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Serge Truffaut
Pour dire les choses telles qu’elles sont, les démocrates ont remporté les élections législatives sans les avoir… gagnées. On en convient, l’introduction est un tantinet bancale. Il n’en reste pas moins que le 8 novembre la formation de Joe Biden a renversé la table sur laquelle reposait quantité de sondages et d’analyses certifiant que ce jour-là cette formation serait vaincue par une horde de trumpistes.
À l’exception du cinéaste Michael Moore qui prédisait une grosse surprise au soir du 8 novembre, ici et là on avançait des défaites assez prononcées pour condamner Biden au rôle de quasi figurant sur le front intérieur pour le reste de son mandat. Il y a encore six semaines de cela, les forts en thèmes prédisaient au parti de l’âne, la figure des démocrates, une perte de 30 sièges environ à la Chambre des représentants et d’au moins six au Sénat.
Au moment de mettre en ligne, une chose est certaine : à la Chambre basse, la majorité républicaine sera, au mieux, de trois voix seulement si la tendance observée se maintient. Quant au Sénat, les démocrates respirent mieux avec deux victoires en moins de 48 heures.
En effet, en Arizona, Mark Kelly l’a emporté à la 25e heure et au Nevada Catherine Cortez Masto retrouve son siège, donnant ainsi aux démocrates les 50 sièges dont ils avaient besoin pour conserver leur majorité.
En Géorgie, les électeurs seront à nouveau appelés à voter le 6 décembre. Ni le démocrate Raphael Warnock, ni le républicain Herschel Walker n’ont atteint la barre des 50 %.
Faits et gestes
En ce qui concerne le Nevada, un fait mérite d’être mis en lumière mille fois plutôt qu’une car pratiquement pas souligné de ce côté-ci de la frontière. Et pas seulement dans cet État mais aussi en Pennsylvanie, dans l’Illinois et au Colorado.
De quoi s’agit-il ? Les politiques pro-syndicales de Biden, par le biais du ministère du Travail, ont galvanisé les militants de l’AFL-CIO qui, ici et là, ont multiplié les faits et gestes en faveur des démocrates.
Mais au-delà de cette inclination pro-syndicale, les principaux facteurs ayant convaincu des millions de citoyens de voter pour la parti de l’âne sont : la décision de la Cour suprême sur l’avortement, la défense des valeurs qui fondent la démocratie, l’annulation des dettes étudiantes, la réduction des prix de médicaments dont la spectaculaire baisse de l’insuline et bien évidemment les cris de Trump et de ses vassaux. Dans le rôle du repoussoir, ce dernier a été un champion.
On sait que dans la foulée du renversement en juin dernier de Roe v. Wade qui avait permis en 1973 l’accès à l’avortement, une très forte majorité de femmes ont manifesté avec constance leur colère à l’endroit d’une Cour noyautée par les républicains. Elles ont notamment déposé des plaintes auprès des Cours suprêmes des États.
La suppression des dettes étudiantes ? Elle a permis au démocrates de faire le plein, archi-plein, des votes des 29 ans et moins. Le prix des médicaments ? Un plus grand nombre de vieux ont voté pour la formation de Biden que lors des scrutins antérieurs. La démocratie …
Obama et les indépendants
En multipliant les prestations dans plusieurs États et en mettant surtout l’accent sur les valeurs qui se conjuguent avec la démocratie et non sur les « p’tits » intérêts qui distinguent les épiciers de la vie politique, les pense-petits de l’Histoire avec un grand H, Barack Obama a favorisé un report de voix favorable aux démocrates des électeurs indépendants ou indécis qui font souvent la différence à chaque élection.
En mettant en relief la polarisation dont Trump est à la fois le socle et le maître de céans, sans oublier la violence qu’elle induit, Obama ainsi d’ailleurs que Biden à la faveur de deux discours importants, ont renvoyé en miroir le racisme, dont l’antisémitisme de Doug Mastriano, candidat au gouvernorat de la Pennsylvanie, la haine tous azimuts de celui qui est tout simplement différent.
À ce propos, on notera que deux femmes s’affichant comme lesbiennes ont été élues gouverneures du Massachusetts et de l’Oregon. Une première dans l’histoire du pays. Grâce à qui, grâce à quoi ? Ces indépendants effrayés, c’est le mot, par les emportements de Trump et ses excès de vanités qui le singularisent de tous ses prédécesseurs républicains. Nixon ? Il était vicieux, cynique, mais pas aussi orgueilleux.
Au sein du Parti républicain, la colère va grandissant depuis la communication des résultats. On s’attend même à ce que le leadership de Kevin McCarthy, de la Chambre des représentants, soit contesté dans les prochains jours. En fait, pour des élus du parti de l’éléphant, la figure de cette formation, c’est l’occasion ou jamais de se débarrasser de Trump.
Car sous sa gouverne, ils ont perdu, et de beaucoup, les législatives de 2018, la présidentielle de 2020, et fait piètre figure lors des législatives de cette année. Histoire de convaincre ceux qui hésitent à montrer la sortie à Trump, le Wall Street Journal et le New York Post, quotidiens appartenant à Rupert Murdoch, grand soutien de Trump depuis des années, ont estimé qu’il fallait tourner la page en des termes qui ne font pas dans la dentelle.
En ordre de marche
Dans son édition du 10 novembre la manchette du Post avait pour titre Trumpty Dumpty surmontée de l’exergue suivant: Don (who couldn’t build a wall) had a great fall – can all the GOP’s men put the party back together again ? Qu’on y songe, que le principal conglomérat médiatique suggère aux républicains de remettre le parti en ordre de marche, Don venant de tomber de haut, permet d’avancer que si cela ne se fait alors le Post, le Wall Street Journal et Fox News seront plus enclins que jamais à leur passer la râpe à fromage, aux républicains.
Même au sein de son clan, plusieurs voix ont chuchoté dans les oreilles de journalistes du Washington Post qu’ils faisaient tout pour convaincre Trump d’attendre les résultats du scrutin qui va opposer à nouveau, le 6 décembre prochain en Georgie, le républicain Herschel Walker au démocrate Raphael Warnock avant d’annoncer son intention en vue de la prochaine présidentielle.
Auparavant, c’est à retenir, CNN va consacrer le 16 novembre une émission spéciale à l’ex-vice-président républicain Mike Pence qui lors d’un long entretien avec le journaliste Jake Tapper va préciser ce qu’il entend faire en vue des prochaines primaires en plus de présenter un livre qui a, dit-on pour l’instant, valeur de programme.
Fait important à noter, pendant que Trump criait au loup sur toutes les scènes du Midwest, et pas ailleurs, et que le gouverneur de la Floride Ron DeSantis jouait des muscles et des gros mots, ceux qui polarisent, Mike Pence a engrangé derrière les rideaux les millions et les millions auprès des « gros » donateurs qui ont abandonné Trump depuis des mois. Bref, faisons le pari que Pence va se présenter avec le soutien quasi annoncé des mandarins républicains du Sénat.
En attendant la suite, il y a ceci : le résultat des élections a passablement soulagé le ministre de la Justice Merrick Garland. Selon ce qui a transpiré aux lendemains de celles-ci, le fait que la victoire des républicains soit à ranger dans la catégorie des victoires très molles lui a enlevé passablement de poids des épaules.
Si les républicains avaient emporté la Chambre et le Sénat avec des fortes majorités, alors poursuivre Trump au criminel aurait été mission quasi impossible. Or selon ce qui transpire, encore là dans les colonnes du Washington Post, le dossier monté par les avocats et limiers du ministère permettrait le dépôt d’une poursuite.
À noter, à souligner et à retenir, que pour mener le sujet Trump, si l’on ose dire, à bon port, Garland a fait appel à David Raskin à la fin d’octobre. Procureur fédéral, Raskin est réputé être le plus grand expert au pays en dossiers fournis en histoires de papiers classifiés secrets. Pour Trump, mettons que ça craint.