À propos de l'auteur : Richard Massicotte

Catégories : Québec

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Richard Massicotte

Il y aura bientôt dix ans, le 6 juillet 2013, quarante-sept personnes perdaient la vie dans ce qui demeure la pire tragédie environnementale et ferroviaire de l’histoire du Québec et de l’Amérique du Nord. Dix ans plus tard, alors que le projet de voie de contournement ferroviaire est à l’étape des expropriations, le débat s’envenime. Tentons ici de dégager certains points d’achoppements et de comprendre pourquoi, si possible, on en est encore là.

Richard Massicotte

à Lac-Mégantic

Il n’aura fallu qu’un feu de broussaille printanier, il y a quelques semaines, près de Nantes, village d’où est parti le convoi fou en 2013, pour que le débat sur l’avenir du transport ferroviaire à Lac-Mégantic, ne refasse surface. Avec de nombreuses inquiétudes fondées à la clef. Une nouvelle fois, une locomotive est en cause. Une locomotive qui projette de la fumée et qui fait s’embraser des broussailles sur un kilomètre, cela a de quoi inquiéter. Une locomotive, comme en 2013.

Les souvenirs de la tragédie sont toujours dans les mémoires des Méganticois et de leurs voisins, il n’est donc pas difficile de comprendre comment un incident autrement anodin peut faire peur. Au quotidien, qu’on habite Lac-Mégantic ou le Granit[1] tout près, le train est très présent.

On compte aujourd’hui environ une quinzaine de passages à niveaux, les seules raisons d’embouteillages dans cette ville de 6000 habitants.

La voie ferrée serpente de Nantes, au nord, jusqu’à Frontenac au sud, en passant par Lac-Mégantic et son centre-ville, sur la même pente de 2 %, dénivelé jugé très prononcé dans le monde ferroviaire. La même pente qu’a dévalé la locomotive en folie en 2013. De longs trains, parfois de deux-cents wagons, passent donc toujours dans ce même centre-ville et dans cette même courbe où tout a sauté il y a dix ans.

Le train à Lac-Mégantic : courant mais pas anodin

Pour certains, il ne suffit que de voir passer un train pour frémir intérieurement. Mais même pour les nombreux citoyens qui ne les « voient » plus, le train préoccupe. D’abord, il ralentit la circulation automobile. Ensuite et surtout, on sait pertinemment que ces trains passent toujours près de maisons, de terrains, de commerces, près de stations-service aussi. On n’a pas toujours à repenser à la tragédie, aussi appelée « le feu », pour savoir que le danger demeure.

Certes les trains roulent lentement et pas à toute heure du jour. Les voies sont inspectées par des travailleurs du Canadien Pacifique affectés à cette tâche. Deux heures avant chaque passage d’un convoi, on inspecte soigneusement les rails. Mais le seul fait que le train continue de traverser la quasi-totalité de Lac-Mégantic, entre la rue Laval et le lac du même nom puis à travers le centre-ville, en effraie plus d’un.

La liste des « ingrédients » qui avaient mené à la catastrophe du 6 juillet 2013, si éloquemment décrite par Anne-Marie Saint-Cerny dans Mégantic – une tragédie annoncée (Ed. Écosociété, 2018) n’est peut-être plus aussi longue qu’elle ne l’était, peu importe, le train suscite toujours la crainte. Selon des experts, on comptait encore bon nombre de personnes traumatisées, même plusieurs années après le drame. Le temps aidant, l’effet a pu s’estomper. Et pour cause : comme le rappelle l’autrice, quarante-sept morts à Lac-Mégantic équivaut à seize mille victimes dans une ville comme Montréal. De là, la nécessité d’une voie de contournement ferroviaire.

Une voie de contournement nécessaire, même si …

Ce projet de détour ferroviaire n’a été annoncé par le gouvernement fédéral qu’en 2018, soit cinq ans après la tragédie. Le train, lui, n’avait pas mis beaucoup de temps avant de reprendre du service dans le centre-ville désertique, après l’accident.

Cette voie fait aujourd’hui débat. Comme si on avait oublié, diront les plus outrés, la raison qui avait mené à ce projet. Les sentiments, pourrait-on ajouter, puisque les gens veulent éviter à Lac-Mégantic une répétition de la tragédie. Tout projet mérite qu’on s’y attarde, évidemment. Ici donc, s’en inquiètent les agriculteurs, les producteurs forestiers aussi de même que les écologistes. Pour des motifs valables, pourrait-on dire, dont celui voulant que la nappe phréatique soit menacée par le passage de la nouvelle voie ferrée. Même des municipalités s’y opposent, dont celle de Frontenac, qui a organisé un référendum récemment où un nombre impressionnant d’électeurs a rejeté le projet.

Des oppositions et des autorités en place et les autres absentes …

Un projet de cette envergure — un tracé 12,5 km au coût de 133 millions de dollars, ne peut pas se faire sans casser d’œufs. Il était donc écrit dans le ciel, tragédie ou pas, que le projet lui-même suscite des craintes. Mais le contexte politique local de même que la rage péri-pandémique n’aidant pas, le débat déraille et les esprits s’échauffent.

Certes le fédéral a traîné les pieds et fait les choses de façon parfois discutable. Et les différents ministres des Transports à Ottawa, les Lebel et Garneau  — pour ne mentionner qu’eux — n’ont rien fait pour apaiser la colère dans cette interminable saga socio-ferroviaire. L’actuel ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, est venu dans la région. Il ne parle pas français, ce qui n’aide pas dans la région.

Certes, la Ville de Lac-Mégantic semble avoir tenu pour acquise la voie de contournement. De façon un peu doctrinaire, pourrait-on dire, mais aussi en tant que propriétaire de terrains industriels où passera la voie de contournement. Et aussi — officiellement — en songeant au développement qui pourra ensuite se faire dans le centre-ville où persiste ce vide, étonnant au visiteur de passage.

Certes, le Canadien Pacifique qui dirigera le projet et qui sera propriétaire de la voie semble s’en laver les mains, selon de nombreux témoignages et rumeurs à Lac-Mégantic. On en veut toujours à l’entreprise, qui n’a jamais accepté de responsabilité d’aucune sorte dans la tragédie, alors qu’elle avait acheté les services de la défunte MMA, dont la locomotive a engendré la tragédie de 2013.

Mais il y a un gros mais à ces oppositions, par ailleurs compréhensibles. La région de Mégantic étant ce qu’elle est politiquement, ça grouille ici de conservatisme et de tenants de la Libarté(sic). Quand on soulève à des opposants qu’il faut en prendre et en laisser du résultat de 93 % de NON au référendum de Frontenac, vu le petit nombre d’agriculteurs touchés (une dizaine), on voit que des relents de pandémie nous viennent à l’esprit. La démographie politique dans la circonscription de Mégantic est simple. Si le député sortant de la CAQ, François Jacques, l’a de nouveau emporté aux élections de 2022 avec plus de 46 % des voix, son plus proche adversaire était un candidat du PCQ, qui a obtenu plus de 22 % des suffrages. Des votes gonflés par l’atavisme conservateur des environs, par la rage pandémienne que l’on sait et par le sentiment de rejet des politiciens qui se voit partout au Québec.

La mairesse de Lac-Mégantic Julie Morin a beau appeler au calme, elle doit affronter une frange des opposants qui ne se gênent pas pour invectiver les élus et même les partisans de la voie de contournement en personne et par médias sociaux interposés. « J’ai encaissé les attaques personnelles par empathie peut-être pour certains citoyens qui vivent actuellement des moments plus difficiles. J’ai encaissé au nom de la personnalité publique que je suis, comme si tout était permis face à une personnalité publique. Or, ceci est inacceptable», devait-elle rappeler le 21 mars après un conseil houleux en février. [2]

Le dixième anniversaire de la tragédie pourra-t-il ramener un certain calme dans ce débat? À première vue, rien ne permet de le croire. Mais les choses peuvent changer vite dans une petite localité tissée serrée, comme les rails qui la structurent.

[1] Lac-Mégantic est le chef-lieu de la MRC du Granit, qui compte 20000 habitants.

[2] https://www.latribune.ca/2023/03/15/le-difficile-clivage-de-lac-megantic-57cba493c01a11a4503a19d727a70c14/ et https://echodefrontenac.com/2023-04-04/les-elus-municipaux-souhaitent-etablir-lordre-sans-museler-les-oppositions-8145

Un commentaire

  1. Hurtado Ana Julia 14 mai 2023 à 3:40 pm-Répondre

    Quand je lis: «Marie Saint-Cerny dans Mégantic – une tragédie annoncée (Ed. Écosociété, 2018) n’est peut-être plus aussi longue qu’elle ne l’était, peu importe, le train suscite toujours la crainte.», je me rappelle d’avoir lu «Chronique d’une mort annoncée» de G.G Marquez…
    Chaque fois que je traverse le passage à niveau pour aller travailler (je parle de Lac-Mégantic) je me demande si le hasard et la combinaison de choses va provoquer un autre accident!

    Merci pour cet article.

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