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Serge Truffaut
On est content. « De-que-cé qu’elle est bonne la niouse ? » Pour Corey Weeds, on est content car une de ses toutes récentes productions a été classée parmi les cinq meilleures de l’année selon les magazines Down Beat et JazzTimes. Il s’agit de Valse sinistre par le batteur Billy Drummond et son groupe Freedom of Ideas publié par Cellar Live, l’étiquette fondée par Weeds.
Ce classement confirme comme si besoin était que ce diable de Weeds, saxophoniste, producteur qui se démène dans tous les sens, a fait de Vancouver la capitale du jazz au Canada. Non seulement un de ses disques est salué comme un des meilleurs de l’année mais il vient de fusionner avec l’étiquette new-yorkaise Small’s.
Avant de décliner, disons les choses comme elles sont : comparativement à Vancouver, Montréal est un village où la majorité des producteurs passent leur temps à geindre en attendant des subventions. Ils pensent tellement petit, les « locals », que la prise de risque qu’induit la production musicale leur est totalement étrangère. Une exception : Jim West de Justin Time. Cela étant dit, précisons.
Billy Drummond est un immense batteur. Tellement que ses collègues musiciens l’ont surnommé le batteur des batteurs ou « the drummer’s drummers ». Bref, c’est du gros calibre, Drummond. Il l’est sur les scènes et dans les studios mais aussi sur le flanc de l’enseignement. Il est en effet un des profs parmi les plus réputés de la Juilliard School of Music de New York. Rien de moins.
Il y a quelques mois de cela, il a fondé un nouveau groupe qu’il a baptisé Freedom of Ideas. La tonalité politique que Drummond a souhaité imprimer sur cette nouvelle aventure musicale découle du regain des violences notamment policières et de l’émergence du mouvement Black Lives Matter. Ainsi qu’il l’explique dans un vidéo que l’on peut voir sur Youtube, il voulait être au diapason de ce qui se passe, en acteur et non en témoin passif.
Ceci explique tout d’abord le titre de l’album: Valse sinistre. Titre français d’une composition de Carla Bley. Outre cette valse, Drummond a pris un soin particulier à choisir des pièces qui sortent quelque peu de l’ordinaire. Des pièces qui ne sont pas des lieux communs.
Le programme comprend en effet des morceaux écrits par Jackie McLean, Grachan Moncur III, Tony Williams, Frank Kimbrough, Stanley Cowell, Micah Thomas, son pianiste, et de lui. Seule exception, Laura le standard écrit dans les années 40 par David Raskin. Outre Drummond et Thomas, ce quartet comprend Dezron Douglas, contrebassiste de la clarté, et Dayna Stephens, un des meilleurs saxophonistes du temps présent car il n’a pas un son universitaire.
Enregistré dans le célèbre Rudy Van Gelder Studio, la cathédrale du son pour tout musicien de jazz, cette valse sinistre vaut tous les détours pour la bonne et « plate » raison suivante : le dynamisme insufflé dans l’exécution de chaque pièce est si dense qu’il n’y a aucun temps mort. Ce qui, chacun l’aura compris, est remarquable.
Plus haut, on a évoqué une fusion. Il va sans dire que celle qui nous occupe aujourd’hui n’est pas à ranger dans la catégorie de celles que messieurs Dow et Jones mènent année après année. Reste qu’à la bourse du jazz, l’association de Cellar Live de Vancouver avec Small’s de New York est d’une extraordinaire importance.
Il en est ainsi parce qu’après la vague d’acquisitions de labels dits indépendants par les mastodontes de l’industrie musicale, il était écrit dans le ciel que de nouveaux labels seraient fondés avant de s’allier. C’est ce qui vient de se passer.
Résultat, un nombre imposant de jazzmen new-yorkais liés, entre autres, au club Small’s enregistrent et sont distribués par le groupe Cellar Live/Small’s. Le mois dernier on a écrit sur le Tyler Mitchell Octet et son Sun Ra’s Journey, un des premiers albums de cette association. Voici qu’à ce dernier, viennent de s‘ajouter Spike Wilner Trio Plays Monk & Ellington et Jesse Davis – Live At Small’s Jazz Club. Sur ces derniers nous reviendrons.