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Daniel Raunet
Daniel Raunet
Au Québec, près du quart des réseaux d’adduction d’eau fuient dans le sous-sol. Égouts qui refoulent, nids de poule qui prolifèrent, dépotoirs qui débordent, passerelles qui s’effondrent, digues qui cèdent, béton qui se désintègre, piscines publiques condamnées, eaux usées directement déversées dans le fleuve, quartiers inondés … le délabrement des infrastructures municipales défraie régulièrement les manchettes. Ottawa, Québec et les villes multiplient les initiatives pour retaper tous ces équipements déficients, mais à un rythme insuffisant pour rattraper le retard.
Des factures astronomiques
En 2012, l’Union des municipalités du Québec estimait que le niveau d’investissement des trois paliers de gouvernement devait augmenter de plus de deux milliards de dollars par an pour résorber le déficit d’entretien. Une décennie plus tard, l’UMQ est en train de mettre à jour ses données ; nul doute que la facture sera plus salée.
Ce n’est malheureusement pas tout. Précipitations diluviennes, inondations, submersion côtière, canicules, multiplication des cycles gel-dégel, selon une étude récente de l’UMQ l’ensemble des municipalités du Québec devraient débourser annuellement deux milliards de plus d’ici 2050 rien que pour faire face aux conséquences des changements climatiques[1].
Une fiscalité municipale basée sur les taxes foncières
Au Québec, la marge de manœuvre des villes et municipalités reste étroite. Le financement des municipalités provient avant tout de la taxe foncière, 51,9 % du total de leurs revenus à l’échelle de toute la province selon le ministère[2], 70 % selon l’UMQ[3]. Le pourcentage varie beaucoup selon les localités, mais partout la taxe foncière occupe la première place. « À Montréal, cette source de revenus représente près de la moitié du budget. Cette proportion est encore plus élevée pour des villes comme Québec (78 %) ou Rimouski (75 %). »[4]
Année électorale, année des cadeaux
2021 était une année électorale pour le monde municipal québécois. Or, par un curieux hasard, c’est l’année qu’ont choisie sept des 10 plus grandes villes du Québec pour annoncer un gel des taxes foncières à leurs concitoyens : Montréal, Québec, Laval, Longueuil, Lévis, Brossard et Terrebonne. Avec une hausse limitée à 1 % contre 5,74 % l’année précédente, Sherbrooke soignait également ses contribuables aux petits oignons. Seules Gatineau et Trois-Rivières, plus raisonnables, maintenaient leurs hausses de 2020, respectivement 2,1 % et 2,75 %.[5]
Les années d’inflation et l’heure des comptes
Manque de chance, cette année électorale 2021 aura été également celle du décollage de l’inflation. Au Québec, l’IPC est passé de 0,8 à 3,8 % en un an. L’année suivante les 10 principales municipalités ont donc repris le chemin des hausses de taxes, mais toujours en deçà du taux d’inflation, 6,7 % en 2022. Les hausses sont restées frileuses, échelonnées entre 1,9 % à Laval et Gatineau et un maximum de 3,4 % à Longueuil. 2023 semble être une année de rattrapage pour certains, 7,17 % de hausse à Trois-Rivières, 5,6 % à Longueuil, 4,1 % à Montréal, 3,9 % à Brossard, mais pour les 6 autres, les augmentations oscillent entre 2,5 et 3 %. Tout cela risque fort d’être dépassé par l’inflation.
Le déclin prévisible de la base fiscale des villes
Cela ne va pas s’arranger. Les experts prédisent en effet que la base fiscale des municipalités est appelée à fondre inexorablement. La progression de l’économie numérique fait mal. Les firmes ont de moins en moins pignon sur rue et donc ne payent pas d’impôt foncier. Selon une étude du groupe Aviseo Conseil[6], le commerce de détail (34 % des revenus fonciers en 2016) cède rapidement du terrain au commerce en ligne (croissance annuelle de 14 %). La perte devrait atteindre 150 millions $ dans la décennie en cours, prédit Aviseo Conseil. Quant à l’industrie manufacturière (6,2 % des revenus fonciers), c’est de moins en moins la vache à lait des municipalités, en recul de 21 % à 14 % du PIB entre 2000 et 2016.
Même le secteur résidentiel cesser d’être un moteur de croissance fiscale, une conséquence directe du vieillissement de la population et du tassement de la démographie québécoise. Aviseo Conseil prévoit ainsi une baisse de 40 % des mises en chantier d’ici quinze ans. La propriété unifamiliale, à valeur foncière plus élevée, cédera la place aux habitations multiples, la rénovation des vieux logements aura la préférence sur le neuf.
Des solutions ?
La première solution serait de recourir davantage au financement fédéral et provincial. Selon Patrick Lemieux, directeur des communications de l’Union des municipalités du Québec, les municipalités doivent assumer 70 % des infrastructures publiques, mais elles ne reçoivent de Québec que 10 % des coûts. « La part du municipal ne devrait pas être plus de 30 % du montant total alors que dans les faits, c’est elles qui vont payer le gros de la facture », estime-t-il.
Ce responsable admet que le modèle de financement par l’impôt foncier a des effets pervers. « Le modèle fiscal actuel favorise davantage l’étalement urbain plutôt que la densification parce que plus vous bâtissez sur votre territoire, plus vous avez des revenus fiscaux. » Et plus vous devez construire des rues, installer des égouts et des conduites d’eau potable, aggravant ainsi à terme le déficit d’entretien.
Le Québec peut-il s’affranchir des dysfonctionnements de la taxe foncière ? Ce sera le sujet d’un autre article. Les modèles existent, mais, le nez collé sur leur réélection, nos politiciens auront-ils le courage de faire les réformes qui s’imposent ? Ça reste à voir.
[1] WSP Canada inc. et Ouranos, » Étude sur l’impact des changements climatiques sur les finances publiques des municipalités du Québec », Union des municipalités du Québec, Montréal, juillet 2022.
https://umq.qc.ca/wp-content/uploads/2022/09/2022-09-13-version-finale-etudeimpactsccsurfinancesmunicipales.pdf
[2] Ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, Gouvernement du Québec, « Le Financement et la fiscalité des organismes municipaux au Québec », 2020, p 5.
[3] Entrevue avec Patrick Lemieux, directeur des communications de l’Union des municipalités du Québec, 20 janvier 2023.
[4] Eve-Lyne Couturier et Nicolas Viens, « Fiscalité municipale : une réforme nécessaire », Institut de recherche et d’informations socioéconomiques IRIS, Montréal, juin 2021, p 6.
[5] Données compilées par l’auteur de cet article. À noter qu’à Montréal, il existe de grandes variations de taxation selon les quartiers à cause des pouvoirs fiscaux des arrondissements.
[6] Aviseo Conseil, « Économie numérique et changements démographiques, quel avenir pour l’impôt foncier? », Union des municipalités du Québec, Montréal, mai 2018.
https://umq.qc.ca/wp-content/uploads/2018/05/sommaire-etude-aviseo-umq-2018-impot-foncier-et-economie-numerique-1.pdf