À propos de l'auteur : Jean-Claude Bürger

Catégories : International

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Où que se porte le regard, l’océan démocratique dans lequel nous nous imaginions baigner semble s’évaporer, tel l’eau de la mer d’Aral. Et les embarcations dans lesquelles nous avions l’habitude de  naviguer menacent de se retrouver échouées comme ces tristes épaves qui, devenues inutiles, meurent sur le sable …

Jean-Claude Bürger

On parle volontiers de demi-siècles, mais on se réfère rarement aux quarts de siècles. Pourtant ce premier quart du XXIe siècle est sur le point d’avoir vécu. Il aura connu : les attentats du World Trade Center, une brusque résurgence de l’affrontement entre l’Occident et une Russie cette fois activement appuyée par une Chine riche et puissante, une pandémie qui a mis le monde à l’arrêt pendant presque deux ans.

Une agression armée qui se transforme en guerre en Ukraine et implique l’Occident par le jeu des alliances.

Des affrontements et des massacres au Moyen-Orient avec dans un premier temps la tentative de création du Califat de Daesh, puis des massacres dont les Israéliens ont décidé, pour croient-ils n’en être plus les victimes, d’en devenir des acteurs.

Tueries endémiques au Soudan etc, on en passe et des pires. En ce début des années vingt, ce siècle connaît également une résurgence de ce que l’on nomme l’extrême droite ou droites dures dans les pays industrialisés.

La tentation totalitaire semble hanter les isoloirs. Les élections françaises en témoignent. Un ensemble de députés de différents pays à la suite des élections européennes commencent à se regrouper sous le nom de Patriotes pour l’Europe au Parlement de Strasbourg présageant un sérieux glissement à droite du centre de gravité de cette Chambre.

Les députés de l’extrême droite française y rejoindront le FPÖ autrichien, le Parti populaire danois, Vlaams Belang flamand, le Vox espagnol, la Ligue du Nord de Salvini, le PVV de Geert Wilders, l’ANO des Tchèques.

Un groupe de plus de 80 députés qui constituera le troisième groupe au Parlement européen, un ensemble dont les membres à l’instar du premier ministre hongrois Victor Orbán, ont souvent des sympathies marquées pour la Russie de Vladimir Poutine. Et c’est Victor Orban qui préside les institutions européennes jusqu’au 31 décembre.

Le confort et l’indifférence

Préoccupés par le réchauffement climatique, par les performances des voitures électriques comme par celles de leurs derniers téléphones portables, les classes moyennes d’Amérique et d’Europe éprises de confort, ont pris l’habitude de détourner rapidement le regard de ce qui ne les menace pas immédiatement.

Nous n’aimons pas être dérangés ! « Le confort et l’indifférence », alliés à l’usure compassionnelle !

Ce repli sur soi s’est trouvé encore facilité par le déclin de la presse et de la télévision chez qui le public prenait l’essentiel des informations sur l’actualité.

Par ailleurs les lacunes de l’enseignement de l’histoire dans nos écoles n’ont pas vraiment permis de développer chez les jeunes générations une salutaire crainte des horreurs que les humains réunis en bandes sont capables d’infliger.

Une impression de déjà vu

Pourtant, le siècle dernier en a vu pas mal, des horreurs ! Mais pour ceux qu’on a coutume d’appeler les milleniums c’est de l’histoire. S’ils se souvenaient comment le vingtième siècle a commencé ils éprouveraient peut-être quelques inquiétudes …

Un attentat terroriste qui déclenche une crise internationale et par une série de réactions en chaîne provoque la Première guerre mondiale. Une pandémie qui fait des millions de morts. Un génocide au Moyen-Orient où les Turcs massacrent plus d’un million d’Arméniens. L’avènement du régime communiste en Russie.

Fondation du parti National socialiste allemand qui au quart de siècle suivant, prit le pouvoir.

Premières atteintes du fascisme en Italie. Les fascistes prennent le pouvoir en 1922 et ceux qui aujourd’hui se réclament de leurs idées en 2023 … Comme une impression de déjà vu …

Un océan qui s’assèche

L’aveuglement qu’il soit volontaire ou le fruit de l’ignorance, crée certes un sentiment de sécurité, mais les dangers malheureusement subsistent.

Outre l’Italie qui élit une première ministre issue du MSI, parti qui se veut héritier du Duce, la Hongrie et la Slovaquie se réclament d’une droite dure et décomplexée qui ne s’encombre pas outre mesure de respect des opposants.

Une droite qui a failli former et participe au gouvernement des Pays-Bas, à peu près la même que celle qui est aux commandes en Suède dont le gouvernement dépend du soutien qu’elle lui accorde.

Il y a aussi cette extrême droite qui monte dans l’Allemagne que l’on croyait pourtant vaccinée.

À l’extérieur de l’Europe, la Russie et la Chine qui prônaient jadis la dictature du prolétariat, semblent n’avoir abandonné que la notion de prolétariat de ce qui autrefois était leur credo. Elles ont d’excellentes relations avec la Corée du Nord régime ubuesque, qui à lui seul est une caricature de tyrannie contemporaine.

En Inde, Modi tient le pays d’une main de fer.

Passons rapidement sur l’Amérique latine où à part quelques exceptions, les démocraties ont rarement eu l’occasion de s’épanouir.

On ne peut naturellement pas passer sous silence les régimes en place dans la plupart des pays musulmans où de l’Iran à la Turquie en passant par l’Arabie saoudite, toute velléité démocratique confine à l’héroïsme.

Et dans quatre mois à peine, les augures nous annoncent l’avènement aux États-Unis d’un président déjà auteur d’une sorte de coup d’État manqué et dont, si on se fie à ses déclarations, on peut craindre le pire.

Où que se porte le regard, l’océan démocratique dans lequel nous nous imaginions baigner semble s’évaporer, tel l’eau de la mer d’Aral. Et les embarcations dans lesquelles nous avions l’habitude de  naviguer menacent de se retrouver échouées comme ces tristes épaves qui, devenues inutiles, meurent sur le sable …

La maladie auto-immune des démocraties

Les démocraties telles que nous les entendons, semblent souffrir d’un défaut génétique qui les condamne à long terme.

Ce qui fait l’intérêt de donner à la majorité des citoyens le pouvoir de nommer ses dirigeants,  ce n’est certainement pas la garantie d’un choix particulièrement avisé. Si 1000 têtes étaient plus aptes à prendre de bonnes décisions qu’une seule, ça se saurait … Il est probable que des avions conçus sur des plans choisis par une majorité d’individus de niveaux de connaissances et d’éducation inégaux et variés, ne pourraient jamais décoller.

De fait, ce qui fonde la légitimité de donner le choix des gouvernants à la majorité c’est la possibilité de changer de dirigeants lorsqu’une majorité des administrés ne sont plus satisfaits. A contrario on peut définir les gouvernements anti-démocratiques comme étant ceux qui ne donnent pas cette possibilité.

Paradoxalement c’est ce qui fait le principal intérêt de la démocratie qui vraisemblablement la condamne à plus ou moins long terme.

Lorsqu’à tort ou à raison les électeurs ne voient plus aucun espoir de changement dans les offres politiques que leur font les politiciens respectueux des institutions démocratiques, ils peuvent délibérément ou non, se laisser tenter par une sorte de méta-alternance, celle avec des régimes qui à terme, ne leur permettront plus de l’exercer … Et nous disent les statisticiens, ce qui est susceptible d’advenir finit toujours à plus ou moins long terme, par arriver.

Démocraties de nasses …

L’atout majeur du populisme est sa capacité de faire aux masses les promesses les plus échevelées.

On attire des électeurs par n’importe quel moyen, quitte à se débrouiller par la suite. Le pouvoir donne souvent les moyens de rester au pouvoir … Dans les cas extrêmes, les dictatures excluent tout retour en arrière. Les électeurs entrés volontairement dans les nasses tels des langoustes attirées par des appâts, perdent la faculté d’en ressortir.

C’est à la seule condition de garder ce danger à l’esprit que ceux qui ont la chance et le privilège d’exercer librement leur choix auront une chance de le conserver.

Quelques raisons de ne pas désespérer ?

Pour l’instant la démocratie fonctionne encore en Europe.

Le désamour des Britanniques pour une ère de conservatisme marquée par le populisme de Boris Johnson tend à relativiser la pérennité de ce type de succès. Certains seront rassérénés par la victoire travailliste.

Ils voudront y voir la renaissance de valeurs de la sociale démocratie qui semblaient passées de mode. Il reste encore à ce nouveau Parti travailliste et à son chef le premier ministre Keir Starmer, à faire leurs preuves.

Le succès inattendu (surtout auprès des jeunes !) de Nigel Farage missile d’extrême droite apparu au dernier moment sur les écrans radar, avec son parti Reform UK prouve qu’un noyau  de droite dure tend tout de même à conserver de sérieux attraits en Grande-Bretagne (voir l’article de Claude Lévesque).

De leur côté, les Français peuvent trouver des raisons de ne pas désespérer dans le fait que les électeurs semblent conscients du danger que représente la vague lepéniste.

De fait les deux tiers d’entre eux ont fait de l’opposition au Rassemblement National leur première priorité.

Ce parti, malgré les efforts de son chef, est par trop marqué par son histoire. Ses origines sont liées à l’extrême droite collaborationniste, raciste et colonialiste. Il fait encore peur à pas mal de monde. Tout comme le père et la fille, les partis dirigés par les Le Pen partagent une grande partie de leur ADN.

Malgré tout, le soulagement de ne pas voir le RN former un gouvernement ne doit pas faire oublier l’éclatante victoire qu’il a rencontré à la faveur de ces élections : un gain d’une cinquantaine de députés.

Premier parti de France en nombre de voix et en nombre de députés, il occupe une position privilégiée en embuscade pour les prochaines présidentielles. Il pourra passer comme la seule alternative plausible après quelques années d’une France ingouvernable. Les Français semblent en effet  généralement réfractaires aux compromis nécessaires à la formation de gouvernements minoritaires.

On peut donc toujours raisonnablement craindre que la droite extrême qui a beau mettre en sourdine les tendances totalitaires qu’elle a toujours traditionnellement défendues lorsqu’elle approche du pouvoir, continue à y adhérer. Il est peu probable qu’une fois aux commandes ces mêmes valeurs ne sous-tendent pas son action.

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