Partagez cet article
Rolling Stone
Serge Truffaut
Le 21 janvier dernier, Garth Hudson s’est éteint. Il avait 87 ans. Si Robbie Robertson fut la cheville ouvrière de The Band, Hudson en fut l’homme orchestre. Car cet homme né à Windsor en Ontario jouait du piano, de l’orgue, des synthétiseurs, de l’accordéon, des saxos, de la trompette, du cor anglais et du violon. Qui plus est, il maîtrisait la manipulation des consoles de son et des bandes.
On le répète, il était l’homme orchestre de la formation ayant eu une influence profonde, voire unique, sur les musiques populaires d’Amérique du Nord, mais également le manitou des arrangements qui ont tant séduit Bob Dylan, George Harrison, Leonard Cohen et Eric Clapton sans oublier ses expertises techniques qui en ont fait, de facto, l’ingénieur du son d’un album qui reste chéri par la grande majorité des musiciens. Soit The Basement Tapes par Bob Dylan and The Band.
Ses parents ayant été eux-mêmes de bons musiciens amateurs, ils avaient décidé, après avoir noté qu’à six ans leur gamin avait développé une affection marquée pour toutes les musiques, que celui-ci devrait suivre une solide éducation.
Pour faire court, disons qu’à l’adolescence il était assez doué et savant pour jouer de l’orgue dans l’église anglicane du coin, au salon funéraire de son oncle, au bal du vendredi soir et autres.
Car aux alentours de la quinzaine, il jonglait avec les fugues de Bach, les orchestrations de Charles Ives et Aaron Copland, deux de ses favoris, le rockbabilly de Bill Haley, Elvis et Ronnie Hawkins qui l’engagera, le blues des campagnes, celui de Mississippi John Hurt, la musique cajun, les chansons acadiennes qui donneront son Acadian Driftwood, le jazz de Duke Ellington et Count Basie, sans oublier les folklores qui ont rythmé l’horizon sonore de la Guerre de sécession. En d’autres termes, Garth Hudson était une éponge. Pour être précis, disons une éponge de qualité ISO 9 milliards.
C’est d’ailleurs pour tout cela, cette combinaison où la maîtrise instrumentale se conjuguait avec une connaissance encyclopédique des musiques nord-américaines que les membres de The Hawks qui se transformera en The Band ont tout fait pour que le barbu à l’allure de clergyman les rejoignent.
Cela fut fait une fois que Robertson, Richard Manuel, pianiste et chanteur, Rick Danko, bassiste et chanteur, trois Ontariens, et Levon Helm, batteur originaire de l’Arkansas, eurent accepté ce que les parents de Garth voulaient : soit un orgue neuf, le titre de consultant musical et 10 $ par semaine en échange de cours dispensés par leur fils. L’objectif des parents ? Que vous vous hissiez à un niveau musicalement bien supérieur.
Après avoir joué sous la tutelle de Ronnie Hawkins pendant deux, trois ans, Garth et ses amis ont donc accompagné Dylan dans ses premières et contestées tournées électriques en 1965-66.
Après un accident de moto, Dylan et ses nouveaux amis se sont retrouvés en 1967 dans les environs de Woodstock où Hudson a enregistré et arrangé bien des chansons de Dylan pour ce fameux Basement Tapes qui sera distribué en 1975. Comme les « locals » les appelaient « le band », Hudson et ses amis changèrent leur nom de The Hawks en The Band.
En 1968 et en 1969, les publications de Music From Big Pink et The Band devaient avoir un impact si énorme sur le public, mais surtout sur les musiciens, qu’il perdure encore et toujours. Car l’origine de ce qu’on appelle depuis des années l’Americana est toute contenue dans ces deux albums.
Hudson, Robertson, Manuel, Danko et Helm ont été les alchimistes de ce genre qui, si l’on respectait les enseignements de l’ethnologie musicale, devrait s’appeler Canadiana. Car outre les styles évoqués plus haut, il faut ajouter celui des Six Nations, peuple autochtone de l’Ontario auquel sa mère appartenait, et que Robertson a instillé ici et là dans leurs chansons.
À partir de 1993, après un long hiatus, Helm et Danko aux voix et Hudson aux manettes, celles notamment des arrangements, vont s’appliquer, sans donc Robertson, à la mise en relief des beautés harmoniques, de toutes les subtilités sonores de l’Americana en produisant trois splendides albums: Jericho en 1993, High on The Hog en 1996 et Jubilation en 1998.
Hudson parti après tous les autres, reste un fait majeur : The Band aura été le formation par excellence des mémorialistes.