À propos de l'auteur : Claude Lévesque

Catégories : International

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Claude Lévesque

Deux villes importantes de l’est de la République démocratique du Congo (RDC) sont tombées aux mains des forces rebelles depuis le début de l’année : Goma, la capitale du Nord-Kivu, deux millions d’habitants, est passée sous le contrôle du M23 le 28 janvier, tandis que Bukavu, la capitale du Sud-Kivu, 1,3 million d’habitants, a subi le même sort le 14 février.

Les deux provinces sont riches en minéraux convoités par les nouvelles industries technologiques. Autrement dit, même si les projecteurs sont surtout braqués sur Washington, Kiev, Ottawa, Gaza et …Nuuk, la RDC se trouve elle aussi au coeur de grandes manoeuvres et de « deals » qui sont motivées par le développement effréné de l’informatique et de ses « applis » (téléphonie mobile, stockage «nuagique », intelligence artificielle, cryptomonnaie, domotique, engins de guerre, etc.) et par l’électrification (beaucoup plus lente) des transports.

Ces deux provinces sont voisines du Burundi, de l’Ouganda et du Rwanda, ce dernier pays étant soupçonné et régulièrement accusé de soutenir le M23. La RDC dans sa totalité est également voisine de plusieurs autres pays, ce qui la met à risque d’être entraînée une fois de plus dans un important conflit régional.

Réactions de l’ONU et de l’Union européenne

Dans ce contexte, le Conseil de sécurité de l’ONU (CSONU) a adopté à l’unanimité, le 21 février, une résolution qui condamne le Rwanda pour son soutient au M23 et qui exige que ce dernier mouvement cesse ses opérations et retire ses combattants des zones dont il s’est emparé. Le Conseil de sécurité demande aussi à la RDC de cesser d’appuyer les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), un groupe armé qui s’oppose au gouvernement de Paul Kagame au Rwanda.

Le CSONU a en outre condamné l’extraction illicite et le trafic des ressources naturelles dans l’est de la RDC. Il s’agit surtout des minéraux stratégiques et plus particulièrement du coltan, le minerai qui combine le colombium et le tantale (1).

Séquelles du génocide au Rwanda

Le groupe armé M23 trouve son origine, entre autres, dans les séquelles du génocide rwandais de 1994 (2).

En 2006, un groupe rebelle composé surtout de membres de la communauté tutsie congolaise a été formé sous le nom de Congrès national pour la défense du peuple (CNDP). Ses membres ont été intégrés à l’armée de la RDC en vertu d’un accord de paix signé le 23 mars 2009. Ils se sont rebellés en mai 2012, estimant que les termes de cet accord n’avaient pas été respectés par Kinshasa, et ils ont formé le Mouvement du 23 mars, ou M23, en référence à ce texte.

Peu de temps après, en novembre 2012, les combattants du M23 ont pris le contrôle de Goma, la capitale provinciale du Nord-Kivu, mais ont dû s’en retirer sous la pression internationale, trouvant refuge en Ouganda, où ils sont restés jusqu’en 2021. Les États-Unis, l’Allemagne, la Suède, le Royaume-Uni et l’Union européenne dans son ensemble avaient rapidement suspendu leur aide au Rwanda jusqu’à ce que la milice se retire de la capitale du Nord-Kivu.

Après une période d’accalmie, la crise dans le Nord-Kivu s’est intensifiée une nouvelle fois début février 2024, et plus encore au début de 2025.

Cette fois-ci, l’Union européenne s’est montrée beaucoup moins empressée d’agir. Elle a quand même adopté des sanctions contre le Rwanda, malgré les réticences exprimées par la France et le Portugal. (Ce dernier pays est l’ancien colonisateur du Mozambique, où des casques bleus rwandais protègent des champs pétrolifères contre des militants islamistes. Il s’agit d’un un projet de 20 milliards de US$ appartenant à la française TotalEnergies.)  

De façon générale, au cours des dernières années, l’UE et certains pays occidentaux ont accordé plusieurs dizaines de millions de dollars d’aides de toutes sortes à Kigali.

L’Oncle Sam commence à être intéressé

La République démocratique du Congo se classe en tête de la liste des pays producteurs de tantale, quoique certaines sources ont déjà fait passer le Rwanda devant la RDC. (Il est très probable qu’une bonne quantité de ce métal soit expédiée illégalement des mines situées dans ce dernier pays vers le Rwanda voisin.) L’est de la RDC produit de grandes quantités de ce minerai, de même que de l’or (plus facile à transporter et servant à financer le M23), dans des mines artisanales aux conditions d’exploitation dangereuses.

La RDC est également riche en cobalt, lithium, uranium, cuivre et autres minéraux. Les mines d’où sont extraits ces éléments, dont certaines remontent à plusieurs décennies et ont appartenu, ou appartiennent encore, à la société d’État Gécamines, sont surtout situées dans le sud-est du pays, notamment dans le Katanga.

Tout récemment, le département d’État a fait savoir que les États-Unis sont intéressés par l’exploitation des minéraux stratégiques congolais, après avoir reçu une lettre venant de politiciens et de lobbyistes congolais. On peut certainement y voir une similitude avec la situation ukrainienne, où Volodymyr Zelensky cherche à obtenir un accord minier avec les États-Unis en échange d’une coopération militaire (3).

Une situation humanitaire inquiétante

Le conflit en République démocratique du Congo a déplacé depuis le début de l’année plus de 700 000 personnes, qui viennent s’ajouter aux six millions qui ont déjà fui leur foyer.

Dans la confusion, des milliers de détenus se sont évadés des prisons de la région est de la RDC. On a aussi rapporté que des centaines de femmes détenues avaient été violées et brûlées vives (4).

Le M23 est soupçonné ou carrément accusé d’avoir commis divers crimes dans cette région au cours des derniers mois. Selon le Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, il aurait « exécuté sommairement » des enfants à Bukabu (5).

Dans un premier temps, les responsables de l’OCHA avaient noté que Bukavu n’avait pas subi « d’affrontements croisés » ni de « pillage à grande échelle»  comme Goma et que le trafic lacustre entre les deux villes avait vite repris. La situation a néanmoins rapidement pris un tournant aussi dramatique que dans le Nord-Kivu (6). 

Risques d’extension du conflit

Le M23 compte parmi les nombreux mouvements armés (plusieurs dizaines) opérant en RDC et dont la plupart sont membres de l’Alliance du fleuve Congo, aux côtés de certains partis politiques. Ce regroupement est dirigé par Corneille Naanga, l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante, qui avait certifié à l’issue de la présidentielle de 2018 la victoire de Félix Tshisekedi! Tant M. Naanga (présentement en exil) que les chefs du M23 ne cachent pas que leur but ne se limite pas à Goma et à Bukavu mais s’appelle Kinshasa.

L’intervention du Rwanda dans le conflit est bien documentée. Son voisin du sud, le Burundi, pourrait également s’impliquer si le M23 continue de progresser près de sa frontière dans le Sud-Kivu. Plus au nord, l’Ouganda a envoyé des troupes en RDC, où elles aident officiellement les militaires congolais à résister à un groupe de militants affiliés à Daesh. Kampala est cependant soupçonné de collaborer avec le M23.

 

 

 

(1) Voir notre numéro de juillet 2024.

(2) Ibid.

(3) US open to minerals partnerships with Democratic Republic of Congo, Reuters, 9 mars 2025

(4) Mass prison escapes stoke panic in DRC after rebels advance, The Guardian, 10 mars 2025.

(5) Le M23 a commis des «exécutions sommaires» d’enfants à Bukavu, Radio Okapi, 18 février 2025.

(6) Sud-Kivu: situation humanitaire critique, déplacés sans assistance, ibid.

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