 2007, vice-président du Parti québécois de 2009 à 2011 et président de sa commission politique.
[5] https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/197